Intervention de Bruno Cabrillac

Réunion du mercredi 12 février 2020 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno Cabrillac, directeur général adjoint de la Banque de France :

Concernant le retrait des banques françaises, c'est un phénomène effectivement mondial. Il est dû au changement de stratégie des banques françaises. Il n'est pas nécessairement irréversible. La Société Générale a annoncé que l'Afrique reste dans ses priorités stratégiques. Ce déclin est donc relatif, car la présence française reste forte. Le Crédit Agricole a vendu ses parts à des banques marocaines, mais il reste actionnaire majoritaire de ces banques.

Ce phénomène correspond aussi à un mouvement d'intégration plus fort du commerce à l'intérieur de l'Afrique. La création de groupes bancaires panafricains est en pleine expansion, que ce soit des groupes marocains, nigériens... Ce phénomène n'est pas forcément négatif. Il correspond à l'idée que ces groupes panafricains ont une meilleure connaissance des spécificités du tissu économique africain.

Cette question est liée au problème du correspondent banking. Il s'agit d'un avantage comparatif pour les grandes banques françaises et internationales. Alors que les banques locales ont de plus en plus de difficultés à obtenir des comptes dans les banques européennes et américaines, du fait de la lutte anti-blanchiment et des principes de la compliance, les banques étrangères et françaises implantées localement fournissent plus aisément un accès aux services bancaires européens. Autrement dit, si les banques françaises et étrangères restent, elles ont un avantage comparatif.

La zone monétaire CEDEAO est un projet politique. Il y a beaucoup de projets politiques d'intégration en Afrique continentale, comme le programme panafricain. C'est un défi important, parce que l'UEMOA n'est pas une zone monétaire optimale. Mais la zone CEDEAO est encore moins une zone monétaire optimale. Et c'est encore plus vrai avec le Nigéria, qui est un pays pétrolier, parce que cela introduit la possibilité de chocs asymétriques, lorsque le prix du pétrole augmente, alors que les autres pays de la zone sont essentiellement importateurs de pétrole.

Ce défi peut être relevé plus facilement si cette union monétaire a un taux de change fixe et se fixe un horizon de très long terme pour adopter un taux de change flexible. Le Ghana est allé beaucoup plus loin dans la flexibilité des changes, en passant à un système dit de ciblage d'inflation qui devait lui permettre d'avoir une ancre interne à la valeur de la monnaie. Mais cela n'a pas vraiment fonctionné, notamment à cause de la variation du taux de change de la monnaie ghanéenne, qui a pu dépasser 10 ou 15 % ces dernières années. Cette variation a perturbé la situation économique.

Le régime de change fixe correspond au fameux triangle de M. Robert A. Mundell. Dans une certaine mesure, il contraint la politique monétaire, puisqu'il est impossible d'avoir à la fois une autonomie totale de cette politique, un régime de change fixe et une liberté des changes. Mais le contrôle des changes rétablit justement en partie l'autonomie de la politique monétaire. Les politiques monétaires de l'UEMOA et de la CEMAC ont été autonomes durant les périodes récentes grâce au contrôle des changes.

Et ce contrôle des changes correspond également au niveau de développement de ces pays. Les pays à faibles revenus et les pays émergents de catégorie inférieure ont un contrôle des changes. La Chine a encore un contrôle des changes. Le saut dans la liberté des changes est peut-être encore trop précoce pour tous ces pays, compte tenu de leur développement et de celui de leurs systèmes financiers.

Au sujet de la compétitivité prix, le FMI estime qu'il n'y a pas de surévaluation des francs CFA aujourd'hui, et ce depuis 1994. Quel facteur avait entraîné le besoin de dévaluation en 1994 ? C'était une baisse des prix, sur le très long terme, des produits exportés par cette zone, notamment des matières premières agroalimentaires et du coton produits localement.

La garantie française élimine le risque de transferts et non le risque de changes. Autrement dit, lorsque vous faites une opération autorisée par le contrôle des changes, vous allez utiliser des devises afin de les échanger contre votre propre monnaie, puisque la garantie française permet de fournir ces devises à la banque centrale. L'élimination du risque de transfert est très importante.

La question du transfert à la BCE ou à l'Eurosystème, ne se pose pas, parce que ce n'est pas un accord de coopération monétaire. Compte tenu de la structure et de la conception institutionnelle de la zone euro, il me semble que cela ne pourra pas se produire.

Il y a plusieurs années, j'ai travaillé sur la question du coût pour l'État français de l'obligation de centralisation des réserves de change. Lorsque la quotité de centralisation a été abaissée de 67 % à 50 %, la France a reconnu qu'elle faisait des économies, parce qu'elle offrait une rémunération sur ces comptes bien supérieure à celle qu'elle obtenait lorsqu'elle déposait sa trésorerie à la BCE. Lorsque les taux de centralisation ont été abaissés, la France a donné une aide publique régionale budgétaire, en contrepartie de cette baisse de la subvention donnée à travers cette sur-rémunération du compte d'opérations.

Concernant l'impression des billets, la Banque de France, à travers sa filiale, continue à imprimer des billets pour la zone euro. Elle imprime des billets pour un certain nombre d'autres pays. La BCEAO et la Banque des États de l'Afrique centrale (BEAC) sont ses deux principaux clients extérieurs à la zone euro. Ils représentent plus de 40 %, voire même presque la moitié, de son plan de charge pour l'avenir. Ce sont des clients importants pour le futur de cette activité en France. Ils sont donc choyés commercialement afin de les garder.

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