Intervention de Adeline Hazan

Réunion du mercredi 15 avril 2020 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Adeline Hazan :

Le contrôle général est très mobilisé pendant cette période de crise sanitaire qui prend une lumière et une gravité particulières au sein des lieux de confinement que sont les prisons. Mon équipe et moi nous trouvions aux Baumettes pour une mission de quinze jours au début du mois de mars ; nous y avons été témoins de l'inquiétude des personnels et des détenus quant à ce qui allait se passer dès lors que des cas de Covid-19 se déclareraient en prison, milieu confiné par nature. Je salue les personnels pénitentiaires qui travaillent en effectifs souvent réduits et dans des conditions dangereuses – les gardiens n'ont disposé de matériel de protection qu'à partir du 29 mars.

L'épidémie place les lieux de privation de liberté, singulièrement les prisons, sous une lumière crue, révélant la gravité de leur situation. La surpopulation carcérale est endémique : au 1er mars, la France comptait 72 575 détenus pour 61 000 places officielles et en réalité 55 000 places utilisables. Le problème se pose de façon plus cruciale encore dans les maisons d'arrêt, avec 48 284 détenus pour 34 973 places opérationnelles. Parmi ces 13 700 détenus en surnombre, 1 500 dorment sur un matelas posé à même le sol, dans une cellule de 9 mètres carrés accueillant déjà deux personnes.

Dès le 17 mars, j'ai alerté la Garde des Sceaux et lui ai proposé plusieurs mesures. L'encellulement individuel dans les maisons d'arrêt – obligatoire depuis 1875, cet objectif a été reporté de moratoire en moratoire à 2022 – nécessiterait la libération d'environ 13 000 détenus. Aussi l'effort qui a consisté à en libérer 9 000 reste-t-il insuffisant. En demandant la libération des détenus ayant encore six mois à purger, j'ai retenu le même seuil que le législateur : en effet, dans la loi de programmation de la justice du 23 mars 2019, il a prévu que les magistrats seraient incités, à compter du 24 mars 2020, à prévoir des alternatives à l'incarcération pour toutes les condamnations allant jusqu'à six mois d'emprisonnement. Il serait donc logique d'appliquer le même seuil à l'heure actuelle.

Il convient de saluer l'action des juges d'application des peines qui se sont mobilisés pour faire sortir des détenus. Mais les détenus provisoires, qui étaient 22 000 début mars, présumés innocents et entassés dans les maisons d'arrêt, sont encore trop nombreux.

Il est incohérent de remettre en liberté les détenus ayant un reliquat de peine de moins de deux mois et de proroger d'un, deux ou six mois tous les mandats de dépôt en cours. Cette prorogation est sans doute de plein droit pour les mandats arrivant à expiration pendant cette période de confinement. Il est par contre inacceptable que cela concerne tous les mandats sans distinction et qu'un mandat de dépôt puisse ainsi être prorogé sans aucune comparution devant le juge, même par visioconférence. Cette mesure aurait dû être supprimée par une ordonnance rectificative.

Les mesures concernant les conditions de détention sont elles aussi insuffisantes. Si je salue celle qui rend la télévision gratuite, le crédit téléphonique de 40 euros, qui correspond à quatre ou cinq heures de communication vers un portable, est insuffisant alors que les parloirs familiaux sont supprimés, que les avocats ne se rendent presque plus en prison et que, faute d'activités – travail, sport, formation professionnelle, exercice du culte –, les détenus se trouvent vingt-trois heures sur vingt-quatre en cellule. Ces économies faites sur le téléphone sont inacceptables, alors que le Président de la République a lui-même utilisé l'expression « quoi qu'il en coûte ». Il aurait en outre fallu donner à l'ensemble des établissements les moyens de mettre en place des parloirs par skype.

De fait, les détenus subissent une triple peine : celle qu'ils effectuent, la peur de la maladie, la tristesse de ne plus avoir de contacts. Si le contrôle général travaille à distance pendant cette crise sanitaire, nous continuons de recevoir chaque jour des courriers et des appels de détenus qui vivent dans l'angoisse de la maladie, souffrent de la rupture des relations et s'interrogent sur leurs droits.

Je ne comprends pas que les réductions de peine exceptionnelles aient été prévues seulement à la fin de la crise sanitaire. J'espère que la prolongation d'un mois du confinement donnera le temps à la Garde des Sceaux d'élargir le périmètre de son ordonnance, pour permettre la libération de quelques milliers de détenus supplémentaires et aboutir à l'encellulement individuel.

On parle souvent du monde d'après et des enseignements à tirer de cette crise. En fait, elle nous a d'ores et déjà appris que lorsque l'on est obligé de réguler la population carcérale, on le fait. Avoir fait sortir ces détenus n'entraînera pas de drame. J'espère que cela restera une pratique générale et qu'on ne repartira pas vers l'inflation carcérale une fois cette crise terminée.

Les centres de rétention administrative (CRA) ne sont pas l'objet de l'audition mais j'invite la commission à se pencher sur la situation qui prévaut dans ces lieux de privation de liberté, notamment à Vincennes et au Mesnil-Amelot. Les informations qui nous en arrivent sont très préoccupantes.

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