Intervention de Edouard Philippe

Réunion du mercredi 1er avril 2020 à 18h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Edouard Philippe, Premier ministre :

Je tenterai de répondre aux questions de M. le président Woerth et de Mme la présidente Braun-Pivet, puis Olivier Véran fera de même pour celle de Mme la présidente Bourguignon.

Je partage évidemment l'inquiétude du président Woerth, et j'ai pleinement conscience des conséquences très lourdes sur notre pays du confinement, de l'interruption du cycle économique global, partout dans le monde, et de la diminution considérable, dans des proportions jamais observées, de la demande mondiale. Il est certain qu'à la crise sanitaire est susceptible de s'ajouter une crise économique et, peut-être, demain, financière, qu'il nous faudra traverser et dépasser.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a rapidement pris un ensemble de mesures d'urgence, que vous connaissez, monsieur Woerth, puisque le Parlement les a votées, après un débat intense et très utile.

Ces mesures se partagent en deux blocs : l'un porte sur la garantie d'emprunt, accordée par l'État pour permettre aux entreprises d'accéder à un financement bancaire, à hauteur de 300 milliards – c'est indispensable, si l'on veut que la vie économique puisse se poursuivre – ; l'autre, représente 45 milliards d'euros d'aides d'urgence aux entreprises, aides directes ou indirectes à travers des reports de charges et des subventions, versées à certaines entreprises, dans les conditions que vous connaissez.

Un des dispositifs que nous avons instaurés, dit d'activité ou de chômage partiels, a l'immense intérêt de préserver le lien entre le salarié et l'entreprise, donc de faire en sorte que l'entreprise puisse conserver auprès d'elle, dans la difficulté, une compétence, une expertise, une organisation, pour pouvoir repartir, le cas échéant.

Nous avons considérablement renforcé le dispositif, en veillant d'une part à ce qu'il ne soit pas seulement un dispositif d'activité partielle qui remplacerait une partie du salaire jusqu'au niveau du SMIC, mais qu'il porte sur des salaires allant jusqu'à 4,5 fois le SMIC, afin qu'une proportion plus large de salariés soit concernée.

D'autre part, ce système, le plus généreux d'Europe, permet aux entreprises de ne pas subir les effets économiques du régime de chômage partiel et offre un taux de remplacement élevé pour le salarié, à hauteur de 84 % du salaire net, soit davantage qu'en Allemagne.

À ce jour, 337 000 entreprises, représentant 3,6 millions de salariés, bénéficient de ce régime d'activité partielle, ce qui est considérable. C'est évidemment du jamais vu. Le mécanisme a connu un tel essor que, comme vous avez eu raison de le mentionner, certaines entreprises, qui avaient demandé à en bénéficier, n'ont pas obtenu immédiatement de réponse, et ont parfois dû attendre plusieurs jours avant que leur inscription ne soit confirmée.

Cela tient au fait que nous n'avions jamais connu un tel afflux vers un nouveau dispositif. Il est donc vrai qu'il a fallu le temps à ceux qui instruisent les dossiers d'améliorer l'outil informatique et d'en tirer les conséquences. Les ajustements ont été à présent réalisés.

Nous avions indiqué que les décisions seraient rétroactives. Même si l'accord est donné plusieurs jours après la demande, la décision entre en vigueur bien avant cette date. Les transformations dans le système d'instruction des demandes laissent à penser que les inscriptions seront à présent réalisées beaucoup plus vite. J'ai encore évoqué le sujet ce matin avec la ministre du travail.

Quant aux garanties d'emprunt, celles de BPI et celles accordées par l'État, dans le cadre du mécanisme que nous avons créé, elles recouvrent, vous le savez, des ordres de grandeur bien différents – respectivement 10 milliards d'euros et 300 milliards d'euros. Par son ampleur, le nouveau dispositif dépasse largement ce qui existait auparavant.

Jusqu'à hier, 20 000 entreprises avaient demandé des garanties pour des emprunts, à hauteur de 3,8 milliards d'euros, et 300 millions d'euros avaient déjà été accordés.

Les banques doivent traiter la demande dans un délai de cinq jours – tel est notre objectif. Les prêts éligibles à la garantie doivent avoir un différé de remboursement minimal d'un an, pouvant aller jusqu'à six ans. Vous m'interrogez sur le taux d'intérêt qui pourrait être appliqué à l'emprunteur bénéficiant de la garantie. Il n'est pas totalement illégitime que l'emprunteur verse un intérêt au prêteur, même si la garantie est accordée par l'État – on pourra se pencher sur cette question dans le détail. L'essentiel est que le système bancaire puisse faire son métier, grâce à cette garantie, et continue à financer les entreprises.

Enfin, il faut effectivement mieux impliquer les assurances, tout en ayant à l'esprit que des décisions paraissant généreuses en première analyse pourraient se traduire, in fine, par l'écroulement du système assurantiel, auquel personne n'aurait à gagner. Nous avons demandé aux assureurs d'abonder le fonds de solidarité que nous avons créé, pour aider de toutes petites entreprises à surmonter l'épreuve. L'indemnisation du préjudice d'exploitation lié à la pandémie n'est généralement pas prévue par les polices d'assurance, même lorsque l'état de catastrophe naturelle est déclaré. Dans un premier temps – celui de l'urgence –, il est indispensable que les assurances s'associent davantage aux dispositifs de financement que nous avons institués, ce qu'elles ont fait, pour l'heure, à hauteur de 200 millions. Puisque le fonds sera prolongé en avril, peut-être seront-elles plus généreuses – en tout état de cause, nous les y inviterons. Des mesures sont actuellement à l'étude, à Bercy, pour associer davantage les assureurs aux financements en question.

Madame Braun-Pivet, l'état d'urgence sanitaire permet au Gouvernement d'adopter des mesures qui doivent toujours concilier la protection sanitaire et le respect des libertés, ce à quoi je suis évidemment très sensible. Entre le 17 et le 30 mars, près de 5,8 millions de contrôles ont été opérés sur le territoire national et plus de 359 000 infractions ont été relevées, dont 64 % par la police nationale.

Vous le savez, la loi a durci les sanctions. Les amendes peuvent aller jusqu'à 1 500 euros en cas de réitération de l'infraction dans les quinze jours. La commission de quatre infractions dans un délai de trente jours constitue un délit que le juge pourra punir de peines très lourdes : six mois d'emprisonnement, 3 750 euros d'amende et, le cas échéant, la suspension du permis de conduire.

Beaucoup de questions sont posées sur le discernement dont les autorités – la police nationale, la gendarmerie et, depuis peu, les polices municipales – doivent faire preuve dans l'application du dispositif. Il s'agit d'un sujet sensible puisqu'à chaque instant, l'ensemble des forces amenées à faire respecter ces dispositions doivent faire appliquer un confinement général, exigeant, tout en respectant les possibilités offertes à nos concitoyens, notamment d'aller travailler, de faire les courses de première nécessité ou de se rendre chez son médecin lorsqu'il est indispensable de se déplacer – lorsque les soins sont programmés ou, en tout état de cause, en cas de convocation. Je suis parfaitement conscient que des questions d'appréciation se posent dans de nombreux cas. C'est un régime délicat. Le ministre de l'intérieur, comme moi-même, répétons systématiquement aux forces de l'ordre qu'elles doivent faire preuve d'exigence mais aussi de discernement.

Vous avez évoqué la question du tracking, à savoir la possibilité, par le recours aux technologies les plus avancées, de suivre les déplacements et, le cas échéant, les rencontres d'une personne. C'est ainsi que plusieurs pays ont isolé de manière très stricte les malades ou les personnes ayant pu entrer en relation avec eux. Ce dispositif n'existe pas en France, car, chacun en a parfaitement conscience, la loi l'interdit. On pourrait peut-être – il y a là matière à débat – utiliser ces méthodes, sur le fondement d'un engagement volontaire, pour mieux identifier la circulation du virus et les contacts noués par chacun. La question est ouverte. Mais nous ne disposons pas, à l'heure actuelle, d'instrument légal nous permettant d'y recourir et nous ne travaillons pas à l'élaboration d'une disposition qui imposerait le tracking.

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