Intervention de Christophe Castaner

Réunion du jeudi 9 avril 2020 à 10h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur :

En ce qui concerne les CRA, Monsieur Pancher, les retenues administratives de personnes malades ont été jugées appropriées par le Conseil d'État et font l'objet de consignes en conséquence. Certains estiment qu'il faudrait fermer les CRA. D'après ce que j'ai entendu ce matin, les positions diffèrent sur ce sujet. Dans le cas de personnes retenues parce qu'elles sortent de prison ou parce qu'elles ont troublé l'ordre public, je me refuse à décider de manière unilatérale de les remettre dans la rue. J'ai en mémoire un préfet du Rhône qui a perdu ses fonctions parce que sa décision de ne pas placer une personne en CRA a conduit à la mort de deux jeunes filles à Marseille. Ma responsabilité personnelle est engagée. Mon travail consiste à faire appliquer les lois adoptées par le Parlement et non de les adapter en fonction des critiques. J'applique également les décisions du Conseil d'État ; celles-ci peuvent bien entendu être contestées, mais elles sont appliquées par le ministère de l'Intérieur, qu'elles confortent ou non les politiques qu'il met en oeuvre – c'est une question de cohérence.

Les préfets ont la latitude d'aménager les modalités de pointage des étrangers en situation irrégulière assignés à résidence, et ils en usent évidemment en période de confinement.

Par ailleurs, il est faux de prétendre que je ne souhaite pas voir prolongés les visas de court séjour. L'expiration des visas est l'un des cas dans lesquels les préfectures continuent de délivrer des titres. Des instructions ont été données en ce sens aux préfets dès le 16 mars.

Pour ce qui est des réfugiés j'ai lu récemment la tribune de plusieurs parlementaires appelant la France à s'aligner sur le Portugal pour la régularisation des sans-papiers. Je les invite à vérifier les mesures prises par ce pays et à se souvenir que la France a agi avant lui. Pour toutes les procédures liées aux droits des étrangers, quel que soit leur statut, à commencer par l'accès aux soins, nous avons anticipé la crise actuelle et garanti aux personnes concernées la continuité de leurs droits. Cela montre sans doute que nous ne communiquons pas assez sur les politiques que nous mettons en oeuvre, dont la dimension humaine est essentielle.

En ce qui concerne les masques, monsieur Coquerel, nous appliquons une doctrine nationale : elle n'est pas discutée ministère par ministère ; elle est conçue par les autorités sanitaires et nous la mettons en oeuvre. Cette doctrine peut, il est vrai, s'expliquer par la pénurie de masques – personne ne conteste ce phénomène au niveau mondial. En tout cas, elle est simple : les masques chirurgicaux et ceux de type FFP2 sont mobilisés prioritairement pour les personnels de santé, les plus exposés au risque.

Est-il normal que la France possède un stock de seulement 810 000 masques ? Vous m'avez mal compris. Comme je l'ai expliqué, l'État a donné aux hôpitaux 1,4 million de masques en sa possession et dispose d'un stock supplémentaire. Les 810 000 masques que j'ai évoqués provenaient de nos propres stocks et ont été distribués à partir du 13 mars dans le cadre de la doctrine définie par les autorités sanitaires, doctrine qui peut bien entendu être contestée et dont nous pouvons discuter. Le 26 mars, nous avons ajouté encore 300 000 masques. Depuis lors, 2,5 millions de masques en provenance de Chine ont été réceptionnés. Les livraisons sont en cours partout sur le territoire. Ainsi, 3,6 millions de masques ont été livrés à nos services depuis le début de la crise. Au total, compte tenu des commandes en cours, 40 millions de masques ont été commandés par le ministère de l'Intérieur.

Quant aux masques lavables, ils ne suscitent aucune opposition. Si une instruction contraire a été donnée au niveau local, il s'agit d'une erreur d'interprétation. Les masques pour les professionnels non soignants – je préfère cette appellation à celle de « masques lavables », peu claire – font aussi partie des solutions que nous expérimentons, et nous avons passé des commandes de masques en tissu de ce type. Nous préciserons, dans les prochaines semaines, comment ils pourront être utilisés et quelle doctrine sera définie pour leur usage. Le professeur Salomon a évoqué vendredi dernier leur utilisation par le grand public. Nous étudions actuellement le sujet, aucune piste ne devant être négligée.

M'étant déjà exprimé sur les propos du préfet Lallement, je n'y reviendrai pas.

M. Holroyd a évoqué la nécessité d'une coordination européenne approfondie. Elle a pu, il est vrai, apparaître jusque-là insuffisante. La Commission européenne, par la voix de sa présidente et de l'un de ses vice-présidents, a exprimé la volonté d'une coopération renforcée entre les pays européens, mais chacun a agi de son côté. En Allemagne, les Länder ont eux-mêmes pris des initiatives sans en référer au ministre fédéral de l'Intérieur, M. Horst Seehofer. Souhaitons que, le moment venu, nos pays soient capables d'agir de manière coordonnée vers la sortie de crise.

Seuls les ministres compétents pourront évoquer le tracking au niveau européen. En tout état de cause, cette question doit en effet être examinée.

Il est pertinent d'évoquer la gestion des travailleurs transfrontaliers, qui a fait l'objet de diverses approches par le passé. Je suis en contact régulier avec mes homologues afin de trouver des solutions au cas par cas, frontière par frontière, en fonction des besoins. Avec le Royaume-Uni, les choses ont été plus compliquées : comme vous le savez, nous avons adressé un ultimatum aux autorités britanniques sur la possibilité de fermer la frontière au cas où le pays ne prendrait pas de mesures de confinement. J'ai échangé sur le sujet avec Mme Priti Patel, secrétaire d'État britannique à l'Intérieur, après quoi le Premier ministre Boris Johnson s'est engagé dans une politique de confinement.

Plus généralement, il est indispensable que des échanges aient lieu pour régler la question de la diversité des pratiques entre pays européens. Un ou deux conseils JAI dématérialisés se tiennent chaque semaine, et un effort de coordination sera nécessaire au moment – que j'espère le plus proche possible – de lever les restrictions et les contrôles aux frontières.

M. Dharréville a rappelé notre doctrine concernant les masques ; je n'y reviendrai pas. Au passage, si j'ai regretté une absence de communication à l'occasion des réquisitions, je ne regrette pas la priorité donnée au personnel de santé de la région Grand Est, très fortement mobilisé par la crise.

L'usage des drones est très encadré : les forces de sécurité s'en servent régulièrement comme outil de vigilance, de la même manière qu'ils ont utilisé des hélicoptères, le week-end dernier, pour survoler la côte atlantique afin de vérifier qu'il n'y avait personne sur les plages. Évitons de lier les drones à la question du tracking, qui peut se poser par ailleurs.

En ce qui concerne les marchés, il a fallu faire un choix : faire confiance à l'appréciation des élus locaux, c'est-à-dire leur permettre de prendre des mesures au cas par cas, ou appliquer une doctrine nationale, laquelle aurait certes eu le mérite d'être plus égalitaire mais aurait conduit à fermer tous les marchés en France. Il a été décidé de permettre aux communes de déroger à la règle sous certaines conditions.

Enfin, en réponse à votre remarque concernant l'installation des conseils municipaux, je rappelle les dispositions de la loi d'urgence que vous avez votée il y a peu : la conduite à tenir sera déterminée sur la base d'un rapport que nous présenterons au Parlement le 23 mai. L'impasse juridique dans laquelle nous sommes jusqu'à cette date est simple : le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales a élaboré une ordonnance simplifiant le fonctionnement des conseils municipaux, des établissements publics de coopération intercommunale et des autres collectivités, qui leur permet de délibérer de manière dématérialisée, sauf pour les élections personnelles, comme celle du maire et de ses adjoints, lesquelles doivent se tenir à bulletin secret. C'est la loi, nous ne pouvons pas y déroger. Or, pour l'instant, nous ne sommes pas en mesure d'organiser un vote à bulletin secret et à distance apportant les garanties nécessaires. Une fois les nouveaux conseils municipaux installés, on pourra envisager une organisation démocratique dématérialisée permettant aux oppositions de s'exprimer.

Par conséquent, soit le rapport remis le 23 mai laissera entrevoir la perspective du déconfinement, auquel cas nous nous fonderons sur ses recommandations, soit les nouvelles seront mauvaises et il conviendra de s'interroger sur le maintien des dispositions actuelles. En tenant ces propos, je n'annonce rien et je ne dis pas non plus que je suis favorable à une modification du texte. Des solutions sont néanmoins toujours possibles : sous l'autorité des présidents de l'Assemblée et du Sénat, malgré le confinement, nous avons su faire vivre la démocratie parlementaire en faisant évoluer ses usages, comme en témoigne la présente audition.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.