Intervention de Jean-François Delfraissy

Réunion du mercredi 15 avril 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Jean-François Delfraissy :

Le conseil scientifique a, bien sûr, des relations avec les autres pays. Selon moi, cela fait partie intégrante de sa mission. Le conseil est composé, je vous l'ai dit, de plusieurs scientifiques, qui ont chacun leur propre réseau dans leur discipline. Les modélisateurs, par exemple, forment une sorte de famille, qui joue un rôle important. Nous sommes en relation avec la London School of Hygiene and Tropical Medicine et des équipes américaines des National Institutes of Health (NIH).

Vous avez tout à fait raison de nous interpeller, madame de Sarnez, au sujet de la science au niveau européen. Nous sommes en relation avec différentes équipes européennes, mais je pense que l'on peut faire mieux. L'un d'entre nous participe à une réunion, deux fois par semaine, avec les équivalents du conseil scientifique français. Différents modèles ont été retenus, mais il existe, dans chaque pays, un groupe de scientifiques qui intervient en appui d'une agence existante ou de manière autonome, comme le nôtre – qui est probablement le plus autonome, dans sa mission initiale.

Cette réunion bihebdomadaire donne lieu à un échange d'idées. Nous avons des discussions, par exemple, sur l'immunité populationnelle. Nous essayons de savoir quelle proportion de la population française aura été en contact avec le virus à l'issue de la première vague de l'épidémie, afin d'avoir une idée de ce qui se passerait en cas de deuxième vague. D'après la première série de données dont nous disposons, ce pourcentage serait de l'ordre de 10 % – je le dis avec une grande prudence. Nous avons évidemment communiqué ces données à nos partenaires, alors même qu'elles ne sont pas encore publiées, et avons obtenu en retour des données italiennes ou chinoises.

Nous avons également eu plusieurs longs échanges téléphoniques avec les scientifiques coréens et chinois, notamment avec l'ancien ministre chinois de la santé, désormais président de la Croix-Rouge chinoise, mais aussi avec Anthony Fauci et Clifford Lane, respectivement directeur et directeur adjoint du National Institute of Allergy and Infectious Deseases, l'un des NIH.

Il y a donc toute une série de collaborations internationales. La science est internationale, y compris dans cette période d'épidémie.

Vous avez posé une excellente question, madame de Sarnez. Il va de soi que la réflexion sur la sortie du confinement ne doit pas être menée uniquement « à la française » ; ce serait aberrant. Si nous émettons une série de recommandations et décidons de processus opérationnels « à la française », que se passera-t-il, par exemple, de l'autre côté de la frontière avec l'Allemagne et le Luxembourg ? Nous devons avoir, bien sûr, une vision européenne. Or l'Europe n'est pas encore suffisamment au rendez-vous dans cette approche rationnelle et constructive des éléments à mettre en place pour la période post-confinement.

Il y a néanmoins quelques points positifs.

Premièrement, l'essai thérapeutique lancé par la France, en liaison avec l'OMS, pour évaluer un certain nombre de médicaments sera désormais mené conjointement avec les Allemands, afin d'aller plus vite. Je rappelle que nous ne disposons pas de molécule dont l'efficacité contre le virus soit prouvée, du moins selon les schémas classiques.

Deuxièmement, l'outil numérique qui pourrait être utilisé pour tracer les contacts entre personnes au cours de la période post-confinement – vous aurez l'occasion de vous pencher sur cette question ultérieurement – serait partagé avec l'Allemagne, la Suisse et, peut-être, certains pays du Benelux.

Ces tentatives restent insuffisantes à mes yeux, mais les contacts sont établis.

J'en viens à l'avancement des recherches scientifiques sur les vaccins. La Chine a effectivement lancé les essais cliniques que vous avez cités, madame Auconie, fondés sur l'utilisation de virus inactivé. Il s'agit d'essais de phase 1B ou 2A : ils portent non pas sur l'efficacité, mais sur la tolérance et l'immunogénicité. Autrement dit, on teste si cela induit une réponse immune ; il restera à montrer, dans un deuxième temps, que cette immunité est protectrice. Nous sommes au courant de ces essais. Leurs résultats ne seront pas connus avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

D'après un point que j'ai fait ce matin, il y a, dans le monde, trente-huit projets vaccinaux qui ont démarré ou vont démarrer dans les semaines qui viennent. Ils sont menés par les grandes plateformes que j'ai évoquées, lesquelles sont financées par des organisations telles que l'International AIDS Vaccine Initiative, la Global Alliance for Vaccines and Immunization ou la Fondation Bill-et-Melinda-Gates ; il s'agit de gros investissements.

Deux pistes intéressantes sont explorées en France.

Le premier projet, mené par l'Institut Pasteur, consiste à coller sur le vaccin contre la rougeole – qui existe depuis très longtemps – des peptides prélevés sur le virus, en particulier des protéines S, qui jouent un rôle dans son accrochage aux récepteurs. On observe ensuite si cela induit une réponse immune. Le projet en est à un stade très préliminaire, à savoir la construction du vaccin.

Le deuxième projet, lui aussi en phase de démarrage, fait appel à une biothèque et à des produits issus de l'ingénierie génétique.

J'ai indiqué tout à l'heure, pour vous donner un ordre d'idée, que nous pourrions disposer d'un premier vaccin offrant une protection incomplète au début de l'année 2021. J'ai eu tort de m'avancer ainsi, car ce n'est pas gagné d'avance. En tout cas, ce laps de temps me paraît indispensable même si je souhaite évidemment me tromper.

La démocratie sanitaire est un sujet qui me tient très à coeur, en tant que président du Comité consultatif national d'éthique, et parce que j'ai un long passé de travail commun avec les associations. Il faut avoir à l'esprit ce fameux triangle : la décision est prise par le politique, mais doit s'appuyer sur le scientifique et sur une vision citoyenne – je pense que nous en convenons tous. Ce n'est pas simplement une belle construction théorique : dans le processus de décision, il y a la décision elle-même, son acceptabilité par le citoyen et ce qui se passe dans la réalité. Ou, pour le dire autrement, il y a le médecin qui prescrit un médicament, le patient qui l'accepte, puis l'observance thérapeutique ou compliance, sachant que nous avons beaucoup de problèmes en la matière.

Pour ces raisons, nous avons fait entrer dans le conseil scientifique une représentante de la société civile, la vice-présidente d'ATD Quart-monde. Mais il faut aller beaucoup plus loin. J'ai adressé hier, plutôt à titre personnel qu'en ma qualité de président du conseil scientifique, une note à l'Élysée et à Matignon pour demander la création d'un comité de liaison citoyenne. Il s'agirait d'une structure très légère – nous n'avons pas le temps de créer une usine à gaz ! – qui rassemblerait dans une certaine mesure trois grands organismes, le Conseil économique, social et environnemental, le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la Commission nationale consultative des droits de l'homme, et pourrait s'appuyer sur des personnalités extérieures. Cela nous permettrait d'avoir une vision citoyenne pour les décisions qui vont être prises.

Jusqu'à présent, le Gouvernement – non pas le conseil scientifique, j'y insiste – a pris des décisions « d'en haut », parce qu'il était urgent d'agir. En revanche, concernant les modalités du déconfinement et du post-confinement, un dialogue avec le citoyen me semble nécessaire, pour savoir ce qu'il pense et ce qu'il réclame, et pour lui fournir une explication.

La question de la réouverture des écoles est un sujet difficile, sur lequel j'aurai une certaine réserve.

D'abord, nous avons très peu de données sur ce qui se passe chez les enfants – j'en suis moi-même étonné. La contagiosité chez les enfants n'est probablement pas aussi importante que cela. D'après la littérature scientifique et les données dont nous disposons, la quantité de virus est vraisemblablement moins élevée chez l'enfant que chez l'adulte. Toutefois, il est évidemment beaucoup plus difficile de faire respecter les mesures de distanciation sociale par les enfants.

Nous manquons cruellement de données sur la proportion d'enfants qui auront été touchés par le virus à l'issue de la première vague. Nous aurions besoin d'études systématiques du nombre d'élèves contaminés au cours d'une période donnée dans un établissement donné, notamment dans les zones très touchées. Une seule étude de cette nature, réalisée dans un collège-lycée de l'Oise, vient d'être publiée.

Nous manquons aussi de données sur la transmissibilité du virus, d'une part entre les enfants, d'autre part entre les enfants et les parents, point important sur lequel nous nous interrogeons tous. Si la famille se limite aux parents et aux frères et soeurs, le risque demeure réduit. Mais quid des personnes âgées, dont je fais partie ? Lorsque l'on ne sait pas, il faut toujours se demander ce que l'on ferait soi-même… Pour être clair, je continuerai à ne pas voir mes petits-enfants pendant la période de déconfinement.

Cela dit, s'agissant des enfants, il y a d'autres questions à se poser, d'ordre non pas strictement sanitaire, mais sociétal. Pour les enfants issus d'un milieu social défavorisé ou vivant dans des conditions familiales peu propices, l'école républicaine représente un point d'ancrage fort. Qui plus est, si le confinement est difficile pour les adultes, il l'est tout particulièrement pour les enfants.

D'un point de vue strictement épidémiologique et sanitaire, la prudence devrait être de mise : est-il vraiment raisonnable de rouvrir les écoles alors que le confinement est encore en vigueur et que les mesures de distanciation sociale sont difficiles à faire respecter ? Cependant, si l'on adopte une approche plus globale et si l'on prend en compte la dimension sociétale du problème, la réponse doit être nuancée car on peut craindre de perdre de vue un certain nombre d'enfants, par exemple ceux qui souffrent de troubles psychiques. Si l'on tient compte de ces aspects sociétaux, évoqués au plus haut niveau de l'État, alors il faudra fixer des conditions extrêmement strictes de déconfinement. Nous ne pourrons entrer dans la période post-confinement qu'en ayant rempli un certain nombre de prérequis et apporté des réponses extrêmement précises à des questions concrètes – je pense, entre autres, à l'utilisation des masques et au nombre de tests disponibles. En l'absence de réponse à ces questions majeures, le confinement devra se poursuivre au-delà du 11 mai.

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