Intervention de Jean-François Delfraissy

Réunion du mercredi 15 avril 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Jean-François Delfraissy :

Contrairement à ce que l'on dit, le virus est l'objet de petites mutations quasi permanentes, c'est un fait bien analysé par les nombreux laboratoires. En revanche, il n'y a pas de mutations majeures : le virus isolé en Chine dès début janvier ne diffère guère de celui qui s'est répandu en France et en Italie. Et aucun lien entre une forme particulière du virus et des pathologies particulièrement graves n'a été confirmé à ce stade. Le fait que les mutations soient minimes est plutôt positif – il faut bien se raccrocher à quelque chose – dans la perspective de la mise au point d'un vaccin et d'un médicament, éventuellement d'une thérapeutique utilisant des anticorps monoclinaux ; ce serait évidemment beaucoup plus difficile si le virus mutait vraiment.

Les 3 000 tests PCR, c'était début mars, mais on est bien d'accord qu'il en faut au moins 100 000 en tout, et on devrait y parvenir début mai. Ce nombre ne découle pas de nos capacités de production, mais plutôt d'un calcul effectué à partir de l'anticipation de nouvelles contaminations et du fait que l'extension des tests aboutira à de nombreux résultats négatifs. On le voit déjà en région parisienne : parmi les gens qui viennent se faire tester aux urgences, le niveau de séropositivité diminue drastiquement par rapport au taux d'il y a quinze jours. Et je rappelle que l'épidémie se poursuivra après le déconfinement, que le virus continuera alors à circuler. Le tout est d'arriver à limiter sa vitesse de diffusion, ce qui permettra de conserver une politique très active de dépistage et de tracking. Et puis, s'il faut encore plus de tests, on le fera. C'est un prérequis fondamental pour sortir du confinement. Tous les prérequis seront précisés en temps voulu dans l'avis du Conseil scientifique. Le nombre de tests nécessaires, la capacité de les produire et la capacité d'obtenir des résultats constituent des prérequis.

En France, on en est resté à une vision assez classique des tests diagnostiques : ils doivent être menés par un laboratoire certifié et validés par la signature du directeur du laboratoire, un pharmacien ou un médecin ; cela représente l'assurance qualité de tout le process, et les députés sont les premiers à le demander. Néanmoins, dans une situation exceptionnelle où l'on a besoin d'un très grand nombre de tests PCR, pas si difficiles à réaliser – surtout pour des équipes habituées à le pratiquer –, le recours à certains laboratoires de recherche est envisageable ? Pourquoi pas. C'est d'ailleurs ce qui est en train de se produire : une vingtaine de très gros appareils, capables chacune de faire de l'ordre de 2 500 tests par jour, ont été commandées. Un tel appareil réclame plusieurs mètres carrés et une équipe d'environ dix personnes pour en assurer la maintenance en permanence, sachant qu'elles fonctionnent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Ainsi, des techniciens de recherche du CNRS et de l'INSERM sont en train d'être formés pour être placés dans ces équipes. C'est la même logique pour les laboratoires vétérinaires : plusieurs se sont portés candidats et commencent déjà à participer au dépistage dans certaines régions. Mais il faut tout de même de la coordination pour savoir qui fait quoi, et c'est le rôle des ARS.

Oui, il faut de la transparence sur l'avis – c'est d'ailleurs inscrit dans la loi. De par mon éthique personnelle, je suis pour la plus grande transparence vis-à-vis de nos concitoyens : il s'agit de leur dire ce que l'on sait comme ce que l'on ne sait pas et qu'ils puissent accéder à ce que le Conseil scientifique écrit. Je rappelle que celui-ci a vocation à éclairer le politique, qu'il n'est pas une agence sanitaire ; il vient de nulle part, avec à la fois une grande liberté et une grande autonomie. C'est d'ailleurs à ce titre qu'il peut s'autosaisir d'un certain nombre de questions. Il est donc essentiel que nous fassions preuve d'une transparence intégrale, et elle l'est : tous les avis ont été rendus publics sur le site du ministère de la santé, même si, pour être tout à fait précis, c'est parfois avec un certain décalage. Mais vous avez vu que, sur tous nos avis, figurent deux dates : celle de leur remise aux autorités gouvernementales et celle de leur publicité. On peut donc constater qu'il y a parfois trois ou quatre jours de décalage, ce que je considère pour ma part comme tout à fait normal. Ces avis pouvant tout de même emporter une série de conséquences, il est en effet logique que le pouvoir politique, quel qu'il soit, prenne le temps de réfléchir et d'en discuter. Mais vous avez raison d'insister sur l'importance de la transparence. Quand, au bout de trois ou quatre jours, je ne vois pas l'avis publié sur le site du ministère, je passe des appels téléphoniques pour demander qu'il le soit : plus nous sommes en crise, plus la transparence vis-à-vis de nos concitoyens doit être complète.

Quant à la date du 11 mai, si nous n'avons pas contribué à la fixer, elle correspond à peu près à la somme des délais de plusieurs semaines indiqués dans nos avis successifs. Nous étions au courant que cette date précise pouvait être choisie.

Du point de vue purement sanitaire, nous devrions tous rester confinés ; mais jusqu'à quand ? Jusqu'à la fin des temps : c'est impossible ! Il faut donc, à un moment donné, et sous réserve que soient réunies les conditions fondamentales qui figureront dans notre avis sur le déconfinement – nombre de tests, marqueurs de suivi tels que le nombre de cas et de formes graves, de manière à se donner les moyens de ses ambitions, mais aussi communication écrite d'une stratégie claire pour nos concitoyens –, prendre raisonnablement le risque de commencer à sortir du confinement.

Ne soyez pas obnubilés par l'immunité collective. Mme Chêne et moi-même vous livrons tout ce que nous savons au sujet de l'immunité populationnelle, c'est-à-dire du pourcentage de Français dotés d'anticorps à la suite de la première vague. Nous vous l'avons dit, il s'agit de premiers résultats, présentant des différences régionales que nous ne comprenons pas entièrement : tout cela n'est pas parfaitement clair. Quoi qu'il en soit, ce pourcentage est d'environ 10 %. Faut-il vraiment attendre qu'il ait été porté à 50 % pour considérer que l'immunité populationnelle est atteinte ? Je ne le sais pas. Toutes les équipes de recherche disponibles y travaillent et j'observe leurs résultats. La Chine, qui a une immunité populationnelle du même ordre, de 7 % – ce que tendent à montrer les résultats des tests, tant PCR que d'anticorps, pratiqués avant leur retour sur les Chinois de Hong Kong qui se trouvaient à Wuhan au début des événements –, ne connaît pas, pour l'instant, de deuxième vague massive ; mais il est encore trop tôt pour juger. À l'inverse, Singapour, souvent cité en exemple pour avoir pratiqué de nombreux tests et utilisé le tracking, subit, après avoir relâché la pression, une nouvelle bouffée épidémique qui a conduit à serrer les boulons. On va probablement, pendant un long moment, devoir alterner ainsi périodes de libération et de restriction, en attendant de disposer de médicaments. Par ailleurs, il n'est pas impossible que le virus soit sensible au climat estival mais que l'épidémie reprenne en septembre. Bref, il existe encore de nombreuses inconnues ; notre stratégie doit donc être définie étape par étape et avec une grande humilité scientifique.

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