Intervention de Boris Vallaud

Réunion du mercredi 4 mars 2020 à 10h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud, rapporteur :

Aucune des objections soulevées ne me paraît fondée en droit et c'est en fait sur le terrain de l'opportunité que se sont placés les groupes qui ont annoncé qu'ils voteraient contre cette résolution, en parlant de manoeuvres politiques ou de détournement de procédure. Ces appréciations sur la recevabilité de cette étude d'impact sont interdites par notre Règlement et, je veux le rappeler solennellement, elles n'auraient donc pas dû trouver leur place dans vos argumentations, qui m'ont en outre paru bien légères.

Il y a quelque confusion, Madame Elimas, à évoquer la nécessité de viser des faits déterminés relatifs aux services publics. Ce n'est pas ainsi qu'est rédigé notre Règlement qui mentionne, de façon alternative, soit des faits précis, soit des entreprises ou des services publics clairement déterminés.

Les faits précis, je les ai abordés en détail dans ma présentation initiale. Ils portent sur la sincérité, l'exhaustivité, l'exactitude et j'en ai évoqué plusieurs : les conséquences du mécanisme de transition, les mécanismes de calcul, les flux financiers, les périodes de transition, le dispositif de compensation, les conditions d'éligibilité à la retraite minimale, l'évolution du montant de pension dans le temps du fait des coefficients d'actualisation.

Je voudrais vous rappeler des exemples de faits que vous avez admis comme précis pour la création d'autres commissions d'enquête.

Ainsi, pour la commission d'enquête de l'UDI sur la fraude aux prestations sociales, on s'est contenté de mentionner comme fait « un état des lieux des pratiques » : on est bien loin de la précision des faits que je viens de citer.

Pour la commission d'enquête sur l'alimentation industrielle, les faits étaient rédigés ainsi : « augmentation de la consommation de produits alimentaires industriels ». Là encore, la précision est bien moindre.

Prétendre que les faits sont insuffisamment déterminés à l'appui de notre proposition, alors qu'ils l'ont été avec une très grande précision, relève donc d'une extraordinaire mauvaise foi.

Pour contester notre demande, on a aussi évoqué la possibilité de nommer un rapporteur pour avis ou de saisir le comité d'évaluation des politiques publiques. Mais j'ai bien fait état de ces deux procédures et nous avons formulé ces demandes. C'est donc seulement s'il leur avait été fait droit que la demande de création d'une commission d'enquête aurait été sans fondement. Ce n'est pas le cas et, l'étude d'impact n'ayant donc fait l'objet d'aucune évaluation ou appréciation, il est bien possible de créer une commission d'enquête.

Vous prétendez par ailleurs qu'il s'agirait d'un élément de la procédure législative en cours qui, à ce titre ne saurait être examiné par une commission d'enquête, ou seulement ex post. Avec les exemples de deux procédures antérieures, j'ai montré le contraire.

Vous avez par ailleurs une conception très restrictive des pouvoirs de contrôle et d'évaluation des politiques publiques constitutionnellement garantis au Parlement. C'est bien parce qu'il jouit de telles des possibilités qu'il est apte à créer des commissions d'enquête. Le pouvoir de contrôle ne porte pas seulement sur les fonctions exécutives du Gouvernement, mais sur toutes ses fonctions, y compris sur la préparation des lois qui, en dernier ressort, relèvent Parlement.

Votre conception de la séparation des pouvoirs est aussi bien étroite : refuser cette séparation, c'est accepter la concentration des pouvoirs dans une seule main, une seule institution, une seule autorité. Dans notre pratique institutionnelle, dans notre tradition parlementaire, rien ne fait obstacle à ce qu'il y ait à la fois séparation des pouvoirs et responsabilité du Gouvernement devant la représentation nationale.

L'argument que vous invoquez ne tient pas le moins du monde. Des précédents, cela a été rappelé avec force détails par Hervé Saulignac, ont permis de démontrer qu'une commission d'enquête n'entravait en rien la liberté de légiférer de l'exécutif ou l'exercice de prérogatives de puissance publique, parfois exorbitantes. Tel a été le cas pour l'état d'urgence et pour la commission d'enquête de Jean Arthuis sur les conséquences des 35 heures : alors que le projet de loi n'avait alors pas encore été discuté et venait d'être déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, il n'y a eu aucune entrave ou obstruction.

Une commission d'enquête a vocation à recueillir des informations et à nous les fournir. Ce faisant, elle concourt à éclairer la représentation nationale ; c'est une exigence que nous devrions tous partager, d'autant que cette réforme est d'une grande complexité et que nous devons voir clair sur ses tenants et ses aboutissants.

Les mots du Conseil d'État et l'appréciation de nombreux experts font peser un soupçon d'inexactitude, d'imprécision, d'insincérité. Au motif de cette étude d'impact, des économistes proches de la majorité ont pris du champ.

En droit, ce qui n'est pas interdit par la loi est autorisé. Or les cas dans lesquels une commission d'enquête ne peut être constituée sont clairement déterminés par la loi et par la Constitution, ce sont l'existence de poursuites judiciaires. Une autre limitation est posée par l'alinéa 7 de l'article 6 de l'ordonnance de 1958, aux termes de laquelle « les rapporteurs sont habilités à se faire communiquer tout document de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure de l'État et sous réserve du respect du principe de séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs ». Tout le reste est autorisé et vous n'avez ainsi aucun argument de droit, tiré de quelque disposition constitutionnelle, organique, législative ou réglementaire que ce soit, qui permette de dire l'inverse.

Je terminerai par le respect des droits de l'opposition. Ils ne devraient pas se discuter. La dictature de la majorité commence dans la contestation des droits de l'opposition. (Protestations.) Les mots ont un sens, je les prononce à dessein.

Chacun, en conscience, doit savoir ce qu'il en est de cette commission d'enquête. La majorité la présidera et pourra décider par un vote de rendre ou non le rapport public. Refuser cette commission d'enquête ne respecterait pas les droits de l'opposition et entraverait la vitalité du débat démocratique. Ce serait aussi l'aveu que vous avez un doute quant à la sincérité et l'exhaustivité de cette étude d'impact.

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