Intervention de Olivier Véran

Séance en hémicycle du vendredi 8 mai 2020 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Article 6

Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé :

… et je vais lui en citer deux.

Tout d'abord, il y a le fichier des ALD, les affections de longue durée. Si certains, parmi vous, souffrent de diabète, d'hypertension, d'un cancer ou d'une maladie chronique, ils sont en ALD, ce qui leur permet d'être pris en charge à 100 % par l'assurance maladie. S'ils n'ont pas besoin de préciser cette prise en charge à un pharmacien ou à un médecin, c'est parce qu'ils figurent dans ce fichier, renseigné par les médecins qui font le diagnostic. Et les salariés de l'assurance maladie y ont accès, par le biais de l'espace AmeliPro.

Le second exemple concerne les arrêts de travail. Si vous êtes malade, votre médecin vous prescrit un arrêt de travail, au bas duquel il peut inscrire des éléments de nature médicale. Depuis plusieurs décennies, les arrêts de travail sont numérisés et inscrits dans un fichier national, toujours sur AmeliPro ; il s'agit d'une nouvelle brique du même fichier, auquel ont accès les salariés de l'assurance maladie, ceux-là même qui seront appelés à faire du contact tracking sur le territoire.

Nous ne créons donc pas de fichier national : la base Contact Covid est une émanation d'AmeliPro. On demandera aux mêmes médecins traitants des mêmes malades d'inscrire, dans le fichier existant de l'assurance maladie, que le patient a subi un test PCR positif au coronavirus. Peut-être indiquera-t-il un élément diagnostique de fragilité particulière du malade ou un élément clinique pathognomonique intéressant sur le plan épidémiologique, mais c'est tout ce qu'il indiquera. Les mêmes salariés de l'assurance maladie auront donc accès au même fichier et disposeront, par ce biais, des coordonnées des patients qu'ils devront contacter pour faire du contact tracking.

Voilà que vous appelez du fichage. Si vous y êtes opposés, on supprime AmeliPro, qui fonctionne depuis des années, on revient au papier sous cachet à la cire, comme cela a longtemps existé pour les arrêts de travail, et on met fin au fichier des ALD, parce que je ne sais pas comment le gérer sans le numérique.

Au troisième niveau du tracking interviennent les ARS, comme elles l'ont fait lorsque sont apparus des clusters – le mot est vilain – , c'est-à-dire des zones de circulation active du virus sur un territoire. Les agences régionales de santé doivent avoir accès aux coordonnées des gens, tout simplement pour les appeler. Ce sont les gens qui vous ont appelés, qui ont appelé les Français, semaine après semaine, jour après jour, nuit après nuit, pendant la phase pré-épidémique, pour vérifier, sécuriser et protéger les gens. Rien de nouveau à ce sujet.

Alors pourquoi avons-nous besoin de la loi, me rétorquerez-vous ? Un, parce qu'il y a cette nouvelle brique dans le fichier AmeliPro. Deux, parce que jusqu'à présent, l'entaille faite au secret médical ne concernait que des personnes malades. Or, par définition, un cas contact n'est pas forcément malade. Là est la dérogation, mais elle est indispensable au tracking.

L'article 6 comporte un second dispositif, indépendant, ce qui peut créer de la confusion et justifie que je prenne du temps pour expliquer les choses. Il s'agit du SIDEP, ou système d'information pour la déclaration des essais de produits, qui n'est donc pas un fichier. Lorsque j'ai des symptômes, j'appelle mon médecin, qui m'envoie faire un test au laboratoire à proximité ; l'infirmière me fait un écouvillonnage, l'estampille et lui appose une étiquette munie d'un code ; ce code me suivra non pas toute ma vie, mais pendant mon parcours de diagnostic. La pratique est assez classique, tant dans les laboratoires de ville que dans les laboratoires hospitaliers : lors d'un prélèvement, l'autocollant sur le tube à essai porte un code correspondant à votre nom – ce qui prouve du reste que vous figurez dans un système d'information.

Le SIDEP est particulier, car nous voulons que ce soit le même en ville et à l'hôpital, et même dans les laboratoires vétérinaires et les laboratoires de recherche, puisqu'ils ont été autorisés. Nous voulons en effet être exhaustifs s'agissant des tests autorisés, non pas pour les compter, mais pour être sûrs de ne pas passer à côté d'un test positif. On veut que les résultats positifs puisent être communiqués sans délai par le médecin et que les personnes chargées du tracking – relevant de l'assurance maladie ou des agences régionales de santé – puissent y avoir accès. On veut aussi que Santé publique France, qui traite toutes les données de santé publique dans la gestion de l'épidémie – comme elle le fait chaque année pour la grippe ou la dengue – puisse y avoir accès. Il est en effet important d'être sûr de connaître les personnes positives et de ne pas perdre des malades dans la nature. C'est un système d'information comme il en existe beaucoup. La nouveauté réside dans le fait que c'est un exploit industriel : un système unifié, pour tous. Il n'attend que votre accord pour démarrer lundi.

Dans l'article 6, il n'est question de rien d'autre que de ces deux dispositifs.

StopCovid n'y figure pas ; le Premier ministre l'a redit et je le répète pour de bon. C'est une application numérique qui, si elle est développée, permettra, sur la base du volontariat, de savoir si l'on a été en contact avec des personnes malades, afin d'appeler son médecin. Cela fera l'objet d'un débat à part ; il n'y a pas de fusion ou de confusion avec l'article 6 du présent texte.

Le Sénat a apporté un certain nombre de précautions, que le Gouvernement a presque toutes acceptées. Cela signifie que le Sénat a voté massivement pour l'article 6, après notamment le travail effectué par la commission des lois.

Un droit d'opposition et de rectification a été réclamé, mais non pas pour ne pas figurer dans le fichier ou le système d'information – en effet, si l'on perd des patients, on perd des chaînes de contamination et on perd le déconfinement. En revanche, un droit d'opposition ou de rectification motivé par le refus de communiquer son nom comme étant à l'origine d'une chaîne de contamination ne pose aucun problème.

Le Sénat a demandé la suppression des habilitations prévues par ordonnance, ce qui ne pose pas non plus problème. Je proposerai des amendements gouvernementaux, car nous inscrirons dans le dur de la loi ce qui était prévu par ordonnance. Ça ne casse pas trois pattes à un canard, mais ça va mieux en l'écrivant.

Il a aussi été demandé que l'avis de la CNIL soit rendu public : il le sera évidemment.

Un comité de suivi sociétal des dispositifs a aussi été demandé. Pourquoi pas ? Nous le ferons, comme nous pourrions le faire pour les ALD. L'Ordre des médecins demande que le CCNE – le Comité consultatif national d'éthique – supervise tout cela : j'y suis favorable, bien que cela ne relève pas du domaine législatif. Nous ferons même le lien entre le comité de suivi sociétal voulu par le Sénat et le CCNE.

L'Ordre des médecins a également demandé un rapport trimestriel sur toutes les données. Je veux bien le rendre de façon trimestrielle, bimensuelle ou hebdomadaire. Nous n'avons rien à cacher, et les données sont rendues publiques depuis le début – pas les données nominatives, bien entendu, mais le nombre de tests réalisés, le nombre de tests positifs, etc. Bref, s'agissant du fonctionnement du dispositif et d'éventuels problèmes, nous ferons preuve de transparence.

L'Ordre des médecins a souhaité limiter la durée, que nous avions fixée à un an ; nous sommes d'accord pour la réduire, mais pas de façon excessive, afin de ne pas être contraints de repasser par une loi à chaque fois qu'une prolongation de deux mois du système d'information est nécessaire. Nous pouvons sans doute diminuer de quelques mois pour parvenir aux alentours de neuf mois.

Enfin, l'Ordre des médecins a voulu limiter totalement la communication de données à la stricte nécessité : cela ne pose aucun problème.

Des amendements complémentaires ont été déposés à l'Assemblée nationale, concernant notamment le secret médical, ce qui n'est pas problématique. Des amendements, notamment du groupe Socialistes et apparentés, prévoient de permettre à quelqu'un de sortir du fichier après un certain temps ; un sous-amendement sera nécessaire, car la durée d'un mois est trop courte pour effectuer un traitement épidémiologique des données. Mais nous n'avons aucune vocation à conserver un système d'information. Plus vite nous pourrons nous débarrasser du fichier et du système d'information, mieux je me porterai, voyez-vous, parce que cela voudra dire que nous avons vaincu le virus ; je crois que nous sommes tous d'accord sur ce point.

J'ai besoin de ces deux outils. Ou plutôt les plus de 50 000 médecins généralistes qui recevront des malades dans leur cabinet à partir de lundi en auront besoin. Les 3 800 laboratoires de biologie déployés sur le territoire qui réaliseront un très grand nombre de tests – 700 000 tests hebdomadaires dès la première semaine, on l'espère – en auront besoin. Les ARS et l'assurance maladie en auront besoin. Surtout, les patients auront besoin de ces dispositifs numériques.

Je vous le répète, derrière les mots qui peuvent soulever des inquiétudes, il s'agit d'émanations de systèmes qui existent depuis très longtemps ; ils ne posaient pas autant de difficultés lorsqu'ils ont été créés, mais les moeurs ont évolué. Plus Google s'est développé, plus nos smartphones ont été équipés en capteurs, et plus nous sommes devenus exigeants envers les dispositifs venant de l'État. Je le comprends et cela ne me pose aucune difficulté. J'appelle néanmoins votre attention sur le fait que ce n'est pas l'Armageddon, que c'est même assez simple, au point que nous aurions presque pu nous passer de la loi. Je vous ai expliqué les raisons, très modérées, pour lesquelles nous en avions besoin.

En conclusion, je vous souhaite un bon débat sur l'article 6, en vous rappelant que nous en avons besoin pour lever le confinement lundi. Voilà pourquoi que je suis un peu pressant, vous m'en excuserez.

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