Intervention de Nicolas Dupont-Aignan

Séance en hémicycle du jeudi 4 juin 2020 à 15h00
Nécessité du rachat de la dette publique par la banque centrale européenne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Dupont-Aignan :

Alors qu'un tsunami économique et social est devant nous, l'Europe est tétanisée, immobile, inconsciente. Le plan de relance français, comme l'a très justement souligné Jean-Luc Mélenchon, est très largement insuffisant. Le plan de relance de la Commission de Bruxelles et des États européens est sous-dimensionné et complexe. Il est, de surcroît, une très mauvaise affaire pour la France, puisque l'on apprend que les remboursements se feront sur la base de la contribution française au budget européen, soit 21 %, alors qu'on nous promet aujourd'hui 39 milliards sur les 500. L'Allemagne, qui mobilisera plus de 50 % des fonds de relance, est sur le point de distancer définitivement les autres pays : le fossé avec la France et l'Italie fera exploser la zone euro que vous chérissez tant.

Pour éviter le chaos économique et social à venir, la seule marge de manoeuvre est monétaire. Le Royaume-Uni l'a bien compris. Les États-Unis et la Chine en ont l'habitude puisque, pour eux, la monnaie est un moyen et non une fin en soi. Ces deux superpuissances ont, chacune à son tour, assis leur domination technologique sur leurs facilités monétaires – ce que n'a pas compris l'Europe, enfermée dans le malthusianisme.

Voilà pourquoi ce projet de résolution a le mérite de proposer la seule – je dis bien la seule – voie raisonnable et intelligente de sortie de crise. La transformation en dette perpétuelle à taux nul de la dette actuelle des États détenue par la BCE ne léserait personne : s'agissant des 18 % de la dette publique française stockés à la banque centrale, la mesure effacera à elle seule le coût de la dette liée au covid-19. Donnons une marge de manoeuvre à notre pays pour éviter la spirale de l'endettement, qui aboutit à la récession et au surendettement.

Certains membres de la majorité se sont inquiétés d'un autre point qui me semble au contraire être un avantage : cette disposition aurait le mérite de clarifier la position de l'Allemagne. Dans un espace de solidarité, aucun pays ne peut bâtir sa prospérité sur la ruine de ses voisins, avec lesquels il enregistre des excédents commerciaux gigantesques. Si l'Allemagne refusait, au moins les choses seraient-elles clarifiées et il pourrait être mis fin à l'euro de manière négociée.

Au-delà de cette question de la monétisation temporaire, il serait temps soit de permettre à la BCE de racheter les titres des États, soit de prendre acte de la situation et de rétablir des monnaies nationales flexibles et coordonnées. Il n'y a pas d'autre solution. Du reste, cela ne manquera pas d'arriver si vous restez les bras ballants. Même Michel Rocard, qui était pourtant comme vous un Européen convaincu – peut-être avec regret à la fin de sa vie – , déclarait ceci le 22 décembre 2012 sur Europe 1 : « Jusqu'en 1974, la Banque de France finançait l'État sans intérêts. Si on en était resté là, la dette française serait de 16 % à 17 % du PIB et non de 90 % » – comme à l'époque, car elle atteindra bientôt 115 % du PIB.

Hélas, comme vous le savez bien, la France, à l'image de certains pays développés, a choisi une autre voie qui s'est avérée un piège diabolique, en obligeant l'État à emprunter auprès des marchés financiers moyennant des intérêts. Les défenseurs du système actuel d'endettement auprès des marchés financiers osent prétendre que c'est la seule façon de bien gérer l'argent public, car les prêts sans intérêts des banques centrales inciteraient à dépenser sans compter et à créer de l'inflation. Oui, si ces emprunts sont excessifs ; non, s'ils sont réservés à l'investissement stratégique, comme je le propose.

Nous avons constaté le résultat de ce stratagème dangereux. D'une part, payer des intérêts n'a jamais limité le recours à l'emprunt par les gouvernements successifs, invoquant sans cesse les règles d'or et la bonne gestion tout en endettant les Français sans investir dans l'avenir. Plus aucun budget n'est à l'équilibre depuis 1974 ! D'autre part, l'accumulation des intérêts à payer et le service de la dette ont pris un poids considérable dans les dépenses de l'État, dépassant celui de services publics essentiels comme la sécurité ou l'investissement public.

La monétisation de la dette, bien gérée et réservée aux investissements stratégiques comme l'ont fait les États-Unis et la Chine, le Royaume-Uni et le Japon, est le seul moyen de conserver notre rang au XXIe siècle et d'éviter le déclassement stratégique de l'Europe et de la France, leur entraînement dans la spirale de la pauvreté de masse et de la révolte populaire qui viendra, à force de presser le citron.

En somme, la monétisation de la dette, qui est depuis longtemps l'un de mes combats politiques, est vitale pour l'indépendance du pays et pour la prospérité de l'Europe. Contrairement à ce que vous prétendez, ce débat n'oppose pas le libéralisme au collectivisme mais la démocratie à l'oligarchie. Il ne fait aucun doute que des pays libéraux n'hésitent jamais à monétiser la dette, parce qu'encore une fois, ils savent que la monnaie doit être non pas un esclavage, mais au service des nations, et qu'il appartient à la représentation populaire de l'organiser.

Voilà pourquoi ce projet de résolution constitue une excellente étape, mais je regrette une fois de plus que, soumis à l'Allemagne et à l'instance supranationale européenne, vous ne précipitiez notre pays dans le chaos. Un jour ou l'autre, la vérité apparaîtra !

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