Intervention de Staffan de Mistura

Réunion du mercredi 11 octobre 2017 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Staffan de Mistura, envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la Syrie :

Il y a beaucoup à dire sur le sujet et j'essaie de me limiter.

Selon le droit international, l'intervention des Russes n'est pas illégale puisqu'elle était réclamée par le gouvernement. Quand une intervention s'effectue à la demande d'un gouvernement en place, on ne peut pas dire qu'elle est tout à fait illégale. L'Europe, la France, l'Allemagne et les États-Unis ont d'ailleurs appliqué ce principe en Irak quand leur présence militaire était demandée pour combattre Daech. Vous aurez constaté qu'il n'y a jamais eu un vrai débat à l'ONU sur l'illégalité de la présence russe en Syrie. Le débat a plutôt porté sur la façon avec laquelle ils ont utilisé leur force militaire pour, par exemple, aider le gouvernement dans le bombardement d'Alep ou des hôpitaux.

Les Russes n'ont aucun intérêt à rester longtemps en Syrie, ne serait-ce que parce que des élections présidentielles auront lieu l'année prochaine en Russie. En outre, ils n'ont pas oublié leur expérience en Afghanistan. J'étais là, le matin où le dernier général russe a quitté Kaboul. Je les ai vus. C'est un traumatisme qu'ils ont bien surmonté. Poutine était un jeune officier à l'époque mais il s'en souvient. Enfin, leur présence n'est pas très soutenable sur les plans politique et économique. Avec 22 millions de sunnites sur son territoire, la Russie essaie d'entretenir de bons rapports avec l'Arabie saoudite. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas une bonne idée de rester trop longtemps. Les Russes ont un intérêt que nous partageons : trouver en Syrie une porte de sortie qui n'ouvre pas sur les mêmes paysages qu'en Libye ou ailleurs, où la chute des gouvernements a fait place au chaos. Dans ces cas-là, tout à coup émerge un nouveau Daech.

Dans certains pays du monde, la démocratie peut sans doute être appliquée d'une manière différente de chez nous, mais la tenue d'élections est importante. Les gens expriment un besoin d'élections à condition que celles-ci soient gérées par l'ONU. Le résultat du futur scrutin sera probablement marqué par le manque d'entraînement des Syriens qui ont vécu cinquante ans sans démocratie. Je constate ce manque lors des négociations : quand les Syriens ne sont pas d'accord, ils ne discutent pas, ils sortent de la pièce. Ils n'ont pas un gène de la négociation et Assad père leur demandait de choisir entre l'acceptation et la mort. Pour montrer leur désaccord, ils s'en vont. Les élections ne vont donc pas être faciles. Si je me réfère à celles que j'ai organisées en Irak et en Afghanistan, qui étaient loin d'être parfaites, je peux néanmoins dire que les habitants ont trouvé que c'était beaucoup mieux que le chaos qui les avait précédées. Nous-mêmes, en Europe, avons appliqué la démocratie à partir d'une certaine période.

Conclusion : il faut des élections. Vont-elles produire un autre homme – ou une autre femme ? Les femmes ne sont pas du tout représentées dans les délégations syriennes que je rencontre et je me bats pour empêcher qu'elles ne soient éliminées des pourparlers. Il peut émerger une forte personnalité – femme ou homme – à la tête de la Syrie avec une constitution qui lui donne des superpouvoirs comme celle d'aujourd'hui. La Syrie ne va pas devenir la Suisse prochainement ; nous savons que cela va prendre du temps.

Sans vouloir me mêler de la politique intérieure française, je pense que les lignes rouges tracées par le président Macron sont tout à fait légitimes, importantes et valables. Il y a eu des attaques chimiques, des horreurs. La paix humanitaire actuelle ne se passe pas bien, mais on n'est plus dans l'horreur vécue il y a un an ou un an et demi, quand des enfants crevaient de faim. Que l'initiative vienne du président Macron ou d'un autre, il est valable et fort de tracer une ligne rouge quand la situation humanitaire se dégrade à l'excès et quand une attaque chimique a été lancée.

À ce moment particulier – la fin d'une période sinon de la guerre –, il faut aussi insister pour que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité se réunissent pour essayer d'éviter une partition, une dégradation, une guérilla de basse intensité, une absence de reconstruction, un non-retour des réfugiés. Nous le souhaitons. Est-ce que c'est possible ? Oui. Est-ce que c'est difficile ? Oui, parce que subsistent encore des intérêts différents.

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