Intervention de Pierre Dharréville

Séance en hémicycle du lundi 27 juillet 2020 à 21h30
Bioéthique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

Aucun espace pour la marchandisation, pour les intérêts privés. Le capitalisme est sans conscience, et il est en cause dans le sujet qui nous occupe.

C'est bien dans notre monde que les multinationales les plus puissantes, celles du numérique, investissent lourdement dans les biotechnologies, sont prêtes à racheter pour des centaines de millions de dollars une start-up dont l'idée semble vaguement profitable.

Engagées dans une compétition, des forces considérables ont investi ce champ et nous vendent, instrumentalisant nos désirs, une vie sans maladie, une intelligence surhumaine, une humanité augmentée, un vieillissement aboli.

Cette illusion de l'individu infini est un danger pour l'humanité. Elle prétend que tout est réparable, que tout a sa solution dans la technique, sans jamais chercher dans les conditions matérielles, dans la transformation des rapports sociaux, dans le respect de l'environnement, des sources d'amélioration, de bien-être, d'épanouissement. Elle nourrit des intérêts financiers qui n'ont que faire du processus d'humanisation de l'humanité. La personne humaine est, je le rappelle, le produit de tout un processus civilisant.

Selon Hugo Aguilaniu, chercheur au CNRS, notre capacité de rajeunissement a été concentrée dans la fonction de reproduction et ce choix évolutif nous a permis de développer d'autres capacités. « La vie, c'est plus rigolo pour nous que pour une hydre » affirme-t-il. Une chose est sûre : vouloir nous défaire d'une condition humaine dont les limites nous déplairaient pourrait nous entraîner vers d'inquiétantes rives.

Se pose donc la question de savoir si l'on doit poser des limites et qui doit poser celles que les forces considérables de l'argent n'ont pas 1'intention de se fixer. Qui juge des bénéfices et de leur prix ? Pourquoi cherchons-nous ? La seule chose qui doit prévaloir, la seule boussole, c'est le respect de la dignité humaine, c'est-à-dire de tout être humain et de tout l'être humain.

Ce n'est pas sans conséquence. C'est dire que ce qu'on autorise pour une personne peut emporter des conséquences pour tout le genre humain, donc que les désirs d'une personne ne sont pas fondés à prendre force de loi. Cependant, ils doivent être entendus, ils doivent être examinés à l'aune de ce qu'ils engagent. C'est dire qu'il ne revient pas aux chercheurs ou aux ingénieurs, ni aux demandeurs, de décider de ce qui mérite d'être fait en matière de biotechnologies. Toujours vient s'inviter la question du sens et lorsqu'elle est écartée, on peut craindre pour l'éthique. C'est ainsi qu'il faut se frayer un chemin. Cela appelle une vision cohérente et conséquente, et non une ligne fluctuante guidée par une logique de concessions à laquelle nous n'avons pas été habitués par ailleurs et un esprit de compassion fébrile.

Une faible cohérence nous fait courir le risque d'une architecture éthique fragile qui appellerait la transgression. Parlons par exemple de cette notion d'origine. Vous en avez une conception historico-sociale quand vous écrivez la filiation et biologisante quand vous inventez le « droit aux origines ».

Comment s'y retrouver ? Vous prenez une position plutôt réservée sur les tests dits récréatifs et vous levez l'anonymat du donneur, arguant d'une logique juridique qui ne tient pas. Vous invoquez l'intérêt de l'enfant comme justification ultime sans jamais convoquer de démonstration, et cela peut se retourner aisément comme certains vous le font observer, et je ne leur donne pas raison sur l'objectif, à propos des enfants nés de GPA à l'étranger. Il y a donc besoin de fondations solides et ces zigzags menacent de nous faire prendre les pieds dans le tapis.

Je veux dire au passage notre attachement au don dans toute sa dimension désintéressée et notre opposition farouche à toute marchandisation du corps, des produits du corps et de tout ce qui relève de la personne. Nous devons conforter les logiques du don, qui construisent une humanité solidaire face aux épreuves. Je veux aussi appeler l'attention sur des enjeux autour du plasma et des médicaments dérivés de produits du corps, pour lesquels nous devons garantir une sécurité et une gratuité. Les intérêts privés sont déjà bien épris du sujet. Je veux dire également notre inquiétude à l'égard de la situation du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies.

Le débat s'est beaucoup concentré sur l'évolution de l'assistance médicale à la procréation, qui n'est qu'un des aspects du texte – certains, dont je ne suis pas, y voyant une révolution civilisationnelle. L'assistance médicale à la procréation est déjà possible avec tiers donneur. Des femmes en couple avec un homme avec qui elles portent un projet parental y ont recours. On ne voit pas bien sur quels fondements on pourrait continuer à en refuser l'accès à l'ensemble des femmes porteuses d'un projet parental sans opérer une discrimination. Des femmes réalisent aujourd'hui leur projet en marge. Il y a une cohérence manifeste à ouvrir ce droit à toutes et pour que cela ne soit pas un terrain d'inégalités sociales, il convient que cela fasse l'objet d'une prise en charge par la sécurité sociale.

La meilleure façon de la garantir est de pouvoir s'appuyer sur un service public adapté aux besoins et non pas, comme je l'entends parfois, de prendre acte de son insuffisance de moyens pour développer un secteur privé. Celles et ceux qui y travaillent, celles et ceux qui en ont fait l'expérience, savent que l'objet de ce secteur public est simplement de répondre aux demandes d'assistance à la procréation. Cette possibilité étant également ouverte à toutes, chacune pourra s'engager dans une démarche parentale par le biais de l'assistance médicale et de l'accompagnement qui va avec. Il s'agit bien d'accéder à une technique précise, sans se parer de faux-semblants et en assumant ce choix.

Contrairement à ce qui est parfois agité par certains, cette réflexion ne conduit pas à ouvrir le droit à la gestation pour autrui, qui n'existe pas en France, pratique contre laquelle notre groupe s'élève avec vigueur. La GPA consiste à instrumentaliser lourdement le corps d'une femme, à en faire marchandise, à provoquer un arrachement, et nous y sommes farouchement opposés. Tout ce qui pourrait constituer un encouragement à y recourir doit être écarté, et la position de notre pays doit être claire.

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