Intervention de Michel Larive

Séance en hémicycle du mardi 14 novembre 2017 à 15h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 - projet de loi de finances pour 2018 — Culture

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Larive :

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je voudrais moi aussi rendre hommage à Jack Ralite, qui vient de nous quitter.

La culture, c'est la manière de vivre d'un groupe, d'une communauté ou d'une société tout entière. Le capitalisme débridé, débarrassé de toute considération humaniste et sociale y voit, là encore, l'occasion d'imprimer sa conception néolibérale du fonctionnement de nos sociétés. À cette fin, le véhicule idéal pour légitimer et moraliser ce qui doit être et advenir, c'est le mécénat. Dans la lignée du prêt-à-consommer, on nous propose le prêt-à-penser.

Le poids de la culture est de 57,4 milliards d'euros en 2014, soit 3,2 % du PIB. L'impact total de la culture représente près de 6 % de la valeur ajoutée de la France. On se rend compte alors qu'il est intéressant pour tout spéculateur en recherche de profits de participer au captage de cette manne financière. Le naming des grands événements culturels, l'achat par de grands groupes financiers de salles de spectacle, la participation de fondations privées aux manifestations culturelles de premier plan sous forme de mécénat, constituent non pas une action philanthropique d'envergure, mais bien un moyen de défiscaliser à grande échelle. Si, de surcroît, on vous offre le patrimoine de la nation pour exposer vos collections privées, ce serait idiot de ne pas s'approprier la Bourse du commerce ou le bois de Boulogne !

Cette emprise de plus en plus importante du mécénat, qui vise à privatiser l'action culturelle, a pour effet pervers de banaliser l'oeuvre d'art et parfois son auteur. C'est ainsi qu'on peut associer Picasso à une voiture et Vermeer à un yaourt. Utiliser l'art comme instrument de formatage des foules permet de favoriser la consommation au détriment de la réflexion.

Ajoutez à cela le dogme de l'austérité initié par l'Union européenne, qui permet à l'État français de justifier son désengagement dans les affaires culturelles du pays, et vous saurez pourquoi la culture est devenue la variable d'ajustement des budgets des politiques publiques. Cette situation offre une opportunité formidable au mécénat privé, qui s'enorgueillit de sauver le patrimoine culturel français, matériel ou immatériel. On peut alors justifier les orientations des programmations des grands festivals et l'exposition des valises de Louis Vuitton au Grand Palais !

En revanche, l'action culturelle territoriale, pas assez rentable, pâtit de la baisse des subsides qu'elle reçoit de l'État ou des collectivités, et ne bénéficie du soutien d'aucun mécénat. Telle est une autre incidence perverse de ce désengagement : le déséquilibre culturel territorial, qui confine au désert culturel dans certaines contrées de notre pays.

Le foisonnement des actions culturelles que le monde entier nous envie encore aujourd'hui se fonde sur l'implication citoyenne, notamment sur la diversité des acteurs qui créent et diffusent leurs oeuvres. Or il s'agit de l'autre variable d'ajustement que le système capitaliste privilégie depuis sa création : l'humain. Nous parlons de la suppression du contrat aidé, des attaques menées depuis vingt ans contre le régime spécifique de l'intermittent du spectacle, ou du contrat précaire utilisé notamment chez France Télévisions.

Il est fort regrettable d'oublier les travaux du Conseil national de la Résistance, notamment ceux de Christiane Faure, qui proposait un ministère de l'éducation populaire parallèle à celui de l'action culturelle. Avant elle, Jean Zay, pendant le Front populaire, rêvait d'un grand ministère de l'éducation et de la culture.

L'action culturelle doit permettre à chacun d'accéder à la possibilité et au droit de manifester son existence, sa créativité, ses sentiments et sa pensée, et de les partager avec le plus grand nombre. Il s'agit là de promouvoir effectivement le bien commun.

L'action culturelle participe de l'émancipation de notre peuple. Elle est l'antidote absolue contre les obscurantismes, qu'ils soient religieux ou politiques. Un peuple cultivé est un peuple libre.

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