Intervention de Patrick Hetzel

Séance en hémicycle du lundi 21 septembre 2020 à 16h00
Programmation de la recherche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Hetzel :

Toutefois, pour qu'une telle loi soit efficace, elle doit remplir deux conditions au moins : d'une part, avoir des objectifs clairs ; d'autre part, être consensuelle.

Or le Gouvernement ne sait pas où il va : pas de vision stratégique, pas de souffle, pas de mise en perspective destinée à montrer que la recherche française est plus que jamais stratégique pour construire l'avenir de notre pays et lui permettre de rester dans le peloton de tête du concert des nations. Où est l'État stratège dans ce texte ? Le groupe Les Républicains, comme d'autres dans l'hémicycle, est l'héritier du programme du Conseil national de la Résistance. Celui-ci avait su donner un élan salutaire grâce à un État insufflant une vision pour construire la France du futur et s'appuyant sur toutes ses forces vives, dont les chercheurs. Avec votre texte, nous sommes hélas loin de tout cela, car c'est avant tout une juxtaposition de mesures technocratiques.

Et c'est peu dire qu'il ne rassemble pas, ne crée pas de vision partagée. Il suscite la défiance quand il devrait instaurer la confiance. Or l'expérience montre qu'une loi de programmation pour laquelle le Gouvernement n'a pas réuni préalablement un minimum de consensus est vouée à l'échec avant même qu'elle ne soit mise en oeuvre, puisque toute alternance politique risque de la remettre en cause et que les principaux acteurs concernés n'y adhèrent pas.

Vous l'aurez compris : l'absence de véritable vision stratégique et le manque de consensus sont de nature à remettre sérieusement en cause votre projet de loi.

Mais les problèmes qu'il pose ne s'arrêtent hélas pas là. Ainsi, on peut déplorer que la programmation se fasse sur dix ans et non sur sept comme toutes les lois de programmation jusqu'à présent. D'ailleurs, la quasi-totalité des groupes politiques le soulignent, tout comme le Conseil d'État. Sans compter qu'on peut douter de la sincérité de votre promesse d'apporter des milliards en 2027, 2028, 2029 et 2030 puisqu'elle enjambe deux quinquennats. Concernant les financements, il y a donc un problème de calendrier, mais aussi de tempo. Si l'on veut redresser la barre pour la recherche française, il faut mettre à sa disposition des moyens importants dès à présent. C'est en début de programmation, quand vous êtes aux manettes, que vous devez faire preuve d'audace ; or vous faites strictement l'inverse, madame la ministre.

À cela s'ajoutent les modalités du financement. À combien s'élèvera réellement le budget du programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires », une fois les effets du compte d'affectation spéciale – CAS – « Pensions » neutralisés ? Il s'agit certes de dépenses de l'État destinées à payer les retraites des chercheurs, mais les laboratoires ne verront jamais ces sommes-là.

En outre, vous nous annoncez des hausses substantielles de budget mais nous savons qu'avec la réforme des retraites, l'État verra ses charges patronales baisser, autrement dit ses dépenses seront moindres. Pour le périmètre de l'enseignement supérieur et de la recherche, ces diminutions de cotisations seront d'environ 20 milliards d'euros sur la période 2021-2030. Or vous ne nous annoncez que 15 milliards pour la recherche sur cette même période. On peut donc légitimement se demander s'il ne s'agit pas juste d'une opération de bonneteau par laquelle l'État réussira à redistribuer moins d'argent à la recherche qu'il n'en récupérera puisque la différence est de 5 milliards d'euros.

Autre problème majeur de votre loi : vous ne vous préoccupez pas vraiment de l'articulation entre recherche publique et recherche privée. À titre d'illustration, dans les sciences du vivant, le budget annuel consacré à la recherche par les industriels du médicament en France s'élève à 4,5 milliards d'euros alors que le financement public représente 47 millions d'euros, soit 1 % du budget total. C'est bien cette complémentarité de la recherche publique et de la recherche privée qui permet à l'innovation de se développer et aux patients de bénéficier de traitements. Cet enjeu apparaît d'autant plus stratégique avec la pandémie de covid-19.

Enfin, ce texte repose sur une dichotomie entre recherche et enseignement supérieur, sujet sur lequel je vous ai déjà alertée en commission, madame la ministre. Vous négligez le rôle essentiel de l'enseignement supérieur en général et de nos universités en particulier en matière de recherche, rôle qui s'est fortement accentué ces dernières décennies, et c'est heureux. Le problème, c'est que votre texte semble totalement l'ignorer. Encore une occasion manquée de mettre enfin nos universités au coeur de notre système de recherche, y compris dans la loi.

Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que notre groupe est d'un scepticisme extrême à l'égard de ce texte qui nous paraît davantage destiné à faire de la communication gouvernementale qu'à agir.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.