Intervention de Julien Aubert

Séance en hémicycle du jeudi 3 décembre 2020 à 21h00
Développement raisonnable de l'éolien — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Aubert, rapporteur de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire :

Mes pensées les plus émues vont à sa veuve et à ses proches. Si cette citation m'est revenue lorsque j'écrivais mon discours, c'est parce que, voilà quelques mois, il m'avait contacté, car il considérait que notre combat contre les éoliennes était juste et il souhaitait me rencontrer. Le confinement puis la maladie l'en ont empêché. Il est symbolique que ce texte soit examiné en ce jour si particulier.

Cette proposition de loi, que j'ai déposée avec mes collègues Vincent Descoeur, Marc Le Fur, Véronique Louwagie, Emmanuel Maquet et Didier Quentin, cosignée par quarante-quatre de mes collègues, vise à raisonner le développement de l'éolien. Elle ne sort pas de nulle part, mais d'une commission d'enquête qui nous a occupés pendant six mois et au cours de laquelle nous avons procédé à une centaine d'auditions. Mes collègues et moi-même en avons retiré une observation simple : s'il arrive qu'il y ait des résistances sur tous les sujets relatifs à la transition énergétique, celui de l'éolien en suscite de particulières. Des maires, des conseillers départementaux, des conseillers régionaux, des parlementaires, des agriculteurs, des pêcheurs, des acteurs du patrimoine et des citoyens sont tous venus faire la queue devant la commission d'enquête en demandant : « S'il vous plaît, écoutez-nous ! » Le débat à venir sera l'occasion de voir si la majorité sera capable ou non d'écouter et de sortir de l'idéologie.

Commençons par un diagnostic : le développement de l'éolien a connu un essor formidable : en vingt ans, la puissance installée a été multipliée par 36. L'évolution a donc été très importante et le constat d'un développement anarchique est largement partagé. Je me permettrai à cet égard de citer le Président de la République, qui a appelé à être lucide en expliquant que le consensus sur l'éolien s'effritait. Mme Borne elle-même, qui vous a précédée dans vos fonctions, madame la ministre de la transition écologique, reconnaissait au Sénat, en février dernier, qu'il y a eu un développement anarchique de l'éolien terrestre, que l'État a laissé s'implanter certains projets de parcs éoliens en co-visibilité avec des monuments historiques ou dispersés, et qu'il y a une saturation visuelle et un sentiment d'encerclement parfois insupportables autour de certains bourgs.

Pourtant, de manière inexplicable, alors que nous savons qu'il y a un petit, ou plutôt un gros problème d'acceptabilité, la PPE – programmation pluriannuelle de l'énergie – a décidé d'aller plus loin en ambitionnant de porter à 15 % la production d'électricité française d'origine éolienne en 2028, ce qui suppose de doubler le nombre de mats pour atteindre un total de 14 000 à 16 000 d'ici à cette date et d'accroître le nombre de parcs éoliens en mer.

Cette marche forcée du déploiement de l'éolien est décidée d'en haut, depuis Paris, où la campagne est considérée comme un réservoir. En effet, il est plus facile d'implanter des éoliennes dans l'Orne si l'on habite place du Panthéon et qu'on les voit donc de loin ! Cette politique est appliquée par les préfets, tandis que les élus locaux n'ont pas leur mot à dire. Il s'agit d'une fausse politique d'aménagement du territoire. En réalité c'est au petit bonheur la chance : si les objectifs sont nationaux, ce sont des opérateurs privés qui vont ensuite démarcher des propriétaires. Il en résulte que les éoliennes sont inégalement réparties sur le territoire, avec parfois un effet de saturation important : sur les près de 2 000 parcs éoliens implantés en France métropolitaine, un quart sont situés dans Les Hauts-de-France et 20 % dans le Grand Est. La justice administrative reconnaît d'ailleurs cette saturation : pas plus tard que cette semaine, le tribunal administratif d'Amiens a retoqué un projet de construction d'éoliennes dans la Somme, motivant sa décision notamment par l'effet d'encerclement de villages proches.

L'implantation de parcs éoliens nuit à la qualité de vie des riverains à cause des nuisances acoustiques et visuelles, au détriment de leur santé, et, d'après l'OMS – l'Organisation mondiale de la santé – , pas seulement leur santé physique, mais aussi leur santé mentale, psychologique. Selon un sondage de l'institut de sondages CSA, près de 31 % des personnes qui vivent à proximité des éoliennes s'estiment gênés par le bruit. Tous les partis admettent le problème des infrasons. Quant au paysage, l'éolien vertical, venant briser la ligne d'horizon, est susceptible de capter le regard au détriment de tel ou tel monument exceptionnel situé sur la même ligne d'horizon.

L'autre problème est évidemment le coût. En 2019, la CRE – Commission de régulation de l'énergie – , que j'avais interrogée, l'a estimé entre 73 milliards et 90 milliards d'euros, pour produire, je vous le rappelle, 15 % de l'électricité, à comparer aux 80 milliards d'euros qu'a coûté la construction du parc nucléaire, à la source de 75 % de notre électricité pendant quarante ans. Cette préférence financière tacite pour l'éolien a évidemment pour conséquence de priver de financements les autres énergies, comme l'hydrogène, qui bénéficie d'un soutien public 10 fois moins important, ou les SMR, les petits réacteurs nucléaires modulaires de nouvelle génération, qui se disputent quant à eux 50 millions d'euros, soit 150 fois moins que l'éolien.

Rappelons enfin que le développement de cette énergie introduit une forme d'instabilité dans le réseau électrique. Ce n'est pas moi qui le dis, mais le directeur exécutif de l'AIE – Agence internationale de l'énergie – , Fatih Birol. Celui-ci a appelé l'attention sur le risque accru de black-out en période de faible consommation, comme celle entraînée par les mesures de confinement. Il considère que l'intermittence de cette production, dépendante des conditions météorologiques, ruine le modèle des énergies pilotables – le nucléaire, le fossile ou encore l'hydroélectrique – , indispensables pour satisfaire la consommation en l'absence de vent. Il ne faut pas plaisanter avec ce risque : je vous rappelle que le black-out qui a frappé New York en 1977 pendant 36 heures a coûté 150 millions de dollars. Mon avant-propos au rapport de la commission d'enquête sur les politiques de transition énergétique alertait les pouvoirs publics sur ce risque.

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