Intervention de Christian Eckert

Réunion du mercredi 12 juillet 2017 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Christian Eckert :

Mon propos aura vocation à compléter celui de mon collègue Michel Sapin. Si nous avons eu l'habitude de faire des interventions communes au cours des dernières années, la répartition des compétences selon laquelle nous nous exprimions jusqu'à présent, résultant de nos fonctions respectives au ministère des finances, se trouve aujourd'hui inversée : ainsi, après les explications comptables et techniques qu'il vient de vous donner, je vais plutôt vous entretenir de l'aspect général et politique du sujet qui nous réunit aujourd'hui.

Avant cela, je commencerai par vous remercier de nous avoir invités, monsieur le président, et de nous donner ainsi l'occasion de nous expliquer. Nous avons en effet été choqués par certains mots, mais aussi étonnés par la méthode employée. Je rappelle que nous n'avons reçu aucune information sur le rapport avant sa publication, et que la presse a disposé de ce document plusieurs jours avant que nous n'en prenions nous-mêmes connaissance, ce qui nous a placés dans une position inconfortable lorsqu'il s'est agi d'apporter rapidement des réponses techniques aux questions qui se posaient.

Si j'ai un très léger reproche à adresser à Michel Sapin au sujet de son intervention, c'est celui de n'avoir parlé que du « trou » de 8 milliards d'euros et des 4,5 milliards d'euros de mesures de redressement à prendre, sans dire que l'écart entre ces deux chiffres correspond très exactement à la différence entre un déficit de 3,2 % du PIB et un déficit de 3 %. Nous avions pour notre part fixé un objectif de 2,8 %. Nos services et la Cour des comptes retenaient plutôt le chiffre de 3,2 %, ce qui représente une différence de 8 milliards d'euros. Si nous avions retenu cet objectif de 2,8 %, c'était pour mettre tout le monde sous tension, compte tenu de la difficulté à contenir la dépense et les déficits. Cela dit, il n'a échappé à personne qu'au moment de nos échanges sur le programme de stabilité, nous avions simplement dit souhaiter revenir sous la barre des 3 %, le chiffre de 2,8 % étant passé au second plan. Aujourd'hui, le Gouvernement parle de 4,5 milliards d'euros de mesures de redressement, ce qui correspond à un déficit d'environ 3 %. Les 3,6 milliards d'euros – ou 4,2 milliards d'euros, en fonction des estimations – détaillés par Michel Sapin s'expliquent donc parfaitement par la différence entre notre objectif ambitieux d'un déficit de 3 % et la fixation de ce déficit à 3,2 %.

Je voudrais revenir sur le caractère habituel, pour ne pas dire banal, de la pratique consistant à prendre pour 4 milliards d'euros environ de mesures de redressement en cours d'année. Certes, construire un budget est un exercice difficile, mais l'exécution budgétaire ne l'est pas moins, et revêt un caractère extrêmement important. La notion d'insincérité pouvant évoquer l'idée de dissimulation, je voudrais rappeler la fréquence de nos contacts et la transparence de nos échanges : nous avons régulièrement transmis des informations à l'Assemblée nationale et au Sénat, et répondu à toutes les sollicitations en ce sens des présidents et des rapporteurs généraux des deux commissions des finances.

La Cour des comptes reconnaît elle-même qu'en 2016 « la réserve de précaution a ainsi limité les dépenses à hauteur de 5,8 milliards d'euros ». Dire que faire 4,5 milliards d'euros d'économies en cours d'année est inédit et quasiment impossible est donc une erreur, puisque nous l'avons systématiquement fait. En 2016, nous l'avons fait en plusieurs fois, avec un décret d'avance en juin, annulant un milliard d'euros de crédits ; un autre en septembre, annulant 700 millions d'euros de crédits ; un autre en novembre, annulant un milliard d'euros ; enfin, une loi de finances rectificative annulant le solde nécessaire pour parvenir à une réduction totale de 5,8 milliards d'euros.

En 2014, nous avions pris pour 4 milliards d'euros de mesures de redressement.

Dans une exécution budgétaire, les aléas sont nombreux, car ils ne portent pas seulement sur les dépenses, mais aussi sur les recettes. C'est pourquoi nous devons tous – parlementaires, ministres et magistrats de la Cour des comptes – savoir faire preuve d'une certaine humilité en matière de prévisions. Même examiné au mois de juin, un budget n'est jamais que prévisionnel ! Qui peut dire aujourd'hui, à un milliard près, ce que seront les recettes de TVA en 2017 ? Cette taxe est liée directement au niveau de la croissance et à celui de l'inflation ; or tout le monde s'accorde à reconnaître que la croissance est probablement supérieure au taux de 1,5 % que nous avions retenu.

D'une manière générale, les recettes ont un caractère très volatil. Ainsi, l'impôt sur les sociétés fait toujours l'objet d'un versement par les très grandes entreprises de ce que l'on appelle le « cinquième acompte » à la mi-décembre – un acompte représentant une anticipation du calcul par les entreprises concernées de leur assiette fiscale pour l'année en cours. En 2015, nous avions eu la bonne surprise d'avoir plus d'un milliard d'euros de recettes supplémentaires sur le cinquième acompte, ce qui n'a rien d'étonnant quand on sait qu'il suffit pour cela qu'une ou deux grandes entreprises – essentiellement des banques – anticipent un bénéfice fiscal supérieur. Cela dit, cette situation n'est pas systématique : je rappelle que, si cet aléa s'est soldé par un résultat positif d'un milliard d'euros en 2015, on a observé un résultat négatif de près de 2 milliards d'euros en 2016, la plupart des grandes entreprises ayant anticipé une baisse de leur bénéfice fiscal.

J'insiste donc sur la nécessité que nous restions tous humbles lorsqu'il s'agit d'établir des prévisions. L'analyse finale des comptes se fera au moment de la loi de règlement, c'est-à-dire dans un an pour l'exercice 2017. Affirmer aujourd'hui de manière péremptoire qu'il va manquer tant de milliards d'euros pour parvenir à tel ou tel résultat est très imprudent, et j'invite chacun à la plus grande circonspection en la matière.

J'en viens à la réserve de précaution, qui a grossi au fil du temps. Je rappelle que cette réserve correspond à des crédits immobilisés – qui ne sont jamais ceux du titre II : on sait, ainsi, que la masse salariale est toujours exécutée conformément aux prévisions, à peu de chose près – de façon à pouvoir faire face aux aléas qui peuvent survenir au cours d'une année, qu'il s'agisse d'un événement climatique, d'une calamité agricole, d'opérations militaires extérieures non prévues, ou d'événements macroéconomiques ou géopolitiques portant par exemple sur le prix du pétrole ou les taux d'intérêt. Cette réserve de précaution peut être augmentée certaines années – parfois à la demande du Parlement, comme cela avait été le cas récemment dans le cadre de l'examen par le Sénat du projet de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques. À quoi les 13 milliards d'euros qui composent actuellement la réserve de précaution sont-ils destinés ? Ils servent parfois à couvrir des besoins que Michel Sapin a évoqués tout à l'heure, et dont le caractère récurrent irrite régulièrement certains parlementaires, mais aussi le ministre du budget. En fin d'année, ils permettent aussi d'annuler un certain nombre de crédits.

Est-ce une bonne chose ? Certes, la présence de cette réserve constitue une sorte de filet de sécurité permettant de faire face, au cours d'une année, à de nouveaux besoins ou des décisions politiques non prévues. Cependant, il ne faut pas abuser d'une pratique revenant à déposséder le Parlement de sa capacité de décision et de proposition, en permettant au Gouvernement de déplacer un certain nombre de crédits – dans des proportions certes limitées. Pour cette raison, une réflexion pourrait être menée au Parlement sur l'ampleur et l'utilisation de la réserve de précaution. En tout état de cause, aujourd'hui c'est bien cette réserve qui va permettre de faire face à un certain nombre de dépassements, que Michel Sapin a exposés dans le détail.

Je me permets par ailleurs d'évoquer un point passé sous silence par la Cour des comptes, à savoir le fait que nous avons procédé à un gel supplémentaire de crédits, pour 1,4 milliard d'euros, à la fin du mois d'avril 2017, selon des modalités détaillées et transmises à votre commission. Nous n'avons pas recouru à un décret d'avance pour annuler ces crédits, estimant qu'il y avait tout lieu, à proximité d'une échéance pouvant laisser présager un changement de majorité, de laisser au futur gouvernement la liberté de faire d'autres choix, soit en volume, soit en répartition. Ainsi, en accord avec l'ensemble du gouvernement et le Président de la République de l'époque, nous avions pour notre part décidé d'annuler 350 millions d'euros de crédits du ministère de la défense afin de parvenir à ce montant de 1,4 milliard d'euros.

Je veux encore dire un mot sur les perspectives pour l'année 2018. Je rappelle que le Parlement a voté des mesures prévoyant 6 milliards d'euros de baisses d'impôt pour l'année, à savoir : la majoration du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ; la création du crédit d'impôt de taxe sur les salaires dans le secteur de l'économie sociale et solidaire (ESS) – pour environ un milliard d'euros ; la généralisation du crédit d'impôt pour l'emploi de salariés à domicile, notamment pour l'accompagnement des personnes âgées ; enfin, la baisse de l'impôt sur les sociétés, s'inscrivant dans une trajectoire visant à ramener son taux de 33 % à 28 %.

Parallèlement, on a observé des propositions consistant à majorer les dépenses. Il a ainsi été prévu d'augmenter l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), anciennement appelé minimum vieillesse, l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et un certain nombre de dépenses sociales, ce qui donne très logiquement lieu à un débat démocratique sur la nécessité de mettre en place des contreparties visant à financer ces baisses d'impôts supplémentaires. Pour ma part, je m'interroge sur les économies réalisées par l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC) à la suite d'un accord signé par les partenaires sociaux et désormais mis en oeuvre, et sur les modifications relatives à la prise en charge d'un certain nombre de dépenses.

Même si nous n'avons pas observé la même répartition des rôles que par le passé, j'espère que notre intervention en duo vous a donné satisfaction et permis d'obtenir des réponses à toutes les questions que vous vous posiez.

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