Intervention de Paul-André Colombani

Séance en hémicycle du lundi 1er février 2021 à 21h00
Respect des principes de la république — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul-André Colombani :

Le contrat d'engagement républicain qu'il prévoit aura des répercussions pour les associations de promotion de langues régionales. Quelle pertinence y a-t-il à demander aux autorités administratives de s'assurer du respect par les associations de certains grands principes et certains fondamentaux, tellement flous qu'ils ont nécessité la production d'une très abondante jurisprudence constitutionnelle pour en délimiter les contours ? Je pense notamment au principe d'égalité, auquel nous sommes bien sûr attachés, mais dont l'interprétation par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel a abouti au blocage de la ratification de la charte européenne des langues régionales, ou à la non-intégration des écoles immersives en langue bretonne, dites écoles Diwan, dans l'éducation nationale. Ainsi le principe d'égalité est-il utilisé par les plus hautes autorités administratives et politiques à l'encontre des défenseurs des langues régionales. Il y a fort à craindre que cet article 6 ne donne une base légale renforcée à l'ensemble des autorités attributaires pour refuser aux associations de langues et cultures régionales des subventions auxquelles elles ont légitimement droit. Cette crainte est renforcée par une communication ministérielle annonçant que, dans ces contrats d'engagement républicain, il s'agirait notamment de veiller au respect de l'emploi de la langue française.

Qu'en sera-t-il également des associations à caractère politique, dont le seul objet vise l'émancipation des peuples ou la défense des prisonniers politiques ? L'article 6 ne saurait, sous couvert de lutter contre le terrorisme islamiste, chercher à empêcher l'existence des associations régionalistes, autonomistes ou indépendantistes qui luttent pour l'émancipation des peuples qui, au nom du principe d'indivisibilité de la République, ne sont pas reconnus en France. Il en va de même pour la défense des prisonniers politiques, qui ne bénéficient pas de reconnaissance de leur statut de la part de la justice française.

Il importe d'établir une distinction nécessaire, afin que ce texte soit conforme à la volonté affichée par le Gouvernement de ne pas organiser une chasse aux sorcières des différents mouvements politiques dits séparatistes, qui s'organisent de manière non hostile à la République.

Cela m'amène à aborder un sujet très sensible en Corse : le fichier des auteurs d'infractions terroristes, le FIJAIT, auquel est consacré l'article 3 du projet de loi. L'expérience que nous avons de son application renforce la grande méfiance que nous inspire ce texte. Créé à la suite des attentats islamistes sanglants de 2015 afin de lutter contre la récidive des terroristes islamistes radicaux, il est également utilisé pour répertorier de nombreux militants politiques corses, basques, altermondialistes ou écologistes, condamnés pour des faits dont la gravité est sans commune mesure avec ceux perpétrés par ces terroristes. Ce fichier ne prévoit pas de différences de traitement : tous ceux qui y figurent sont placés sur le même plan, ce qui risque de susciter des amalgames avec le terrorisme islamiste, évolution dangereuse qui ouvre la porte à une dérive répressive dans l'utilisation du fichage anti-terrorisme.

Mes chers collègues, à la lecture de ces éléments sémantiques, juridiques et historiques, il est donc permis de douter que ce texte permettra de lutter contre le séparatisme islamiste sans toucher par extension tous les autres courants politiques dits séparatistes. Est-on considéré comme républicain, lorsqu'on se définit comme régionaliste, fédéraliste, autonomiste ou indépendantiste ? Est-on républicain, lorsque l'on parle corse ou breton dans une assemblée élue ou que l'on défend l'enseignement des langues régionales à l'école, alors que seul le français est reconnu comme langue de la République ? C'est à toutes ces questions que devront répondre nos débats pour que ces personnes soient clairement exclues du champ que couvre la loi. À défaut, le groupe Libertés et territoires s'opposera à ce texte, qui serait un outil de plus pour lutter politiquement contre les cultures, histoires et langues que nous défendons, en résumé, contre ce que nous sommes.

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