Intervention de Adeline Hazan

Réunion du mardi 14 novembre 2017 à 16h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

Vous me demandez, monsieur Rebeyrotte, si les magistrats sont paresseux : j'ai du mal à vous répondre, mais je constate quand même que lorsqu'il y a des mesures nouvelles, comme le sursis avec mise à l'épreuve ou le travail d'intérêt général, ils mettent un certain temps à se les approprier, indépendamment des difficultés, bien réelles, qu'ils rencontrent et que Mme Vichnievsky a énoncées. Après avoir baissé pendant un certain nombre d'années, le nombre de peines de détention prononcées remonte. Je dirais donc plutôt que les magistrats sont très perméables au nouveau contexte sécuritaire dans lequel nous sommes, en particulier depuis les attentats de janvier 2015. Nous le sentons dans tous les domaines que nous contrôlons, jusqu'à la psychiatrie, et nous entendons ce que dit l'opinion publique : cet impératif de sécurité infuse partout, au point que l'opinion considère le respect des droits fondamentaux comme un luxe qu'on ne peut plus se permettre. C'est contre cela que je m'inscris. Nous devons tous, aux places que nous occupons, veiller à ce que, quelques épreuves que nous traversions, l'équilibre entre la sécurité et les droits fondamentaux soit toujours recherché.

On ne peut se permettre à la fois de vouloir plus de sécurité au motif que le danger est là et, dans le même temps, de se dire que si les droits fondamentaux sont bafoués, ce n'est pas si grave que cela. Or, c'est un peu ce qu'on a entendu lors du débat relatif à la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Ce texte accroît, par exemple, les possibilités de contrôle d'identité, et j'entends beaucoup de gens dire que cela ne les gêne pas car ils n'ont « rien à se reprocher ». Ce n'est pas comme cela qu'il faut raisonner, et il est inquiétant que nous dérivions vers une société du contrôle et de la surveillance, qui nous éloigne de l'État de droit.

Je crois effectivement que tout le monde doit faire de la pédagogie pour sortir de cette dérive, mais il faut aussi que le pouvoir politique ait le courage d'aller, si besoin est, à l'encontre de ce que demande l'opinion publique en ordonnant que l'emprisonnement ne soit requis qu'en dernier recours.

Vous avez raison, madame Vichnievsky, de souligner que pour prononcer des peines alternatives, les magistrats ont besoin de certains éléments. Ce fut l'un des arguments avancés par les magistrats et les CPIP pour ne pas prononcer la contrainte pénale pendant les deux premières années ayant suivi son entrée en vigueur. Des efforts ont été faits pour créer de nombreux postes de magistrat et de CPIP et, pourtant, ces alternatives ne sont pas prononcées. C'est donc surtout une question de culture des magistrats.

Il faut absolument mener une réflexion non seulement sur le sens de la peine, comme l'a annoncé la garde des Sceaux, mais surtout sur le sens des courtes peines, car les prisons débordent de personnes incarcérées pour quelques mois et ces courtes peines n'ont pour effet que d'exclure davantage encore des personnes qui ne sont guère insérées dans la société. Il faudrait aussi se demander si certaines infractions ne devraient pas cesser d'en être : la délinquance routière doit-elle passer devant les tribunaux et être sanctionnée par de la prison ? Loin de moi l'idée de dire que cette délinquance n'est pas grave, mais peut-être y a-t-il d'autres solutions pour la traiter. Ne serait-il pas plus productif, par exemple, d'imposer aux personnes conduisant en état d'ivresse des travaux d'intérêt général dans un hôpital pour qu'elles voient des amputés de la route ? L'opinion croit souvent que la possibilité d'aménager les peines jusqu'à deux ans signifie qu'aucune peine de prison ferme de deux ans ou moins n'est exécutée. C'est, évidemment, complètement faux. Les peines prononcées à l'issue d'une comparution immédiate, même si elles sont de courte durée, sont toutes assorties d'un mandat de dépôt. Or, si une peine de trois ou quatre mois suffit pour désocialiser un détenu, elle est aussi de trop courte durée pour être aménagée ou donner lieu à un parcours d'exécution. On perd sur les deux tableaux.

Monsieur Gosselin, la loi qui énonce le principe de l'encellulement individuel précise bien qu'il ne s'applique qu'à ceux qui le souhaitent. Vous avez raison de souligner que ce n'est pas le cas de tous les détenus. Mais j'ai reçu ce matin encore, comme tout le reste de l'année, le courrier d'un détenu m'expliquant que, bien que non-fumeur et asthmatique, il devait partager sa cellule avec deux fumeurs, contre l'avis explicite de son médecin, parce qu'il n'y avait pas de place ailleurs : c'est inacceptable.

Je suis assez contre les très grands établissements. Tout le monde l'est, d'ailleurs, mais personne ne s'y oppose de fait, car les programmes de construction sont déjà lancés. Certes, les très grands établissements sont plus propres et les détenus y ont leur cellule individuelle. Mais détenus et surveillants sont nombreux à nous dire qu'ils préfèrent encore être à Fresnes. On imagine bien que c'est parce qu'il n'y a pas de contacts humains dans ces très grands établissements et que tout y est électronique – ce dont souffrent beaucoup les détenus.

Il ne me revient pas de dire quel est le nombre de places souhaitable mais je me souviens qu'il y a quelques années un plan prévoyant la création de 6 000 places en quelques années permettait de reconstruire complètement des prisons qui sont dans un état absolument inacceptable ; 6 000 ou 7 000 places devraient convenir, si tant est que, dans le même temps, on mène la politique dite.

On a parlé de prison ouverte. Certains directeurs d'établissement très actifs ont installé des quartiers de préparation à la sortie, dits aussi quartiers de peine aménagée. Il faut les développer car ils fonctionnent bien. Là, les détenus dont la sortie est proche réapprennent ce qu'est la vie à l'extérieur, ce qui est très important. Or, 80 % des sorties sont des sorties « sèches », alors que toutes les études démontrent que moins les sorties sont préparées et plus élevé est le risque de récidive. On est loin de la fonction de réinsertion assignée à la prison.

Nous publierons, au début de l'année prochaine, un avis sur le module « Respecto ». Je ne puis donc vous donner pour l'instant qu'une réponse partielle. Là où j'ai vu ce programme mis en oeuvre, notamment à Villepinte où je l'ai étudié de près, je l'ai trouvé intéressant car il permet d'envisager la détention autrement, avec plus d'activités et en donnant plus de responsabilités aux détenus. Je sais que certains observateurs le jugent infantilisant parce qu'il est fondé sur un système de points – si on est gentil, on a un point, si on n'est pas gentil, on n'en a pas… Peut-être y a-t-il effectivement des choses à revoir ou peut-être simplement un habillage à repenser mais je vois là une manière intéressante de responsabiliser les détenus.

Il n'y a pas assez de CPIP, c'est exact, mais ils sont plus nombreux qu'ils ne l'étaient. Des postes en nombre important ont été créés à partir de 2014, même s'ils restent en deçà des besoins, étant donné qu'il est impossible à un conseiller chargé de cent dossiers d'exercer son travail dans de bonnes conditions.

Je pense que le placement sous surveillance électronique est une excellente mesure, qui permet de garder un semblant de vie sociale tout en purgeant sa peine. Mais il faut prendre garde à limiter la durée pendant laquelle le dispositif est imposé ; condamnés et professionnels interrogés disent tous qu'au-delà de six mois cela n'est plus supportable pour les intéressés. Il faut donc développer cette alternative à l'emprisonnement, mais pour des périodes limitées.

L'individualisation de la peine doit bien entendu être développée, mais cela suppose que les surveillants et les cadres de l'administration pénitentiaire aient le temps de penser un parcours d'exécution de la peine – et pour cela la prison ne doit pas être occupée à 200 %.

En résumé, des mesures intéressantes sont, pour certaines, annihilées par la surpopulation carcérale.

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