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Jean-Félix Acquaviva
Question N° 19244 au Ministère des armées


Question soumise le 30 avril 2019

M. Jean-Félix Acquaviva attire l'attention de M. le Premier ministre sur la saisine, le 7 mai 2018, du tribunal administratif de Paris, par l'association Action sécurité éthique républicaines, qui demande au juge administratif français d'apprécier la légalité des autorisations d'exportations d'armes délivrées par ses services, sur avis de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEMG), en direction des pays engagés dans la guerre au Yémen, dont l'Arabie Saoudite, l'Égypte et les Émirats Arabes Unis. Depuis plus de 4 ans, la situation ne fait qu'empirer dans ce pays où plus de 22 millions de personnes sont en situation d'urgence humanitaire. Malgré les alertes continues des Nations unies et des ONG sur les graves violations du droit international humanitaire, sur les crimes de guerre, voire les crimes contre l'humanité commis par les pays de la coalition dirigée par l'Arabie Saoudite, le Gouvernement français continue d'octroyer des autorisations d'exportations d'armes vers ces pays. La note « confidentiel-défense » de la direction du renseignement militaire, publiée récemment par le collectif de journalistes Disclose, montre non seulement que les armes françaises servent dans cette guerre, mais en plus que le Gouvernement a connaissance de ces faits depuis le mois d'octobre 2018. Or la France est partie au traité sur le commerce des armes (TCA) des Nations unies et viole ainsi son article 6 qui précise dans ses paragraphes 2 et 3 : « 2. Aucun État Partie ne doit autoriser le transfert d'armes classiques visées par l'article 2 ou de tout autre bien visé par les articles 3 ou 4 qui violerait ses obligations internationales, résultant des accords internationaux pertinents auxquels il est partie, en particulier celles relatives au transfert international ou au trafic illicite d'armes classiques » ; « 3. Aucun État Partie ne doit autoriser le transfert d'armes classiques visées par l'article 2 ou de tout autre bien visé par les articles 3 ou 4 s'il a connaissance, au moment où l'autorisation est demandée, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l'humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d'autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels il est partie ». Aussi, l'Assemblée nationale qui avait voté ce texte le 4 décembre 2013 exigeait bien un arrêt des exportations d'armes si l'un des principes était violé : « soit l'exportation viole l'un des principes et règles énumérés à l'article 6, l'interdiction d'exportation par l'État Partie exportateur est alors obligatoire ». C'est pourquoi il lui demande de respecter les engagements internationaux de la France, particulièrement le traité sur le commerce des armes, conformément à l'article L. 2335-4 du code de la défense, et de suspendre d'urgence les transferts d'armes classiques en direction des pays de la coalition dirigée par l'Arabie Saoudite.

Réponse émise le 18 février 2020

Le principe de prohibition régit la politique menée par la France en matière d'exportation d'armement pour l'exportation de matériels de guerre et assimilés vers les territoires non-membres de l'Union européenne, ainsi que les territoires exclus du territoire douanier de l'Union européenne sans autorisation préalable (article L. 2335-2 du code de la défense). Le Premier ministre est l'autorité qui délivre les autorisations préalables d'exportation, après avis de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Par leur objet même, qui est de fournir des États en équipements militaires, ces autorisations relèvent indissociablement de la politique étrangère de la France. La délivrance de ces autorisations repose sur un ensemble de considérations liées, au premier chef, au respect de nos engagements internationaux, ainsi qu'aux enjeux de stabilité et de sécurité régionales ou internationales, à la lutte contre la prolifération, à la protection de nos forces et de celles de nos alliés. Elle prend en compte par ailleurs, les enjeux économiques, industriels et de renforcement de notre base industrielle et technologique de défense, qui sont l'une des conditions de notre autonomie stratégique et de notre souveraineté. Le respect de la position commune de l'Union européenne 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologies et d'équipements militaires, et du Traité sur le commerce des armes (TCA) entré en vigueur le 24 décembre 2014 est systématiquement observé dans la mise en œuvre de la réglementation relative aux exportations d'armement. A ce titre, le TCA rappelle dans son préambule, le principe du « respect de l'intérêt légitime reconnu à tout État d'acquérir des armes classiques pour exercer son droit de légitime défense [1] et contribuer à des opérations de maintien de la paix, et de produire, exporter, importer et transférer des armes classiques ». La France, à partir d'une évaluation in concreto, apprécie donc, avant toute autorisation, s'il existe un risque manifeste ou prépondérant que les matériels de guerre soient utilisés pour commettre, notamment, des violations graves des droits de l'Homme ou du droit international humanitaire. Or, cette appréciation in concreto est menée dans le cadre de la conduite par le Gouvernement des relations internationales de la France. Elle implique en effet, d'une part, une connaissance précise, acquise par un dialogue avec l'État importateur et grâce à des capacités de renseignement nationales ou d'États partenaires, de l'utilisation que pourraient faire les forces de l'État importateur des matériels livrés et de la façon dont les forces, si elles sont effectivement engagées dans un conflit armé, appliquent les principes de distinction, de proportionnalité, de nécessité et de précaution qui sont au fondement du droit international humanitaire sur les théâtres concernés. Elle inclut, d'autre part, le choix de mettre en place d'éventuelles mesures de remédiation du risque de violation des droits de l'Homme ou du droit international humanitaire (formation, accompagnement à l'appropriation des méthodes et doctrines d'emploi du matériel, restrictions d'usage, démarches diplomatiques etc…), conformément au TCA. Ainsi cette appréciation, qui est propre à chaque État, peut différer en fonction de sa connaissance de la situation comme des liens qu'il entretient avec l'Etat client (exemple, accord de défense entre l'Etat exportateur et l'Etat client constituant un engagement international). En outre, concernant les licences antérieurement délivrées, le TCA invite simplement les Etats parties à revoir ces licences en cas d'informations nouvelles dont ils auraient connaissance. De même, l'article L. 2335-4 donne uniquement les moyens à l'autorité administrative de suspendre les autorisations accordées dans certains cas sans pour autant en faire une obligation. S'agissant de la guerre au Yémen, comme pour chaque crise régionale, une attention particulière est portée pour discerner, lors de l'instruction de toute demande d'autorisation, l'ensemble des risques et leurs conséquences potentiellement négatives, en conformité avec les engagements internationaux de la France. Le processus de la CIEEMG reposant sur une analyse au cas par cas systématique des demandes de licence, il permet, dans ce contexte, de cibler spécifiquement les matériels susceptibles d'appuyer l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis dans leur combat contre le terrorisme et pour la sécurité de leur pays. En l'occurrence, il apparaît tout à fait légitime d'autoriser certaines exportations et de considérer, le cas échéant, des mesures de remédiation des risques d'utilisation inappropriée, conformément aux règles et principes fixés par le droit international applicable. La France est particulièrement vigilante sur les risques de détournement vers des tiers des armes exportées, d'emploi d'armements à l'encontre des populations civiles ou dans des conditions contraires au droit international humanitaire. La France soutient pleinement les efforts et l'action diplomatique déployés par l'Envoyé spécial des Nations unies pour le Yémen lors du processus de Stockholm et pour l'adoption des résolutions 2451 et 2452. Elle salue la mise en place d'une trêve et encourage l'établissement d'un cadre de négociation en vue d'un règlement global pour ce pays. En appui des négociations menées sous l'égide des Nations Unies, la France, en coordination avec ses alliés européens et américains, poursuit un dialogue déterminé avec les autorités des pays engagés dans le conflit, ainsi qu'avec la partie houthie, afin qu'une solution politique mettant fin aux hostilités soit trouvée au plus vite. [1] L'article 51 de la Charte des Nations Unies établit un « droit naturel de légitime défense » des Etats.

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