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Ugo Bernalicis
Question N° 8507 au Ministère de la justice


Question soumise le 22 mai 2018

M. Ugo Bernalicis appelle l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur les retenues de salaire et les sanctions disciplinaires prises à l'encontre des personnels pénitentiaires mobilisés au mois de janvier 2018. Le jeudi 11 janvier 2018, trois surveillants avaient été blessés à l'arme blanche au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil. En solidarité avec leurs collègues agressés une mobilisation importante de l'ensemble des personnels pénitentiaires et des organisations syndicales avait alors vu le jour. Cette mobilisation a été d'une ampleur inégalée depuis plus de vingt ans, atteignant son paroxysme le mardi 23 janvier 2018 avec 122 établissements pénitentiaires concernés sur 188. Parmi les revendications figuraient notamment : des mesures pour accroître la sécurité des personnels, une évolution statutaire, une revalorisation indemnitaire, une plus grande reconnaissance des métiers pénitentiaires et un vaste plan de recrutement pour combler les postes vacants. Le dialogue entre les syndicats et la Chancellerie a été pour le moins exécrable. Les représentants syndicaux ont d'ailleurs quitté la table des négociations à plusieurs reprises. Mme la ministre dans une communication appelait au dialogue et cherchait dans le même temps à diviser l'unité syndicale. Opération réussie puisque Mme la ministre a institué des négociations bilatérales avec le syndicat Ufap-Unsa, qui a accepté l'accord proposé par elle. Accord dénoncé par les autres instances représentatives du personnel, entre autres car il ne prévoit pas d'évolution statutaire mais simplement une compensation indemnitaire et qui en toute hypothèse ne réglait pas la situation. La gestion de crise de la Chancellerie fut telle que Mme la garde des sceaux semble avoir été sanctionnée politiquement, le dossier passant dans les mains du Premier ministre puis dans celles du Président de la République, lui-même. Ce dernier s'est d'ailleurs rendu un peu plus d'un mois plus tard, le 8 mars à l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP). M. le Président de la République semblait alors vouloir rassurer les personnels pénitentiaires : « Je voulais aujourd'hui m'exprimer devant vous. Je n'ignore rien de ce que vous vivez au quotidien, des agressions inacceptables, des difficultés des conditions d'exercice de la mission (...) Au-delà des recrutements, j'ai bien conscience que c'est aussi l'attractivité des professions qu'il faut améliorer ». Appelant de ses vœux une revalorisation de la filière et insistant sur le caractère indispensable de l'ensemble des personnels pénitentiaires, le Président de la République et la garde des sceaux semblaient juger légitimes la mobilisation et les revendications associées. Pourtant à la fin du mois de mars 2018 la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) a envoyé une note aux directeurs des établissements afin qu'ils prennent des sanctions disciplinaires, allant de cinq à quinze jours d'exclusion temporaire, à l'égard des personnels qui se sont mobilisés au mois de janvier 2018. Il y a une volonté politique que les individus, dont les revendications ont été jugées légitimes, soient sanctionnés pour leur engagement au sein du mouvement social. Certes, l'article 3 de l'ordonnance n° 58-696, du 6 août 1958 relative au statut spécial des fonctionnaires de services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, prévoit que toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l'administration est interdit. Néanmoins les personnels pénitentiaires sont des professionnels responsables, qui n'auraient pas eu recours au blocage s'ils n'avaient pas estimés que la situation fût désespérée. Il ajoute que les personnels pénitentiaires ont eu pour souci constant lors de ce mouvement de contestation que celui-ci n'entraîne pas une détérioration trop importante des conditions de détention des personnes emprisonnées. Le Gouvernement a manié habilement la carotte et le bâton sur ce sujet, proposant d'une part des indemnités pécuniaires supplémentaires pour que cesse le mouvement de blocage ; et d'autre part décidant de sanctionner fortement les personnels ayant participé à ce même mouvement. Il s'interroge sur les incohérences du Gouvernement qui communique sur son souhait de revaloriser un secteur d'activité et une profession pour laquelle le Président de la République estime qu'on doit pleinement restaurer toute la noblesse et toute l'importance dans la République tout en décidant d'effectuer des retenues de salaires et de prendre des sanctions disciplinaires importantes. Il souhaite que lui soit communiqué toute information concernant les montants des retenues de salaire et le nombre de personnels concernés ainsi que le nombre de sanctions disciplinaires prononcées à l'égard des personnels pénitentiaires et en particulier le nombre de journées d'exclusion.

Réponse émise le 14 janvier 2020

Les personnels de surveillance pénitentiaire sont soumis à un statut spécial instauré par l'ordonnance du 6 août 1958, et ne bénéficient pas, dans ce cadre, du droit de grève. Avant de prononcer des sanctions, un rappel aux obligations de ce statut spécial a régulièrement été fait aux agents qui, lors du mouvement social de janvier 2018, ont participé à un mouvement de cessation concertée au sens de l'article 3 de ladite ordonnance.  Pour mémoire, plusieurs syndicats nationaux ont,  à cette période, appelé à des dépôts de clés, au blocage des établissements et en outre, fait inédit, à des arrêts maladie massifs : le nombre de congés maladie ordinaire (CMO) a ainsi été multiplié par 4 au niveau national durant cette période mais dans les établissements les plus touchés, ce nombre a été multiplié par 10 voire 15. Par conséquent, les forces de gendarmerie et de police ont été réquisitionnées par les préfets pour assurer le fonctionnement de certains établissements et le maintien de l'ordre aux abords d'un grand nombre de structures : 45 prisons, soit la moitié des établissements bloqués, ont fonctionné durant plusieurs jours grâce à l'intervention des forces de police et de gendarmerie.  A l'issue du conflit social, des retenues de trentièmes ont été appliquées à 6729 agents.  1986 sanctions d'exclusions ont été prononcées : 1982 exclusions de 10 jours pour des cessations concertées du service (880 avec sursis intégral et 1102 avec 5 jours d'exclusion ferme), et 4 exclusions comprises entre 15 jours et 3 mois pour des actes de violence ou de dégradation.  L'interdiction des cessations concertées de service et, plus largement, les sujétions du statut spécial répondent à l'impératif de garantir la continuité du service public pénitentiaire, les détenus étant placés dans une relation de particulière dépendance à l'égard de l'administration pénitentiaire.  Cette interdiction n'a d'ailleurs pas été remise en cause par la décision du Conseil Constitutionnel du 10 mai 2019 qui a seulement déclaré non conforme à la Constitution la seconde phrase de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958 susvisée, relative aux modalités de prononcé des sanctions à l'encontre des personnels de surveillance grévistes.  Le Gouvernement en a tiré les conséquences dans la loi de transformation de la fonction publique, qui prévoit désormais une procédure de sanction respectant pleinement le principe du contradictoire. Un décret en Conseil d'Etat du 30 décembre 2019 précise le régime juridique applicable.  Par ailleurs, le statut spécial garantit aux personnels de surveillance pénitentiaire des compensations à ces sujétions particulières à travers notamment la surindiciation statutaire, la bonification du 1/5e ou la prime de sujétions spéciales (PSS).  La Ministre de la Justice a toujours pris soin de dialoguer avec l'ensemble des organisations représentatives de l'administration pénitentiaire pour évoquer les problématiques de sécurité et de valorisation des métiers pénitentiaires qui ont été au cœur des revendications lors du mouvement social en janvier 2018 ou plus récemment en mars 2019. Ce dialogue a conduit à engager un effort conséquent, dès 2017, pour renforcer la sécurité des agents pénitentiaires et des établissements : à titre d'exemple, le budget de sécurisation des établissements a augmenté de 10 M€ en 2018, de 16 % encore en 2019.  Pour renforcer l'attractivité de ses carrières et fidéliser les personnels, l'administration pénitentiaire a mis en œuvre plusieurs revalorisations indemnitaires dans le cadre du relevé de conclusions du 29 janvier 2018 : l'indemnité pour charges pénitentiaires des surveillants pénitentiaires a augmenté de 40 % au 1er janvier 2018 pour être portée à 1400 €, l'indemnité dimanches et jours fériés a augmenté de 10 € au 1er mars 2018 et la prime de sujétions spéciales (PSS) aura augmenté de 2 points (soit 28 % à terme) pour l'ensemble des personnels de surveillance d'ici à 2021, à raison de 0,5 point d'augmentation chaque année. Cette revalorisation sera poursuivie pour la PSS des surveillants et officiers, avec une hausse supplémentaire de 0,5 points en 2022.  En outre, une prime de fidélisation a été créée au bénéfice des agents en fonction dans les établissements les moins attractifs : les agents qui, à l'issue de leur réussite à un concours national à affectation locale, choisiront une affectation d'au moins six ans sur ces établissements pourront bénéficier d'une prime de 8 000 € versée en trois fois, dont 4 000 € dès la prise de fonctions.  L'administration pénitentiaire souhaite également améliorer les perspectives de carrière des surveillants. La réforme du corps de commandement, entrée en vigueur le 12 octobre 2019, répond à cette logique, en renforçant les niveaux d'encadrement en détention. Elle s'accompagne d'une réflexion approfondie sur l'évolution du métier de surveillant lui-même (renforcement de la formation continue, rôle accru dans la gestion de la détention, diversification des missions, etc.) qui doit concourir à renforcer l'attractivité du métier et des carrières pénitentiaires. Des dispositifs transitoires de recrutement, applicables jusqu'au 31 décembre 2023, vont permettre de promouvoir au total 450 officiers dans le nouveau corps des chefs des services pénitentiaires, 1 700 majors et premiers surveillants dans le corps de commandement, ainsi que 470 surveillants et brigadiers dans le grade de premier surveillant.

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