Intervention de Jean-Marc Jancovici

Réunion du mercredi 2 novembre 2022 à 15h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris :

Je préciserai tout d'abord que le cycle carbone des énergies renouvelables et du nucléaire n'est pas inexistant si nous regardons en analyse de cycle de vie puisque du charbon et de la chimie organique sont nécessaires, respectivement pour réaliser de la métallurgie et de la chimie organique en amont. Ensuite, il faut calculer ce cycle carbone et le résultat des comptes n'est pas le même concernant les différentes énergies.

Dans le domaine climatique, nous raisonnons en général au pas de temps de l'année, que nous considérons comme neutre lorsqu'une émission et une reprise de l'atmosphère ont lieu la même année.

Les combustibles fossiles stockent du carbone retiré à l'atmosphère il y a quelques dizaines à quelques centaines de millions d'années, soit environ le temps qu'il faut pour faire du gaz, du charbon ou du pétrole à partir de résidus de vie ancienne. Ces derniers proviennent des fougères ayant poussé au carbonifère pour le charbon et du plancton qui s'est développé dans la mer entre il y a 5 millions d'années et 400 millions d'années pour le pétrole et le gaz. Ces résidus de vie ancienne ont été enfouis par la tectonique des plaques sous le sol, distillés par la géothermie, ce qui a pris quelques dizaines à quelques centaines de millions d'années. Lorsque nous déstockons ce carbone accumulé — ces « poches de soleil anciennes », comme le dit très joliment Yann Arthus Bertrand — et que nous le remettons dans l'atmosphère, nous créons une asymétrie entre le rythme auquel la vie peut reprendre du carbone, de l'atmosphère et le rythme auquel nous déstockons le carbone anciennement stocké.

La biomasse n'est pas nécessairement neutre en carbone, ce qui constitue toute la difficulté du décompte. Pour que la biomasse soit considérée comme neutre en carbone, il faut prélever dans un stock qui, si nous ne l'utilisions pas, serait à l'équilibre, avec, chaque année, une partie des arbres qui meurent et de jeunes arbres qui repoussent. À partir du moment où nous prélevons, dans un stock qui est à l'équilibre, une quantité moins importante que ce que nous appelons l'accru forestier annuel, c'est-à-dire la quantité de biomasses qui se forment par photosynthèse, nous considérons que nous avons affaire à une énergie renouvelable. Si nous prélevons plus, nous considérons qu'il s'agit de déforestation et cela n'appartient pas aux énergies renouvelables. Toute la difficulté est que, dans une partie des réglementations incitant à l'utilisation de la biomasse, nous ne sommes pas capables de fixer des seuils au-delà desquels nous basculons dans la déforestation.

Par ailleurs, dans ce genre de cas de figure, nous savons très mal tenir compte des effets dominos ou des effets de transfert. Aujourd'hui, le colza que nous faisons pousser en France pour fabriquer des agrocarburants est considéré comme de la biomasse neutre en carbone. Or, plutôt que de faire pousser ce colza, nous pourrions très bien diminuer la taille des voitures et faire pousser du soja et de la luzerne, ce qui éviterait des importations du Brésil et de la déforestation. Ainsi, je peux considérer que le colza empêche, par effet d'éviction, d'introduire en France des cultures qui engendreront de la déforestation. Dois-je considérer que ce colza est neutre en carbone ? De nombreuses questions de méthodes sont très compliquées concernant la biomasse et, actuellement, la terre est en déforestation à l'échelle planétaire. Nous pouvons penser que chaque culture énergétique est, en tant que culture marginale, responsable d'une partie de la déforestation que nous pourrions éviter sans cette culture.

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