La réunion

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commission d'enquête VISANT à éTABLIR LES RAISONS DE LA PERTE DE SOUVERAINETé ET D'INDéPENDANCE ÉNERGÉTIQUE DE LA FRANCE

Mercredi 2 novembre 2022

La séance est ouverte à 15 heures.

(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)

La commission d'enquête accueille une table ronde, ouverte à la presse, réunissant M. Yves Bouvier, Professeur des universités, Groupe de Recherche Histoire (GRHis), Université de Rouen et Mme Nathalie Ortar, Anthropologue de l'énergie, Directrice de recherche au Ministère de la Transition Écologique au LAET (laboratoire aménagement économie des transports), ENTPE/Université de Lyon

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Chers collègues, bienvenue à la première séance d'auditions de la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France.

Je remercie pour leur présence Mme Nathalie Ortar, anthropologue de l'énergie, directrice de recherche au laboratoire aménagement économie des transports (LAET) et enseignante à l'école nationale des travaux publics de l'État (ENTPE) de Lyon et M. Yves Bouvier, professeur des universités et historien de l'énergie au sein du groupe de recherche Histoire de l'Université de Rouen.

Nous avons souhaité débuter les travaux de notre commission par des auditions traitant de l'histoire de l'énergie, de la sociologie, de l'anthropologie et des sciences économiques et politiques, afin de disposer d'un contexte général qui éclairera la poursuite de notre enquête.

La crise en Ukraine a brusquement révélé une situation qui résultait de décisions, de comportements, de pressions et de résistances antérieurs. La politique de l'énergie couvre de vastes domaines, notamment la production, l'approvisionnement et la consommation. Elle définit aussi une façon dont nous concevons la vie en société.

Je vous invite à procéder à un court exposé afin de nous faire part de vos premières analyses à la problématique posée, puis je donnerai la parole aux représentants de groupes et aux autres députés.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Bouvier et Mme Ortar prêtent serment)

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Yves Bouvier, Professeur des universités, Groupe de Recherche Histoire (GRHis), Université de Rouen

Si la question de l'indépendance énergétique est souvent associée au général de Gaulle, elle s'inscrit dans une temporalité plus ancienne et notamment marquée par la Première Guerre mondiale. Pendant le conflit, une partie des mines de charbon est occupée et l'usage massif du pétrole contraint la France à en importer des États-Unis. En 1917, Georges Clémenceau compare ainsi la valeur du pétrole à celle du sang dans les batailles.

À l'issue de la Première Guerre mondiale émerge l'idée d'une coordination des politiques énergétiques par secteur, portée notamment par Henry Bérenger. La loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique fait de l'hydroélectricité une ressource nationale. L'énergie se voit ainsi dotée d'un sens politique. La circulation des ingénieurs, notamment issus de l'École polytechnique ou du corps des Ponts, entre les administrations et les entreprises privées contribue à faire de l'indépendance un mot d'ordre pour les unes comme les autres. Au-delà de cette dimension professionnelle, la quête d'indépendance énergétique représente un horizon politique – et je parle d'un horizon, puisque la France n'a jamais réellement connu d'indépendance énergétique.

Lors du premier choc pétrolier, la France importe environ les trois quarts de l'énergie qu'elle consomme. C'est l'un des motifs qui justifie auprès de l'opinion publique le programme nucléaire dans le plan Messmer, qui permet à la France d'accéder à un taux d'indépendance de l'ordre de 50 % à partir du milieu des années 1980, sachant que la totalité de l'uranium est importée.

L'indépendance en tant que quête politique de long terme – et qui fait consensus – se distingue de la notion de souveraineté. Ce terme, qui renvoie bien davantage à la personnalité du général de Gaulle, désigne la capacité à être maître de ses décisions. Si la souveraineté n'est pas synonyme d'autonomie et qu'elle ne renvoie pas à une production d'énergie uniquement nationale, elle signifie « être en capacité de faire des arbitrages dans le domaine énergétique » et suppose, dans le domaine nucléaire notamment, une industrie compétente et solide.

Les années 1950 sont marquées par le premier plan quinquennal de 1952 et par le second plan de 1957 qui envisagent le développement du nucléaire. La puissance publique fait le choix de mener des expérimentations, relativement lentes, par exemple sur une filière française à uranium naturel. Lors de la conférence d'Atoms for Peace à Genève, Pierre Ailleret, directeur des études et recherches d'EDF, rappelle l'engagement de la France en faveur de l'énergie nucléaire. Il précise toutefois que la France cherche à la fois à développer des réacteurs expérimentaux, sans viser leur rentabilité, et à faire monter en compétences une industrie performante. La construction d'une industrie nucléaire ne se résume pas à la construction de réacteurs : elle s'appuie par exemple sur les usines du Creusot, et ce qui prendra la forme de Framatome notamment.

L'idée selon laquelle la France bâtit seule son industrie nucléaire est bien éloignée de la réalité. Au contraire, cette construction s'inscrit dans un vrai projet européen. En effet, le général de Gaulle considère que l'émergence d'une Europe du nucléaire renforcera la France. Ainsi, sous sa présidence, on assiste à la construction de réacteurs à uranium naturel, sous l'impulsion du CEA, avec également des intérêts militaires, ainsi qu'à des expérimentations sur une centrale à eau lourde et au développement de la première centrale de Chooz, avec un réacteur à eau pressurisée, en partenariat avec la Belgique. Le général de Gaulle souhaite donc développer une filière privilégiée, tout en prenant en compte le champ des possibles, dans un contexte d'incertitudes technologiques.

Lors de l'arrivée au pouvoir de Georges Pompidou, le contexte n'est pas si favorable que l'on pourrait le croire à l'émergence d'une France du nucléaire. Au contraire, elle accuse une forme de retard par rapport à l'Allemagne, l'Italie, le Danemark, les Pays-Bas, l'Irlande ou encore l'Espagne. En 1969, le député Michel Rocard estime que la France devrait investir dans le nucléaire sous peine d'être déclassée. Ainsi, Georges Pompidou, Bernard Esambert et François-Xavier Ortoli souhaitent plutôt raccrocher la France au train européen que développer un programme uniquement national. Au sommet européen de La Haye en décembre 1969, Georges Pompidou propose la création de l'usine d'enrichissement Eurodif, lequel n'est pas un projet franco-français, en s'appuyant sur les discussions portées en ce sens par les Britanniques et les Allemands depuis quelques années. Il s'agit pour la France de rattraper le train européen dans ce domaine. Arguant notamment de leur souhait de substituer l'électricité au pétrole, François-Xavier Ortoli et Georges Pompidou définissent un programme nucléaire au début des années 1970, recourant à des technologies américaines comme le réacteur à eau pressurisée ou à eau bouillante – bien que cette dernière expérimentation ne soit finalement pas poursuivie – et favorisant l'émergence d'accords industriels européens.

Vous noterez que je n'ai abordé ni le choc pétrolier ni l'environnement dans mon exposé. En effet, la quête d'indépendance énergétique et les accords industriels que j'ai évoqués sont antérieurs au choc pétrolier. La première accélération du programme nucléaire, motivée notamment par le développement du chauffage électrique, date de 1972. Certes, l'expression de choc pétrolier est employée dès 1971 en raison de l'augmentation des prix du pétrole qui justifie alors cet investissement. Cependant, le programme nucléaire est lancé non comme une réaction politique à la crise de 1973, mais bien comme une ambition de long terme fondée sur la coopération entre une industrie compétente en France – qui a pour fer de lance les usines du Creusot et de Chalon-sur-Saône – et l'industriel EDF. Les années suivantes, à partir de 1974, apportent une validation au projet politique industriel précédemment élaboré.

Par ailleurs, le programme nucléaire a suscité de fortes protestations environnementales. En 1971, Serge Antoine, directeur du cabinet du ministère de l'environnement, invite les dirigeants d'EDF à promouvoir le nucléaire comme une énergie propre. Les centrales nucléaires devaient en effet permettre le déclassement des centrales thermiques au charbon, tandis que le chauffage électrique allait contribuer à la disparition des poêles à charbon et à bois dans les logements : par conséquent, le nucléaire était avancé comme un argument de lutte contre la pollution atmosphérique, laquelle n'est pas une priorité à l'époque. Si l'écho de ce dernier a été relativement faible, on ne peut nier son existence. Cependant, c'est surtout la contestation antinucléaire qui a permis la structuration d'un mouvement écologique, aux origines politiques très variées, regroupant tant des militants de gauche et de mouvements syndicaux – notamment proches de la CFDT – que des notables et élus défendant le paysage et la tradition des mondes ruraux face au nucléaire.

Dans les années 1970, le programme nucléaire est accéléré dans le cadre du plan Messmer de mars 1974, élaboré à l'automne 1973 et mis en œuvre les années suivantes. L'accession de François Mitterrand au pouvoir en 1981 n'a pas marqué de rupture sur le nucléaire. Certes, il avait annoncé pendant sa campagne qu'il reviendrait sur la construction de la centrale de Plogoff et, de fait, le projet a été arrêté, mais il avait indiqué que les projets engagés seraient bien poursuivis. Sous sa présidence, plusieurs centrales ont été prolongées, comme les paliers P4 et P'4 ou les centrales de Civaux et de Chooz.

Dans les années 1980, la relation entre exploitants et industriels du nucléaire se déséquilibre. En effet, la fin de la construction des centrales aboutit à une réduction, voire une fermeture du marché national pour les industriels comme Framatome. L'exportation et la maintenance se substituent à la construction des cuves et des générateurs de vapeur. L'absence de marché national contribue toutefois à une perte de compétences, les marchés à l'étranger ne permettant pas d'entretenir des capacités industrielles suffisantes en la matière.

Les années 1990 sont marquées par un double tournant. Tout d'abord, une partie des écologistes intègrent la dimension climatique dans les équilibres énergétiques. Brice Lalonde, par exemple, explique qu'il n'est pas favorable au nucléaire, mais qu'il considère qu'il s'agit de la moins pire des solutions par rapport aux centrales à charbon pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. D'autres continuent à envisager le nucléaire au travers du prisme de la gestion des déchets, comme le soutient par exemple Dominique Voynet lors de la fermeture de Superphénix en 1997.

Le second tournant est celui de l'éventualité d'un marché européen de l'électricité organisé autour de grands groupes privés. Ce projet provoque une forte incertitude notamment pour des opérateurs du nucléaire, qui s'interrogent sur leurs capacités juridiques et financières à investir dans de nouvelles centrales. La puissance publique se montre hésitante à cet égard. Le nouveau projet de réacteur EPR, en gestation depuis les années 1980 et articulé autour d'une coopération franco-allemande, est par exemple remis en cause lorsque l'Allemagne vote en 2002 une loi de sortie du nucléaire, poussant Siemens en 2009 à se retirer de l'accord conclu avec Framatome.

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Nathalie Ortar, Anthropologue de l'énergie, Directrice de recherche au Ministère de la Transition Écologique au LAET (laboratoire aménagement économie des transports), ENTPE/Université de Lyon

Chaque année, je propose à tous mes élèves ingénieurs une séquence sur le climat. De même, j'ai décidé de vous inviter à faire un pas de côté, en abordant une dimension qui est absente de l'intitulé de votre commission : le changement climatique. Selon le CNRS, la température moyenne en France devrait augmenter de 3,8 degrés d'ici 2100. Le changement climatique affectera à la fois l'environnement et le monde socio-économique, entraînant des épidémies, des épisodes climatiques extrêmes, des sécheresses importantes et une instabilité politique. Le nucléaire, en effet, a besoin d'eau et d'une énergie extractive – l'uranium – que nous ne produisons pas sur notre territoire. Je parle aussi d'instabilité politique, car les industries nucléaires sont des objets sensibles, comme l'a montré le conflit en Ukraine.

Il me semble important de se reposer ces questions, sans doute certaines décisions ont-elles été suspendues en raison de la dégradation de la situation en Afrique produisant de l'uranium.

La fresque du climat nous apprend également qu'il n'existe pas de solution unique à la problématique du changement climatique. Nous devrons faire preuve d'inventivité pour proposer des réponses adaptées à chaque territoire. Cela suppose que nous comprenions bien nos systèmes sociotechniques. M. Bouvier a présenté l'évolution historique du nucléaire en France. L'industrie nucléaire n'est pas seulement le nucléaire : elle repose sur un ensemble sociotechnique. Ainsi, l'électricité que nous utilisons repose sur un ensemble de câbles d'une importance cruciale. Si nous misons sur les énergies lourdes, nous devons donc renforcer les systèmes sociotechniques, alors même que les prix de l'ensemble de ces composants sont en très forte augmentation, atteignant par exemple 300 % pour le cuivre. Je vous invite à ce titre à auditionner des personnels d'Enedis.

Par ailleurs, la transition énergétique telle que vous l'exposez n'est appréhendée que sous l'angle de la production d'énergie. Or, la transition énergétique actuelle, qui est la cinquième de notre histoire, se caractérise par un retrait des énergies fossiles lié à la contrainte de leur déplétion et du changement climatique, mais également par le besoin de réduire nos consommations énergétiques. Il ne s'agit pas de promouvoir le modèle amish, comme le soutenait le président Macron, mais de faire attention à nos consommations domestiques, ce qui implique un programme de rénovation thermique ambitieux. La transition énergétique doit également passer par une transition des mobilités, impliquant un moindre recours aux industries carbonées dans nos déplacements. La voiture électrique peut représenter l'une des solutions, mais elle dépend elle aussi massivement de l'industrie extractive, et son bilan écologique est encore problématique. Surtout, elle relance dans le monde des combats que nous croyions passés, auprès des peuples premiers, qui subissent les conséquences de notre frénésie extractive. Sans transformation de nos modes de vie, la transition énergétique ne modifiera pas fondamentalement notre rapport au monde, et nous continuerons à utiliser des ressources minières dont la déplétion est annoncée et qui seront source de conflit.

La souveraineté énergétique de la France est un mythe. Elle n'a jamais existé. Le nucléaire est un domaine extrêmement limité de la production énergétique et cette souveraineté s'appuie sur les restes de notre empire colonial que nous ne possédons pas. Les tensions auxquelles nous avons assisté, en Afrique et ailleurs, le montrent bien. Je ne suis pas certaine que nous serons en mesure de lutter contre la Chine et la Russie, qui recherchent les mêmes minéraux que nous, pour les mêmes raisons que nous.

L'anthropologue africain Joseph Tonda analyse une partie du mal-être africain comme la résultante d'une volonté de vivre les rêves de la société occidentale, qui ne sont pas les leurs. Dans un exercice d'anthropologie réflexive, je me demande si nous ne sommes pas, nous aussi, en train de vivre les rêves d'autrui. La mention appuyée à Charles de Gaulle, homme brillant, certes, mais de son temps, et qui n'était pas confronté aux problèmes auxquels nous faisons face, m'invite à vous interroger sur la société que nous désirons construire aujourd'hui. Quand cesserons-nous de vivre les rêves d'hommes du passé, pour fonder notre propre société ?

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Merci, madame Ortar. Nous avons voulu vous inviter pour votre spécialité universitaire. J'aurais aimé vous entendre sur le comportement des individus par rapport aux besoins énergétiques et sur la place de l'énergie dans le quotidien.

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Nathalie Ortar, Anthropologue de l'énergie, Directrice de recherche au Ministère de la Transition Écologique au LAET (laboratoire aménagement économie des transports), ENTPE/Université de Lyon

Le colonialisme est une partie intégrante de ma spécialité universitaire.

S'agissant de nos comportements individuels, M. Bouvier et moi allons prochainement assister à la soutenance de la thèse de Renan Viguié, qui montre comment nos besoins énergétiques nous ont permis d'accéder à un plus grand confort tout en nous rendant plus dépendants d'infrastructures et de coûts qui nous dépassent. Cette thèse montre que l'augmentation de la température préconisée pour chauffer les logements de 14 à 19 degrés s'est accompagnée d'un cortège de coûts de moins en moins maîtrisés par les ménages. La décision du type de chauffage et de rénovation thermique ne dépend plus des individus, mais d'instances en amont : les industries que sont Gaz de France, EDF ou les Charbonnages de France ont progressivement construit cette dépendance pour progressivement déposséder les usagers de leur choix énergétique.

La transition des mobilités s'opère dans un mouvement parallèle. Le système du « tout voiture », particulièrement prégnant en France en raison de notre industrie automobile, s'est développé au détriment de la promotion d'autres modes de transport, comme les transports en commun ou vélo. Nous assistons à un revirement de cette situation. Le retour des transports en commun, comme le tramway, s'est effectué à la demande des citoyens, auxquels les politiques ont emboîté le pas dans le tournant des années 1980-1990. D'autres modes de déplacement individuel, tels que le vélo ou le vélo électrique, ont de nouveau été promus dans les années 2010 en France. Ce mouvement de balancier s'accompagne de tensions de plus en plus fortes dans les territoires – ruraux et périurbains notamment – n'ayant pas accès à une offre de transport décarbonée ou moins chère. Les gilets jaunes l'ont bien montré. Les tensions sur l'énergie provoquent en effet des tensions sur les dépenses des ménages. Lorsque j'ai travaillé en 2010 sur le précédent choc pétrolier, j'avais constaté que les ménages modifiaient rarement leurs modes de déplacement dans le cadre des mobilités domicile-travail, mais que les dépenses liées à la mobilité affectaient d'autres postes, comme l'alimentation et les loisirs – à l'exception des loisirs des enfants, généralement préservés. La population est donc prête à changer de comportement, à condition que les moyens lui en soient donnés.

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Cette première audition vise à mieux comprendre les choix faits par le passé, sans anachronisme, en jugeant les actes et les personnes de leur temps dans leur temps. Nous vous remercions pour cet éclairage historique et anthropologique sur les politiques publiques et les évolutions des comportements, du débat public et de l'opinion publique à l'égard de l'ensemble du mix énergétique et en particulier de l'industrie nucléaire. Monsieur Bouvier, je vous invite à terminer le panorama que vous avez interrompu aux années 1990. Par ailleurs, comment, selon vous, le discours des politiques publiques et le discours sur l'énergie ont évolué en France des années 1980 à nos jours ?

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Yves Bouvier, Professeur des universités, Groupe de Recherche Histoire (GRHis), Université de Rouen

Les années 1980 sont caractérisées par deux événements majeurs. La catastrophe de Tchernobyl a entraîné un changement radical de notre rapport au nucléaire, dont nous ne mesurons toujours pas l'ampleur. Pour l'industrie nucléaire, il y a un avant et un après Tchernobyl. Les controverses qui ont suivi la communication des pouvoirs publics autour de l'événement restent un fait marquant dans l'opinion publique. L'autre basculement est le contre-choc pétrolier. Le premier choc pétrolier avait donné lieu à des politiques d'économie de l'énergie, de lutte contre le gaspillage et des soutiens à la rénovation et l'isolation. Or, ces changements de comportement ont été balayés par une sorte d'opportunité financière, les économies d'énergie n'étant plus nécessairement productrices d'économies pour la nation.

Dans les années 1990 et 2000, les débats sur l'énergie ont été appréhendés au travers du prisme de l'environnement ; on a assisté à une « environnementalisation » de ceux-ci. Au niveau individuel, l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie (AFME) puis l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ont assuré une communication importante autour des gestes du quotidien, faisant de l'énergie une question d'abord environnementale. Cet effet socioculturel s'est également illustré par le progressif détachement de l'énergie du ministère de l'industrie ou de l'économie pour être rattaché au ministère de l'environnement dès 2007. Pour les opérateurs du secteur de l'énergie, les individus et les responsables politiques, les questions énergétiques font désormais partie d'un cadre environnemental, ce qui n'était pas le cas auparavant, ni même au début des années 1980.

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Juste une question de précision sur le tournant que vous évoquez, en recourant au terme d'« environnementalisation ». Traduit-il la prépondérance, dans le débat public et dans la prise de décisions, accordée à l'environnement et non plus à l'industrie ou à la souveraineté, comme c'était le cas dans les années 1970 ?

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Yves Bouvier, Professeur des universités, Groupe de Recherche Histoire (GRHis), Université de Rouen

C'est cela. Par exemple, des éléments environnementaux sont intégrés aux renégociations des concessions des barrages électriques, en termes de débit ou au regard de la biodiversité, lorsqu'il est question de leur rénovation. Les consommations et les émissions de carbone, plutôt que son utilité économique, deviennent la mesure de l'énergie.

Le tournant environnemental de la politique énergétique s'accompagne aussi d'une prééminence d'une logique de marché financière et économique, liée à la concurrence des fournisseurs d'énergie. Le citoyen, qui est aussi usager, client et consommateur, se trouve confronté à la complexité du sens donné à l'énergie, qu'il ne maîtrise pas totalement.

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Quelles conséquences chacun des trois accidents nucléaires considérés comme majeurs – Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima – a-t-il eues sur la politique énergétique dans les pays touchés et ailleurs dans le monde ? Identifiez-vous un rapport entre l'ampleur de ces accidents et la réalité de l'importance du changement de la politique énergétique ?

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Yves Bouvier, Professeur des universités, Groupe de Recherche Histoire (GRHis), Université de Rouen

Ces trois accidents ont eu des répercussions différentes. Ils ont donné lieu à des missions d'études approfondies, à de nouvelles règles de sécurité et à des investissements parfois considérables, notamment dans le cas de Fukushima. L'accident de Three Mile Island est notable par sa médiatisation, qui s'explique à la fois par l'évacuation de la population, et par le fait que cet accident survienne dans un pays moderne, les États-Unis, où un tel événement semblait inimaginable. Des enquêtes sont alors lancées par la Commission européenne, afin d'accélérer l'établissement de normes européennes. Le prolongement en est le design commun de l'EPR dans ses débuts.

L'accident de Tchernobyl a soulevé la question de la sous-estimation de ses effets et de la nécessité d'une expertise indépendante. Il a d'ailleurs mené à la création de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad). L'opinion publique retient avant tout de Tchernobyl le mensonge autour du nuage. L'industrie nucléaire en est sortie durablement affaiblie : durant plusieurs années, l'image d'un nucléaire honteux perdure.

Enfin, Fukushima a joué un rôle d'accélérateur à la sortie du nucléaire en Allemagne et à l'organisation d'un referendum en Italie. Après cet accident, la France se retrouve l'un des seuls pays à avoir des centrales nucléaires, voire à envisager un programme nucléaire de renouvellement. Ainsi, le choix de La Grande-Bretagne de reconstruire des centrales nucléaires est apparu comme bienvenu pour l'industrie nucléaire française.

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Nathalie Ortar, Anthropologue de l'énergie, Directrice de recherche au Ministère de la Transition Écologique au LAET (laboratoire aménagement économie des transports), ENTPE/Université de Lyon

J'avoue ne pas être spécialiste dans le domaine nucléaire . Le fait que le gouvernement ait délibérément caché la gravité des événements lors de l'accident de Tchernobyl a durablement affecté la perception du nucléaire en France. Les menaces sur les centrales en Ukraine réactivent ce sentiment d'angoisse, notamment dans les territoires où des Français ont été victimes des répercussions de l'accident, faute de détection préalable. Les Alpes maritimes, par exemple, ont été fortement touchées. Des taches radioactives, appelées « taches de léopard » ont été retrouvées dans des bacs à sable dans des écoles, où des enfants sont massivement tombés malades de leucémie, ce qui a par la suite été étayé scientifiquement. La difficulté réside dans la coexistence de résultats scientifiques et d'éléments relevant de l'ordre de la rumeur.

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Comment jugez-vous le niveau d'information de la société française et le niveau d'enrichissement du débat public sur la question énergétique depuis les années 1970-1980 ? Est-il plus ou moins important que sur d'autres questions techniques ? A-t-il progressé ? Les représentations l'ont-elles emporté sur le fonctionnement technique du modèle énergétique ?

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Nathalie Ortar, Anthropologue de l'énergie, Directrice de recherche au Ministère de la Transition Écologique au LAET (laboratoire aménagement économie des transports), ENTPE/Université de Lyon

J'ai commencé à travailler sur les questions énergétiques en 2004, alors que je m'intéressais aux coûts liés aux déplacements des ménages périurbains. Ces derniers m'indiquaient généralement qu'ils ignoraient combien leurs déplacements leur coûtaient précisément. Leur refus de compter s'apparentait à une forme de déni. Ces mêmes questions ont été posées de manière récurrente dans les années suivantes. Or, le discours a changé. En effet, les ménages évaluent les coûts liés aux dépenses automobiles. De plus, ils réfléchissent davantage aux différents types d'énergie utilisée et aux émissions que ces dernières engendrent. Les ménages qui se déplacent en véhicule diesel en milieu rural ont ainsi tendance à se justifier, en arguant notamment du moindre coût de ces véhicules et de l'impossibilité d'utiliser d'autres modes de déplacement sans aides du gouvernement.

En outre, la population s'interroge de plus en plus sur le mix énergétique utilisé de manière domestique. Les choix énergétiques sont pris en fonction de coûts et des critères environnementaux, y compris par les ménages modestes. En effet, lorsqu'ils n'ont pas les moyens d'opter pour des choix plus respectueux de l'environnement, ces ménages font part de regrets, par exemple lorsque, dans le cadre d'une accession à la propriété, l'acquisition d'une maison à basse consommation énergétique reste hors de portée.

La prise de conscience de la question énergétique est donc de plus en plus importante, et elle s'associe à des critères environnementaux. Il est intéressant que ces critères se soient progressivement affirmés comme des éléments de réflexion pour les ménages dans le choix de leur manière de se déplacer ou de se loger.

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Yves Bouvier, Professeur des universités, Groupe de Recherche Histoire (GRHis), Université de Rouen

Les autorités, les entreprises et les associations, y compris environnementalistes, ont toujours mené un effort de pédagogie important. Depuis les années 1970, le débat a toujours été très riche. Le citoyen ne manquait pas d'informations, même s'il n'avait pas toujours la capacité de les trier. Toutefois, dans le domaine du nucléaire, la transparence et l'abondance d'informations ne signifient pas la parfaite information du citoyen. Enfin, la principale information retenue par les citoyens dans le domaine énergétique reste la facture. Face à une augmentation des prix, dans un contexte de mise en concurrence de différentes énergies, le révélateur du prix domine, comme cela a été constaté dans les années quatre-vingt lors du contre-choc pétrolier et au début des années 2000 avec l'abondance énergétique jointe à des prix relativement bon marché.

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Je vous remercie et vais donner la parole aux autres membres de la commission d'enquête.

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Vous avez évoqué un grand nombre de facteurs expliquant les décisions prises en matière énergétique. Les besoins énergétiques de la population en font partie. Madame Ortar, comment ces besoins ont-ils évolué ? Par ailleurs, existe-t-il d'autres facteurs que ceux que vous avez mentionnés permettant d'éclairer les décisions politiques dans ce domaine ?

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Monsieur Bouvier, depuis 2002, un véritable virage s'est opéré, initié par l'Allemagne. Quels sont les effets de la politique allemande sur les prises de décisions politiques françaises, notamment en matière nucléaire ? Existe-t-il un lobby allemand des énergies renouvelables, qui pénaliserait le nucléaire français ?

Madame Ortar, j'ai compris que vous étiez hostile au gaullisme.

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Je remercie les députés de modérer leurs propos envers les universitaires.

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Nous ne sommes pas nostalgiques envers le gaullisme, toutefois, nous sommes reconnaissants aux gaullistes d'avoir établi la filière nucléaire qui nous permet de mieux traverser que d'autres nations la crise énergétique. L'inflation est en effet inférieure en France, puisqu'elle atteint 6 % au lieu de 10 % dans l'Union européenne. La filière nucléaire nous permet d'éviter d'importer davantage d'énergie que d'autres pays.

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J'invite les députés à poser des questions aux personnes auditionnées. Nous pourrons procéder à des échanges de vues ultérieurement.

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Monsieur Bouvier, votre exposé aurait pu aborder la question de la place des citoyens et du débat public dans le choix du nucléaire depuis soixante ans. La décision politique est en effet assez décousue. La Commission nationale du débat public (CNDP) a récemment lancé une procédure sur le nucléaire et sur le mix énergétique, alors que le Président de la République a déjà annoncé six, voire huit nouveaux EPR. Les citoyens semblent dépossédés de leur pouvoir, en amont, lors de la prise de décisions et se voient renvoyés à un rôle de « consommacteurs » : ils émettent le choix énergétique au moment de payer la facture, en aval. Cette situation nous amène à nous interroger sur l'arbitrage individuel et politique entre les limites et les avantages des différentes sources énergétiques et nos besoins primordiaux ou envies en termes de consommation. J'aimerais vous entendre sur ces questions.

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Yves Bouvier, Professeur des universités, Groupe de Recherche Histoire (GRHis), Université de Rouen

Mme Givernet m'a interrogé sur les facteurs éclairant les prises de décisions politiques en matière énergétique. J'ai évoqué la lutte contre la pollution atmosphérique. Le grand smog de Londres de 1952 a été un véritable traumatisme. Au début du mois de décembre, le brouillard londonien se charge de poussières de charbon. On compte 5 000 à 6 000 morts en un seul week-end, et un total de 10 000 à 12 000 dans le mois suivant. Les ingénieurs, les médecins et les pouvoirs publics identifient cet événement comme un drame qui ne doit plus jamais se produire. La priorité est alors donnée à la lutte contre la pollution atmosphérique, à laquelle le nucléaire est présenté comme une solution, par des personnalités telles que Louis Armand, tout en fournissant également une réponse à la crise pétrolière de 1956.

Par la suite, les notions d'indépendance partielle et de préservation de la souveraineté se conçoivent aussi dans les usages et les besoins identifiés de la population. L'énergie est donc dotée d'un sens politique, et non plus seulement industriel ou économique.

Monsieur Falcon, le parti vert Die Grünen a effectivement un poids important en Allemagne. Toutefois, il faut également prendre en compte le tournant libéral de l'Europe. La première directive sur l'électricité coécrite en 1996 par la Commission et le Parlement avait une forte dimension sociale. Cette orientation se perd dans les directives suivantes. L'Allemagne s'affirme aussi comme leader d'un marché européen de l'électricité, et pas seulement en ce qui concerne les énergies renouvelables, qui est aussi une façon d'affaiblir EDF, érigé comme figure d'épouvantail par les industriels et responsables politiques allemands. La construction de l'Europe de l'énergie se fait donc contre les grandes structures étatiques. En raison de ces décisions allemandes, le choix a été fait en France de différer des décisions dans le nucléaire au début des années 2000.

Monsieur Laisney, une partie importante des mouvements écologistes se sont construits sur l'idée que le nucléaire était imposé aux populations dans les années 1970. Le nucléaire n'a, en fait, pas été plus imposé aux Français que le TGV ou que d'autres grandes infrastructures. Des débats ont lieu au Parlement. Les crédits ont fait l'objet de discussions et de votes. Ce qui explique l'incompréhensions des hauts fonctionnaires ou des chefs d'entreprise. La participation et l'adhésion des citoyens sont en tension dans les années 1970 : les tenants du nucléaire n'ont pas le sentiment de faire une œuvre antidémocratique, quand des associations revendiquent davantage d'expression et d'information. Il est vrai qu'une partie de ces choix n'ont pas fait l'objet de concertation avec les citoyens. Pour autant, ce programme n'était pas pensé comme antidémocratique au milieu des années 1970.

Enfin, il est certain que les hauts fonctionnaires et les responsables d'entreprises mettent du temps à s'emparer des participations politiques. Les citoyens sont alors représentés en tant que consommateurs. Ainsi, à partir de 1975, des rencontres régulières sont organisées avec les associations de consommateurs, mais elles portent sur des éléments de consommation, sur la facture et non sur le choix énergétique.

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Nathalie Ortar, Anthropologue de l'énergie, Directrice de recherche au Ministère de la Transition Écologique au LAET (laboratoire aménagement économie des transports), ENTPE/Université de Lyon

Je vous renvoie à nouveau à la thèse de Renan Viguié, qui a étudié l'évolution du chauffage au long du XXe siècle, en travaillant notamment auprès des entreprises. Il montre que si le chauffage électrique a peu de succès en France, c'est d'abord parce qu'il nécessite une isolation thermique des bâtiments suffisante pour être efficace. L'usage de l'électricité pour le chauffage est réservé aux logements neufs répondant à des normes d'isolation. Le second facteur explicatif est le coût toujours élevé du chauffage électrique. Par ailleurs, l'absence de poursuite du programme nucléaire a pour cause l'insuffisance de la demande justifiant la création de nouvelles centrales. L'énergie nucléaire est donc poussée par les gouvernements, mais pas totalement, car ils veillent à une répartition du mix énergétique afin d'éviter la dépendance envers une seule énergie. En outre, on observe une tension permanente entre consommation et économies, entre consommation et prix. Des enquêtes menées auprès de citoyens ont montré que le chauffage électrique est généralement associé à de mauvais souvenirs d'enfance, lorsque les intérieurs étaient très mal chauffés. Il conserve mauvaise presse malgré les nouveaux types de chauffages créés.

Ainsi, votre vision d'ensemble du mix énergétique doit englober la perception des usages et des sensations provoquées par ces usages. Le confort est associé à un ensemble de sensations. Si ce confort n'est pas ressenti, l'usage ne suivra pas. Ce constat vaut également pour les choix de nos futures mobilités, comme en matière thermique.

Les historiens ont largement documenté les réticences répétées sur les différents types d'énergies renouvelables, et notamment l'éolien en France. Elles ont été alimentées autant par des campagnes de désinformation puissantes et organisées que par les ambivalences des gouvernements successifs. L'information est abondante, mais celle qui circule est celle diffusée par l'entourage proche, c'est-à-dire la rumeur. Ainsi, le mix énergétique n'a jamais laissé au renouvelable une part au niveau des objectifs annoncés par les gouvernements successifs.

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La politisation de la question énergétique a-t-elle éloigné la possibilité d'atteindre la souveraineté énergétique, fût-elle européenne, en imposant parfois des choix comme celui du diesel ou du tout électrique pour les voitures ? Peut-être aurions-nous dû laisser la main aux scientifiques, même si au début des années 1960 la validité de l'option nucléaire était remise en question avant d'être considérée comme peu carbonée. En effet, nous n'avons pas construit le mix énergétique que nous recherchons désormais.

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Les différents pays européens n'ont pas réagi de la même manière aux chocs pétroliers. Mme Ortar a abordé la sobriété et la rénovation. Certains pays ont cherché à diminuer la consommation de pétrole pour instaurer une culture du vélo et des transports en commun. La relance nucléaire annoncée sans réel débat démocratique illustre bien la croyance selon laquelle la technologie pourra sauver la planète et le climat sans remettre en cause nos modes de vie. Certains pays européens avaient boycotté des produits français au moment des essais nucléaires lancés par le président Chirac. Le sentiment d'opacité sur la vérité de la filière, la gestion des déchets et leur transport ou encore sur le démantèlement des centrales reste prégnant. J'ai le sentiment que le débat est évité et que la relance technologique est présentée comme une solution à la problématique du réchauffement climatique.

Vous avez évoqué la culture énergétique : quelle est la singularité de la France, notamment du regard de la place sacralisée accordée au nucléaire ?

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Yves Bouvier, Professeur des universités, Groupe de Recherche Histoire (GRHis), Université de Rouen

Monsieur Millienne, je dois souligner l'échec de la politique énergétique européenne depuis le traité de Rome. L'Europe s'est construite autour de questions énergétiques – le charbon et l'acier –, sous la forme d'un cartel organisé. Dans les années 1960 et 1970, on trouve de nombreuses esquisses de conception d'une véritable politique énergétique européenne, sur le modèle de la politique agricole commune. Il était même envisagé de construire des centrales nucléaires européennes au sein d'un réseau organisé à l'échelle européenne pour rationaliser la production énergétique. Tous ces projets ont été abandonnés, à l'exception d'une centrale solaire européenne, construite en Italie dans les années 1980. L'une des raisons de cet échec est que les pays européens suivent des stratégies énergétiques différentes, voire divergentes. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont favorisé le gaz naturel, tandis que l'Allemagne a longtemps opté pour le charbon. En période de crise économique, chaque pays s'appuie sur ses fondamentaux, empêchant l'établissement d'une véritable politique européenne. Des concurrences industrielles expliquent également l'échec de l'émergence d'une véritable concertation européenne – souvent présentée sous le slogan « d'Airbus de l'énergie » – au profit d'une logique de marché commun. La question de la souveraineté est minée par ces échecs successifs. En période de crise, les décisions plus tranchées peuvent-elles être prises ou non ? Celle que nous traversons semble montrer le contraire.

M. Laisney a évoqué la dépossession des citoyens sur la question énergétique. Je ne suis pas certain que les citoyens aient déjà été dotés de pouvoir en ce domaine. Je ne pense donc pas que l'on puisse parler de dépossession. Ainsi, Madame Laernoes, le rôle de l'État comme garant de la fourniture d'énergie fait figure d'évidence dans le système français. De même que l'État a apporté aux Français une énergie relativement abondante, il a mené une politique d'économies d'énergie. Dès 1974, le discours à destination des citoyens s'appuie sur le slogan « en France on n'a pas de pétrole, mais on a des idées ». La promotion des économies d'énergie comme politique publique, au même titre que celle de l'abondance énergétique, relève de ce rôle de l'État. La situation a toutefois changé, puisque dans les années 1950-1960, le consommateur était assez infantilisé. Ce n'est plus le cas. La singularité française dans le domaine énergétique reste toutefois le rôle assigné à l'État dans les usages.

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Nathalie Ortar, Anthropologue de l'énergie, Directrice de recherche au Ministère de la Transition Écologique au LAET (laboratoire aménagement économie des transports), ENTPE/Université de Lyon

La France est constituée de grands corps d'État, qui ont fabriqué et promu des décisions sur le choix des énergies à favoriser et sur les infrastructures à développer. Leur rôle dans la décision politique est spécifique à la France. Pour ma part, je ne pense pas qu'il faille donner la main aux scientifiques. Cela reviendrait à une forme de dictature. Le débat politique doit être éclairé par des scientifiques, issus de différents horizons. Cependant, le débat scientifique doit ensuite servir à informer des décisions prises par les citoyens et leurs représentants – d'où l'importance d'une formation efficace des personnels politiques sur l'ensemble des questions dans ce domaine, y compris les plus techniques. S'il y a eu une tendance à s'en remettre à des compétences scientifiques, tout choix énergétique est une décision avant tout politique et éthique.

L'État a toujours eu conscience que les citoyens ne devaient pas dépenser plus que de raison en matière énergétique, du fait de notre absence de souveraineté énergétique. En revanche, vous avez évoqué la culture du vélo. Aux Pays-Bas, dans les années soixante-dix, cette culture s'est développée sous l'impulsion de la population dans un pays qui n'avait pas d'industrie automobile. La volonté des citoyens a abouti à la politisation de la question. Les mêmes mouvements ont été observés en France, mais la poursuite de l'industrialisation du parc automobile a alors été favorisée. M. Millenne a parlé du choix de la voiture électrique. Cependant, il ne faut pas oublier que d'autres mouvements pourraient se développer en parallèle.

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Vous avez évoqué la relance de l'industrie nucléaire dans les années 1970 à l'appui de technologies étrangères, notamment américaines. Pourriez-vous apporter des précisions sur le cadre de cette aide technologique ? Il me semble qu'il s'agissait de licences Westinghouse. S'agissait-il de transferts technologiques achetés par la France, ou d'une coopération énergétique entre des chercheurs des deux pays pour plusieurs années ?

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J'ai retenu de vos propos que le choc pétrolier de 1973 a été l'occasion d'une première vague de sobriété énergétique traumatisante pour la population. Pour la première fois, les citoyens ont été contraints de changer leurs habitudes. Vous indiquez toutefois que les comportements n'ont pas réellement changé, si ce n'est que les orientations industrielles ont induit des comportements. La seule préoccupation des usagers était, et reste, le confort, davantage que la provenance de l'électricité. Comment est vécue l'exigence de sobriété énergétique en 2022 ? L'appel au col roulé et à la doudoune fonctionne-t-il face au besoin de confort ? Comment les choix industriels du Président de la République sont-ils compris ? Les citoyens sont-ils prêts à envisager des choix radicalement différents, qui ouvriraient la voie à une souveraineté totale, comme la sortie du nucléaire ou la fin des énergies carbonées ? Si c'est le cas, quelles en seraient les conditions ? La première exigence des Français reste-t-elle le confort ?

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La recherche de l'indépendance énergétique par le nucléaire est aussi un prix à payer. Dans quelles conditions économiques l'entrée dans le nucléaire dans les années 1950-1960 s'est-elle faite, alors que le charbon était perçu comme une énergie facilement accessible ? Que nous enseigne l'histoire sur le lien entre les dynamiques d'investissement ou de désinvestissement dans le nucléaire et la richesse nationale ? Qu'est-ce qui détermine le choix envers les énergies concurrentes ?

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On peut difficilement imposer des décisions contre l'opinion publique. Les accidents de Tchernobyl et de Fukushima ont été déterminants dans le choix de l'énergie nucléaire. Dix ans après cette dernière catastrophe, on assiste à un basculement de l'opinion publique, puisque 59 % des Français sont favorables au nucléaire. Partagez-vous ce constat ? Comment expliquez-vous que les écologistes ne s'élèvent autant plus contre le nucléaire ?

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Il est souvent avancé que sous l'effet du choc pétrolier de 1973, l'État aurait surinvesti dans sa capacité nucléaire, aboutissant à un surdimensionnement du parc nucléaire. Certains affirment qu'il aurait été multiplié par deux par rapport à la taille nécessaire pour couvrir les besoins de la population française à l'époque. Qu'en pensez-vous ?

Existe-t-il un pays en Europe ou dans le monde qui afficherait une meilleure souveraineté énergétique que la France, et, le cas échéant, grâce à quels facteurs ?

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Nathalie Ortar, Anthropologue de l'énergie, Directrice de recherche au Ministère de la Transition Écologique au LAET (laboratoire aménagement économie des transports), ENTPE/Université de Lyon

Madame Chikirou, au cours des nombreux entretiens que j'ai réalisés avec des familles sur les questions énergétiques, j'ai régulièrement regretté d'avoir retiré mon manteau tant il faisait froid. La question du col roulé fait donc malheureusement partie du quotidien de nombreux Français qui depuis des décennies ont du mal à se chauffer parce que leur logement est mal isolé ou en raison de leurs difficultés financières. Des études se sont intéressées aux facteurs et aux effets de la vulnérabilité énergétique des ménages. La période actuelle est marquée par le redoublement des difficultés énergétiques en raison de la hausse des coûts de l'énergie, qui a fait basculer certains ménages dans la précarité énergétique.

L'exigence de sobriété sera appréhendée différemment en fonction des échelles de la société. Pour les ménages les plus pauvres, la hausse des dépenses énergétiques représentera une contrainte supplémentaire qui engendrera des privations sur d'autres postes pour continuer à se chauffer. Pour les plus riches, cette exigence se traduira par une nécessité d'investir dans la rénovation thermique. Cela dépendra aussi des moyens qui seront donnés à la population pour y faire face. Une aide pour faire face aux coûts de l'énergie, comme l'a proposé l'État, est bienvenue pour les ménages les plus en difficulté ; mais elle devra être associée à une vision de plus long terme, afin d'identifier les facteurs structurels de fragilité énergétique. Cette dernière est liée à notre type de bâti, et se pose de manière aiguë principalement pendant la période hivernale, mais aussi de plus en plus pendant la période estivale.

Madame Brulebois, l'énergie nucléaire est présentée comme une énergie décarbonée sans autre conséquence sur l'environnement. Cependant, ce constat doit être interrogé dans le contexte de changement climatique intense.

Madame Meynier-Millefert, la Norvège affiche une souveraineté énergétique plus forte que celle de la France, car le pétrole et l'eau dont elle dispose en abondance lui permettent d'investir dans d'autres énergies décarbonées.

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Yves Bouvier, Professeur des universités, Groupe de Recherche Histoire (GRHis), Université de Rouen

La décision de relancer l'industrie nucléaire avait été largement préparée au cours des années 1960 par la commission pour la production d'électricité d'origine nucléaire (PEON), qui comparait les différentes filières. Dès le milieu des années 1960, des contacts sont établis entre les industriels français et américains. Les États-Unis faisaient partie du programme Atoms for Peace, qui soutenait le nucléaire civil, à condition de solliciter des entreprises américaines. En 1969, la France opère un revirement lorsque le directeur général d'EDF Marcel Boiteux annonce pendant l'inauguration de Saint-Laurent-des-Eaux la commande de réacteurs américains à eau légère, alors même que le président de la République ne l'a pas encore rendue publique. Deux accords de licence sont conclus, le premier entre Schneider, Creusot-Loire et Westinghouse sur les réacteurs à eau pressurisée, et le second entre la Compagnie générale d'électricité, qui comprenait alors Alstom, et General Electric pour des réacteurs à eau bouillante. Dans les deux cas, il s'agit d'accords de licence : les industriels français doivent payer des royalties aux sociétés américaines. Des ingénieurs sont massivement formés aux États-Unis et l'élaboration des capacités industrielles françaises est suivie par les industriels américains.

L'accélération du programme nucléaire en 1974-1975, sous la conduite de Valéry Giscard d'Estaing, laisse place à une francisation de la filière technique. Les pouvoirs publics font entrer le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), qui avait été laissé de côté, dans les participations industrielles, notamment au sein de Framatome. Des investissements importants en R&D sont menés afin de s'affranchir des brevets américains. Un effort similaire est mené à Belfort avec la turbine Arabelle d'Altsom. En 1981, l'accord avec Westinghouse est renégocié et devient un accord de partenariat. Cette francisation de la technologie ouvre des marchés internationaux aux entreprises françaises. Un processus similaire de captation et de transformation des brevets est désormais à l'œuvre dans d'autres pays, notamment en Chine.

Depuis la fin du XIXe siècle, l'utilisation rationnelle de l'énergie et l'éducation des consommateurs afin d'économiser l'énergie sont promues, notamment auprès des jeunes filles : la bonne ménagère de la IIIe République est celle qui saura économiser du charbon, car la France n'en a pas suffisamment et en importe environ un tiers dès le XXe siècle. Ainsi, si la question de la sobriété se pose avec d'autant plus d'acuité lors des crises, elle est un axe fort de tous les discours de politique énergétique depuis la fin du XIXe siècle. Par ailleurs, le poids de la facture énergétique pour les ménages rend la question de la sobriété sensible pour nombre d'usagers. Les choix industriels ont rarement garanti une abondance de l'énergie : ils ont toujours été relativement mesurés dans la manière dont ils étaient présentés. Si quelques économistes américains voyaient dans le nucléaire une électricité si abondante qu'elle en deviendrait gratuite, en France aucun ingénieur ne s'est orienté dans cette voie, car ce n'était pas la posture de la puissance publique. Les utopies d'une énergie abondante ont eu peu de place en France.

Monsieur Bolo, les pays qui ont mis en œuvre des programmes nucléaires sont ceux dans lesquels l'État a pu se porter garant. Les rapports entre l'État et EDF sont ainsi marqués par une forte conflictualité au cours des années 1970. Georges Pompidou confie aux entreprises publiques une plus grande autonomie de gestion. En tant qu'entreprise publique, EDF finance une partie du programme nucléaire par des crédits publics, reçus par l'État, son actionnaire, mais également par des emprunts sur le marché national et les marchés extérieurs, engendrant une dette en dollars qui deviendra problématique dans les années 1980. Dans le même temps, l'État ne laisse pas EDF fixer le prix de l'électricité ni faire ses propres choix dans les commandes publiques. En 1971 ou 1972, Marcel Boiteux invite l'État à faire preuve de « déontologie administrative » dans une tribune du Figaro. Cette formulation est révélatrice du rôle de l'État dans le domaine de l'énergie : entre la responsabilité laissée aux industriels et les multiples interventions de l'État, en matière tarifaire notamment, la situation se révèle souvent floue et inconfortable au final.

Le choix d'investir dans d'autres énergies s'est effectivement posé. Cela a peu été le cas dans les années 1970, malgré quelques investissements dans l'énergie solaire.

Enfin, en France, énergie nucléaire et gaz naturel se sont développés parallèlement, et non de manière concurrente comme dans d'autres pays. Les accords d'approvisionnement en gaz naturel avec l'Algérie en 1971 et avec l'Union soviétique en 1980 ont assuré deux formes de réduction de la dépendance pétrolière, par le nucléaire et par le gaz naturel. L'essor de ces deux formes d'énergie dans les années 1980 est assez remarquable.

Les études montrent de fortes variations de l'opinion publique sur le nucléaire. Depuis quelques années, toutefois, la référence au climat s'est affirmée, alors que dans les années 1980-1990, l'hostilité envers le nucléaire s'appuyait principalement sur la question de la gestion des déchets à long terme, portée par les mouvements environnementaux.

Enfin, vous m'avez interrogé sur le surinvestissement de l'État dans le nucléaire dans les années 1970. L'État prévoyait un doublement de la consommation tous les dix ans. Cette estimation était adoptée dans les schémas du commissariat général du plan. Au début des années 1970, le chiffre de 200 réacteurs nucléaires en 2000 était fréquemment avancé dans les hypothèses, sans que leur construction réelle soit envisagée. L'État a investi massivement dans le nucléaire pour répondre à la consommation prévue dans les années 1980. Lorsque le nucléaire représente environ 75 % de la part de l'électricité, au milieu des années 1980, on constate en effet un surdimensionnement. Toutefois, ce dernier est aussi lié à l'effondrement de la consommation industrielle, résultant notamment d'une désindustrialisation dans le secteur des entreprises électro-intensives. Il se traduit par des contrats entre l'État et EDF faisant de l'exportation d'électricité un objectif pour l'entreprise, afin d'assurer des rentrées d'argent. En 1990, la production d'électricité nucléaire a atteint le niveau qui était souhaité en 1970.

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Ce surplus a donc été orienté vers les bâtiments et le chauffage électrique.

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Yves Bouvier, Professeur des universités, Groupe de Recherche Histoire (GRHis), Université de Rouen

Pas véritablement. Le développement du chauffage électrique, à partir du début des années 1970, a été préconisé pour les logements neufs bien isolés. Toutefois, il s'agissait de chauffage électrique à partir du fioul. Dans les années 1980, alors plus de 60 % des logements neufs étaient équipés de chauffage électrique, l'émergence de cette tendance a permis d'absorber une partie de l'électricité des centrales nucléaires, notamment parce que le chauffage fonctionnait la nuit, équilibrant la consommation industrielle de jour. Ainsi, le chauffage électrique permettait de rentabiliser un nucléaire de base relativement haut, avec la mise en place de tarifs spéciaux.

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Cette première d'audition a notamment permis de replacer la question de l'indépendance énergétique dans le temps, de distinguer les notions d'indépendance et de souveraineté, de dater la prise en compte des enjeux environnementaux puis climatiques, d'évoquer la place du marché et de la planification dans le secteur énergétique et de s'intéresser aux comportements individuels, au regard en particulier de l'exigence de confort, qui appellent une réflexion sur les politiques publiques.

Je vous remercie tous deux pour vos éclairages.

La séance est levée à dix-sept heures.

La commission d'enquête auditionne ensuite M. Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris.

La séance est ouverte à dix-sept heures dix.

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Mes chers collègues,

Je vous propose de débuter notre deuxième audition de l'après-midi.

Je remercie Jean-Marc Jancovici d'avoir répondu à l'invitation de notre commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France. Nous venons de commencer nos travaux puisque notre commission s'est installée la semaine dernière et que notre première audition a eu lieu avec une anthropologue et un historien de l'énergie. Nous cherchons à brosser, de façon générale, le paysage énergétique de la France avant d'entrer progressivement plus en détail dans le processus décisionnel.

Monsieur Jancovici, vous êtes professeur à Mines Paris, membre du Haut Conseil pour le Climat et fondateur du Shift Project. Merci d'avoir répondu à notre demande d'audition dans des délais extrêmement contraints, liés à l'agenda de l'installation de notre commission. Vous êtes par ailleurs relativement connu des Français pour vous exprimer régulièrement sur les sujets de l'énergie dans les médias.

S'agissant d'une commission d'enquête, il me revient, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment.

(M. Jean-Marc Jancovici prête serment.)

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

Premièrement, je précise que je ne m'exprime au nom d'aucune des instances pour lesquelles mon nom figure ici. Je ne suis pas du tout habilité à m'exprimer au nom du Haut Conseil pour le climat, de Mines Paris, de Carbone 4 ou du Shift Project.

Deuxièmement, concernant le titre même de votre commission, je souhaite préciser que la France n'a jamais été indépendante énergétiquement depuis qu'elle a quitté l'ère des énergies renouvelables. Nous étions indépendants énergétiquement à l'époque où nous utilisions exclusivement les pierres et le bois du sol français pour construire des moulins à vent et à eau ainsi que le bois et l'herbe française pour faire avancer des animaux de trait.

Depuis que nous sommes entrés dans l'ère des combustibles fossiles, de l'énergie nucléaire et des nouvelles énergies renouvelables, nous ne sommes pas indépendants car il existe une imbrication des énergies en raison de laquelle nous ne pouvons dégager une énergie de façon individualisée. Nous ne construisons pas de réacteurs nucléaires sans métallurgie, donc sans charbon. Nous ne fabriquons pas de panneaux photovoltaïques sans électricité, donc sans charbon. Nous n'importons pas depuis la Chine sans pétrole.

Sauf à ce qu'un pays maitrise sur son sol la totalité des énergies actuellement utilisées dans le monde et exploite sur son territoire la totalité des mines métalliques nécessaires pour fournir les dispositifs d'extraction de l'énergie et de transformation en des vecteurs énergétiques permettant d'alimenter nos machines, nous ne pouvons pas parler d'indépendance ou de souveraineté énergétique. Ainsi, aucun pays n'est indépendant ou souverain énergétiquement. L'Arabie saoudite a davantage de pétrole que la France mais ne dispose pas de mines de fer sur son sol. Si ses frontières étaient fermées, elle ne pourrait pas exploiter son pétrole.

Les mots ayant un sens, je voulais attirer l'attention sur le fait que l'indépendance n'existe pas stricto sensu. Les bonnes questions me semblent être de savoir de qui nous dépendons, dans quelles proportions et avec quelles aptitudes à nous retourner en cas de problème. Ces questions sont nécessairement quantifiées et calendées. Mener un débat philosophique sur l'indépendance n'a pas beaucoup d'intérêt pratique.

S'agissant de l'énergie finale — qui alimente les machines qui nous rendent la vie si douce telles que les ascenseurs, les tractopelles, les trains ou encore les laminoirs —, l'essentiel de l'énergie entrant dans les machines en France est composé de combustibles fossiles. Sauf erreur de ma part, la France n'exploite plus de gisement de gaz sur son sol et extrait de l'environnement 1 % du pétrole qu'elle consomme.

Il y a une quinzaine d'années, j'avais participé, dans une autre salle de l'Assemblée, à un colloque organisé par Yves Cochet sur le pic de production du pétrole, qui avait suscité des moqueries. Je voudrais rappeler que le pic de production du pétrole conventionnel est passé depuis. Tout ce qui n'est pas le shell oil américain et les sables bitumineux canadiens a connu un pic en 2008 dans le monde, ce qui a un lien direct avec la crise des subprimes. Depuis, la production décline. L'Europe est en approvisionnement contraint à la baisse pour le pétrole depuis cette date. Le phénomène, dont les raisons sont géologiques, va s'accélérer dans les décennies à venir.

Un travail très complet, réalisé par le Shift Project et disponible sur notre site, porte sur les possibilités de production de pétrole sous seule contrainte géologique par les seize premiers fournisseurs de l'Europe, qui sont par ailleurs les seize premiers producteurs mondiaux (hors Brésil et Canada). La conclusion de ce travail, mené par deux anciens cadres dirigeants de Total chargés de l'évaluation des gisements et de l'exploration, stipule que la production de nos seize premiers fournisseurs devrait être divisée par deux avant 2050, ce qui signifie que leurs exportations vers l'Europe seront entre deux et vingt fois plus faibles. Nous devons donc nous attendre à une perte de souveraineté sur le pétrole, et pas des moindres.

En novembre, le Shift Project publiera un travail similaire concernant le gaz, confié à des personnes de même envergure et produit à partir de données issues du même endroit, à savoir une base de données des gisements de pétrole et de gaz dans le monde auxquels nous avons eu accès. Le résultat de ce travail est que, pour le gaz, le pic mondial de production est 2030 et que, pour la mer du Nord, ce pic a eu lieu en 2005.

Si nous ajoutons à ces éléments le fait que le charbon est en déplétion géologique en Europe depuis 1950, l'Europe est en « perte de souveraineté » sur toutes les énergies fossiles (depuis 2005 pour le gaz et 2008 pour le pétrole).

Sur les énergies fossiles, qui sont le premier moteur de la civilisation dans laquelle nous vivons, la question de la perte de souveraineté est déjà à l'œuvre depuis longtemps. Cette perte va s'accélérer et se traduire directement en contraction de flux de toute nature, que nous avons l'habitude de résumer classiquement sous l'angle du produit intérieur brut (PIB).

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Merci. Tout d'abord, la question du climat — et donc celle du cycle carbone, très long pour les énergies fossiles, plus court pour la biomasse et absent pour les énergies renouvelables ou pour le nucléaire — occupe une place centrale dans le débat public. Quel est, à l'échelle du climat, le pas de temps acceptable du cycle carbone ? Pourquoi le bois serait-il acceptable alors que le charbon ne l'est pas ?

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

Je préciserai tout d'abord que le cycle carbone des énergies renouvelables et du nucléaire n'est pas inexistant si nous regardons en analyse de cycle de vie puisque du charbon et de la chimie organique sont nécessaires, respectivement pour réaliser de la métallurgie et de la chimie organique en amont. Ensuite, il faut calculer ce cycle carbone et le résultat des comptes n'est pas le même concernant les différentes énergies.

Dans le domaine climatique, nous raisonnons en général au pas de temps de l'année, que nous considérons comme neutre lorsqu'une émission et une reprise de l'atmosphère ont lieu la même année.

Les combustibles fossiles stockent du carbone retiré à l'atmosphère il y a quelques dizaines à quelques centaines de millions d'années, soit environ le temps qu'il faut pour faire du gaz, du charbon ou du pétrole à partir de résidus de vie ancienne. Ces derniers proviennent des fougères ayant poussé au carbonifère pour le charbon et du plancton qui s'est développé dans la mer entre il y a 5 millions d'années et 400 millions d'années pour le pétrole et le gaz. Ces résidus de vie ancienne ont été enfouis par la tectonique des plaques sous le sol, distillés par la géothermie, ce qui a pris quelques dizaines à quelques centaines de millions d'années. Lorsque nous déstockons ce carbone accumulé — ces « poches de soleil anciennes », comme le dit très joliment Yann Arthus Bertrand — et que nous le remettons dans l'atmosphère, nous créons une asymétrie entre le rythme auquel la vie peut reprendre du carbone, de l'atmosphère et le rythme auquel nous déstockons le carbone anciennement stocké.

La biomasse n'est pas nécessairement neutre en carbone, ce qui constitue toute la difficulté du décompte. Pour que la biomasse soit considérée comme neutre en carbone, il faut prélever dans un stock qui, si nous ne l'utilisions pas, serait à l'équilibre, avec, chaque année, une partie des arbres qui meurent et de jeunes arbres qui repoussent. À partir du moment où nous prélevons, dans un stock qui est à l'équilibre, une quantité moins importante que ce que nous appelons l'accru forestier annuel, c'est-à-dire la quantité de biomasses qui se forment par photosynthèse, nous considérons que nous avons affaire à une énergie renouvelable. Si nous prélevons plus, nous considérons qu'il s'agit de déforestation et cela n'appartient pas aux énergies renouvelables. Toute la difficulté est que, dans une partie des réglementations incitant à l'utilisation de la biomasse, nous ne sommes pas capables de fixer des seuils au-delà desquels nous basculons dans la déforestation.

Par ailleurs, dans ce genre de cas de figure, nous savons très mal tenir compte des effets dominos ou des effets de transfert. Aujourd'hui, le colza que nous faisons pousser en France pour fabriquer des agrocarburants est considéré comme de la biomasse neutre en carbone. Or, plutôt que de faire pousser ce colza, nous pourrions très bien diminuer la taille des voitures et faire pousser du soja et de la luzerne, ce qui éviterait des importations du Brésil et de la déforestation. Ainsi, je peux considérer que le colza empêche, par effet d'éviction, d'introduire en France des cultures qui engendreront de la déforestation. Dois-je considérer que ce colza est neutre en carbone ? De nombreuses questions de méthodes sont très compliquées concernant la biomasse et, actuellement, la terre est en déforestation à l'échelle planétaire. Nous pouvons penser que chaque culture énergétique est, en tant que culture marginale, responsable d'une partie de la déforestation que nous pourrions éviter sans cette culture.

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Pour décarboner l'économie à l'échelle de la planète, le seul chemin est-il la décroissance ?

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

Je pense que nous ne réussirons pas à éviter la décroissance. Au vu des flux physiques, l'Europe connait déjà une décroissance depuis 2007 ou 2008, c'est-à-dire le moment du pic d'approvisionnement pétrolier. Un premier exemple est que le nombre de mètres carrés construits en Europe a atteint un pic en 2007, jamais atteint depuis. Un deuxième exemple est que la quantité de tonnes chargées dans les camions a été maximale en 2007. Mesurer la production industrielle — qui est mesurée en euros — avec une unité strictement physique telle que les tonnes ou les mètres cubes permettrait d'obtenir une réponse beaucoup plus claire.

En tant qu'élites urbaines préservées du système, vivant en ville loin des flux physiques, nous ne nous rendons pas compte que nous connaissons une décroissance. Nous ne sommes pas les premiers à nous rendre compte avec nos sens que nous vivons déjà une espèce de décrue larvée en Europe. Les Italiens, les Espagnols et les Portugais s'en rendent très bien compte.

Cette décrue va malheureusement s'accélérer car les combustibles fossiles, qui subissent eux-mêmes une décrue, jouent un rôle si central dans l'émergence de la civilisation dans laquelle nous vivons que cette décrue ne sera pas compensée par une autre forme d'énergie décarbonée dans les temps, compte tenu des ordres de grandeur qui sont en jeu. Les énergies décarbonées pourront jouer un rôle d'amortisseur — ce qui justifie l'intérêt de leur production — mais elles ne parviendront pas complètement à éviter une remise en cause car les combustibles fossiles sont absolument partout. Je ne crois pas à la possibilité de faire une civilisation telle que celle que nous connaissons actuellement sans combustible fossile.

En utilisant de moins en moins de combustibles fossiles, nous vivrons ce que nous appelons la décroissance, la contraction ou la sobriété, c'est-à-dire que nous devrons vivre avec moins de choses physiques. Il nous appartient que cette décroissance ne soit pas une catastrophe. Toutefois, je ne crois pas que nous y échapperons, pour des raisons physiques notamment.

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Premièrement, vous avez évoqué la quantité de ressources que nous importons mais comment mobilisons-nous les ressources sur notre sol, notamment les ressources minières comme le lithium ?

Deuxièmement, comment construire des scénarios énergétiques crédibles ? Nous sortons d'une période où nous avons vu beaucoup de scénarios énergétiques se contredire. Quelle méthode devrions-nous adopter pour construire des scénarios énergétiques crédibles ?

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

Aucune de ces deux questions n'a une réponse simple.

Concernant l'exploitation des ressources, encore faudrait-il que nous en ayons. Le sol français n'a plus beaucoup de charbon et de minerais de fer. Je ne sais pas s'il a contenu des minerais de cuivre mais, le cas échéant, ils doivent être peu nombreux à ce jour. Certes, nous disposons de certaines ressources que nous pouvons exploiter mais il n'est pas du tout certain que nous ayons la possibilité d'exploiter certaines autres ressources.

S'agissant des ressources métalliques, il y a un cercle vicieux — ou, en tout cas, d'asservissement — entre l'énergie et les métaux car, avec le temps, la teneur en métal des minerais baisse, ce qui signifie qu'il faut de plus en plus d'énergie pour produire une tonne d'un métal donné. Par exemple, au début de l'exploitation minière des premières mines de cuivre exploitées dans le monde, et notamment dans la mine de Rio Tinto, le cuivre représentait entre 15 à 20 % en poids dans le minerai. Aujourd'hui, dans le minerai des mines exploitées dans le monde, la teneur moyenne en cuivre s'élève à 0,4 % en poids. Il existe un mouvement général de baisse de la teneur en métaux dans toutes les mines exploitées dans le monde. Une partie des mines françaises ont été abandonnées parce que la teneur devenait trop basse et que ces mines n'étaient pas rentables en comparaison avec d'autres gisements plus intéressants dans le monde.

Pour accéder aux métaux, de l'énergie est nécessaire. Or, les ressources que nous pouvons éventuellement trouver en France sont inévitablement conditionnées à la quantité d'énergie dont nous pouvons disposer pour accéder à ces métaux et, par ailleurs, à l'inventaire de départ. Nous resterons nécessairement dépendants, pour partie, d'éléments qui ne viennent pas de France. Au vu des quantités de cuivre impliquées dans le développement de tout ce qui est électrique, il est évident qu'en France, nous ne pouvons pas déployer quoi que ce soit de significatif comme mode renouvelable — ou même non renouvelable — et comme usage aval électrique sans importer du cuivre. Je ne sais pas si ce sera facile ou difficile.

Concernant le cuivre, une information a récemment été publiée par l'agence internationale de l'énergie (AIE), disant que les mines de cuivre en fonctionnement et en cours de développement dans le monde passeraient leur pic entre maintenant et dans deux ans. Or, pour que de nouveaux projets de mines voient le jour, il faut compter entre dix et quinze ans.

La création de scénarios crédibles est très compliquée. Au sein du Shift Project, nous avions modestement fait un discours de la méthode sur les scénarios électriques, qui nous a valu des dialogues très nourris et fructueux avec Réseau de transport électrique (RTE). Nous avions proposé un mode de réalisation des scénarios indiquant que, pour que le scénario soit complet et que le décideur arrive à s'y retrouver, il faut absolument prendre position sur un certain nombre de points et bien préciser ce qui constitue une donnée d'entrée et une donnée de sortie.

Presque tous les scénarios énergétiques partagent une faiblesse, à savoir de placer l'économie comme une donnée d'entrée. Or, de mon point de vue, l'économie est une donnée de sortie. En effet, c'est parce que nous avons des ressources que nous sommes capables d'avoir un système économique. S'il n'y avait pas d'atomes de fer sur Terre, il n'y aurait pas d'immeubles tels que nous les construisons aujourd'hui avec des armatures en fer. La disponibilité des ressources est donc un facteur limitant de la production économique. La croissance du PIB devrait être une donnée de sortie d'un modèle dans lequel les données d'entrée sont les ressources disponibles et le nombre de gens capables de travailler. Cette faiblesse est notamment partagée par le scénario de RTE.

Une autre faiblesse, partagée par beaucoup de scénarios économiques, est le fait de postuler que les prix d'aujourd'hui sont prédictifs de l'absence de limites sur les quantités de demain. Or, malheureusement, les prix d'hier ne sont absolument pas prédictifs des quantités de demain. Nous le constatons en ce moment avec le gaz, qui était peu onéreux il y a un an et demi, ce qui ne signifie pas du tout que nous aurons du gaz sans problème pour les trois hivers à venir.

La difficulté à désimbriquer l'économie de la partie strictement physique constitue une faiblesse partagée par tous les scénarios énergétiques. Les autres faiblesses sont un peu plus secondaires. Aucun des scénarios énergétiques envisagés aujourd'hui n'est résistant à la récession. Dans un monde dans lequel nos moyens physiques sont en décroissance, nous ne savons pas si le scénario énergétique est toujours réaliste. Ce qui est très étonnant est que même les scénarios de sobriété, tels que les scénarios Transition(s) 2050 de l'agence de l'environnement et de la maitrise de l'énergie (ADEME) qui viennent d'être publiés, contiennent de la croissance économique, ce qui témoigne d'une contradiction.

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Pouvez-vous qualifier l'évolution de la dépendance énergétique dans notre pays depuis l'après-guerre ?

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

La dépendance a baissé en termes de valeur ajoutée car nous avons coutume de considérer le nucléaire comme une production domestique. Il faut importer moins de 1 euro d'uranium par mégawattheure électrique produit avec du nucléaire en France, ce qui peut être considéré comme une part parfaitement négligeable. Toutefois, si nous raisonnons en termes de dépendance et de capacité à faire fonctionner le système français sans importation venu de l'étranger, nous ne sommes pas plus indépendants sur le nucléaire que sur le reste. Cependant, nous ne sommes pas dépendants de la même manière et, comparé aux hydrocarbures, notre confort temporel n'est pas exactement le même.

La France dispose de trois mois de stock d'hydrocarbures. S'agissant de l'uranium, nous pouvons stocker des années de fonctionnement sur le sol, ce qui laisse un peu plus de temps pour s'adapter si nous rencontrons un problème avec un fournisseur.

En passant des hydrocarbures au nucléaire, ce qui est la décision prise dans la production électrique dans les années 1970, nous ne pouvons pas dire que nous avons gagné en indépendance stricto sensu mais nous avons gagné en confort et en part de valeur ajoutée réalisée sur le sol français, en comparaison de ce qui est fait à l'étranger. Nous avons aussi gagné sur les émissions de CO2, même si ce n'était pas le but à l'époque.

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Ce que vous venez de dire en prospectif signifie-t-il qu'avec un réinvestissement de la filière nucléaire — à technologie constante, marginalement évolutive avec les réacteurs pressurisés européens (EPR), différente avec les neutrons rapides ou très différente avec la fusion —, nous gagnerions en confort, mais pas en indépendance ?

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

Nous ne gagnerions toujours pas en indépendance stricto sensu car nous aurons toujours besoin d'un fournisseur étranger, notamment pour le chrome et le cuivre, qui sont nécessaires pour construire une centrale nucléaire et dont nous ne disposons pas en France. Toutefois, nous gagnerions en confort et en quantité. Concernant le cuivre, il me semble que l'ordre de grandeur est supérieur à dix entre le solaire et le nucléaire pour la quantité de cuivre par kilowattheure produit. Ainsi, si nous voulons produire des énergies décarbonées, nous sommes moins dépendants si nous faisons du nucléaire que si nous faisons un système solaire. En outre, d'une manière générale, les énergies renouvelables exploitant des sources diffuses (donc le vent et le soleil) ont besoin de davantage de collecteurs pour avoir la même quantité d'énergie à l'arrivée, sans parler du fait que nous avons besoin de sources concentrées — pour maintenir un système pas trop éloigné du système actuel — et, éventuellement, de stocker, ce qui demande également des moyens supplémentaires, notamment des métaux. Développer la filière nucléaire ne permet donc pas d'être indépendants mais d'être moins dépendants que d'autres options concernant les métaux.

Parmi les trois solutions que vous avez citées, la fusion peut être exclue d'emblée car, même dans cent ans, elle n'aura pas changé significativement la donne dans l'approvisionnement électrique décarboné. Le dispositif ITER a seulement pour objet de produire un peu plus d'énergie avec la fusion du plasma que l'énergie nécessaire pour mettre le plasma en chauffe à quelques millions de degrés. Par ailleurs, ITER ne comporte aucun dispositif électrogène et j'ignore si nous savons faire un dispositif électrogène avec du rayonnement gamma et des neutrons alors qu'il est possible de récupérer de l'eau chaude dans un réacteur à fission.

La quatrième génération semble être le grand déterminant de la possibilité de disposer d'un nucléaire « durable » à l'avenir. Le nucléaire que nous exploitons aujourd'hui utilise un isotope très minoritaire de l'uranium, à savoir l'uranium 235, présent à environ 0,7 % dans l'uranium naturel. En raison des quantités récupérables d'uranium sur terre, en ordre de grandeur, si nous voulions remplacer une fraction significative des centrales à charbon mondiales par du nucléaire, il n'y aurait pas assez d'uranium 235 pour que cela fonctionne pendant des siècles. Pour que le nucléaire soit durable, il faut absolument passer à la quatrième génération, capable d'exploiter soit l'uranium 238 soit du thorium, sans trop tarder car, pour démarrer ces réacteurs de quatrième génération, nous avons quand même besoin du seul matériau fissile trouvable sur terre, à savoir l'uranium 235. En passant à la quatrième génération, nous serions capables d'exploiter les stocks d'uranium 238 accumulés mais cela ne change pas grand-chose en termes d'indépendance car nous continuons à avoir besoin d'importer d'autres métaux, notamment pour construire les réacteurs. Le poids de l'uranium n'est pas un élément absolument fondamental. Si un passage à la quatrième génération est toujours bon à prendre, l'argument premier est qu'à l'échelle mondiale, il s'agit du seul nucléaire qui puisse être réellement durable.

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Pour compléter le panorama, pouvez-vous dresser le tableau, pour un certain nombre d'énergies renouvelables, en termes de capacité à sécuriser les approvisionnements, à moyen terme, de métaux et de fiabilité ?

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

Le trio de tête des énergies renouvelables utilisées dans le monde comme en France comprend la biomasse produite avec du bois — sous réserve de ce que j'ai dit en ouverture sur la déforestation —, l'hydroélectricité — c'est-à-dire l'exploitation des fleuves — et l'éolien.

Les perspectives sont assez différentes pour ces énergies renouvelables.

L'utilisation du bois est conditionnée par l'évolution de la forêt, qui sera mise à mal par le réchauffement climatique. À condition climatique stabilisée — c'est-à-dire si le réchauffement s'arrêtait —, 10 % de la forêt française mourra tout de même. Dans un monde se réchauffant de deux degrés, nous nous rapprochons plutôt de 40 ou 50 % des espèces actuelles, selon des simulations réalisées avec toutes les réserves que nous pouvons avoir et sachant que, ces dernières années, l'évolution a été plus négative que les simulations dont j'avais connaissance il y a dix ans.

Concernant l'hydroélectricité, nous connaitrons un stress hydrique qui nous desservira car les simulations au sujet du réchauffement climatique montrent globalement un assèchement sur le pourtour du bassin méditerranéen, et notamment dans les Alpes au sens large. Cet assèchement peut même s'étendre vers le nord puisque cette année, les réservoirs de barrages sont très mal remplis en Norvège. La sécheresse s'est donc étendue suffisamment au nord en Europe pour que la Norvège évoque même la possibilité d'exporter moins d'électricité que d'habitude, ce qui a provoqué de vives réactions au Danemark, qui a besoin des échanges avec la Norvège pour équilibrer l'intermittence de son parc éolien extrêmement développé. L'hydroélectricité ne peut pas être beaucoup plus développée en France. Avec la microhydraulique, nous pouvons faire des microproductions, mais, même en grand nombre, ces dernières ne changeront pas significativement la donne à l'échelle française.

Parmi les nouvelles énergies renouvelables, les deux contributions les plus utilisées sont les pompes à chaleur et l'éolien.

Concernant l'éolien, nous comptons l'énergie électrique qui sort d'une éolienne quand les pales sont mises en mouvement par la force du vent. L'avantage de l'éolien est qu'une fois construite, l'éolienne n'engendre pas d'émission. La limite est qu'il faut construire beaucoup d'éoliennes pour récupérer des quantités significatives d'électricité car l'éolien exploite une énergie relativement diffuse. Développer beaucoup de projets signifie que, pour chaque projet, des gens sont éventuellement capables de s'y opposer. Ensuite, le vent n'est pas toujours régulier en permanence alors que la puissance d'une éolienne dépend du cube du vent. Si la vitesse du vent est divisée par deux, la puissance électrique fournie est divisée par huit. À l'échelle de l'Europe, même avec l'interconnexion de toutes les éoliennes européennes, l'ensemble du parc éolien peut descendre à moins de 5 % de la puissance installée. Nous ne pouvons donc pas avoir un système purement éolien. En outre, même en ajoutant du solaire — qui est un peu contracyclique par rapport à l'éolien —, l'ensemble des deux ne permet toujours pas de garantir l'approvisionnement.

Ces énergies ont une limite en termes d'emplacements et de matériaux, car elles sont beaucoup plus intensives en métal que les modes centralisés que nous avons l'habitude d'utiliser jusqu'à maintenant. Ces limites sont plutôt physiques, a contrario des limites du nucléaire, qui sont plutôt liées aux compétences et au consensus. Je ne dis pas que la volonté humaine est une limite plus simple à franchir car elle peut au contraire être beaucoup plus compliquée.

Les pompes à chaleur exploitent le transfert d'énergie entre l'environnement et l'intérieur d'un logement ou l'intérieur d'une usine avec un cycle thermodynamique, qui a en général l'avantage d'avoir un rendement supérieur à 1 — c'est-à-dire que, pour un kilowattheure d'électricité que vous injectez dans la machine, vous transférez plusieurs kilowattheures de chaleur entre l'extérieur et l'intérieur d'un logement. Cette contribution commence à devenir significative mais cette énergie renouvelable a besoin d'électricité pour être mise en œuvre, ce qui constitue un peu un paradoxe. J'avais fait un petit calcul d'ordre de grandeur et déduit que, si on voulait remplacer l'ensemble du chauffage au gaz de France par des pompes à chaleur, après avoir préalablement isolé l'ensemble des bâtiments, il faudrait quand même trouver quelques dizaines de térawattheures d'électricité, ce qui est possible mais semble difficile.

Après l'éolien et les pompes à chaleur arrivent des contributions plus marginales telles que les agrocarburants, le solaire ou encore la géothermie.

La difficulté est qu'il n'y a aucune de ces énergies renouvelables pour lesquelles nous pouvons nous dire qu'il n'existe pas de problème à son expansion indéfinie.

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Le discours sur la production des énergies nucléaires en France a beaucoup varié des années 1980 à aujourd'hui. Citons la préparation à la fermeture de Superphénix, les décisions prises dans les années 2000, la fermeture de la centrale de Fessenheim ou encore le discours du Président de la République de Belfort. En tant que participant au débat public, à la fois avec les décideurs politiques, mais aussi dans les universités, quel regard portez-vous sur toutes ces évolutions et quelles causes leur attribuez-vous ?

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

Je me méfie beaucoup du fait que je vois midi à ma porte, comme beaucoup de personnes. Les sondages sur les Français et l'énergie montrent que ce qui compte beaucoup est le prix et que d'autres éléments sont perçus comme beaucoup moins importants.

Je constate quand même que les systèmes énergétiques vivent sur un pas de temps qui n'est pas celui de la démocratie. Le principal problème des débats sur l'énergie est qu'ils portent toujours sur des pas de temps d'un ordre de grandeur inférieur à ce qu'il faudrait regarder. Nous nous intéressons à ce que nous allons faire dans les années à venir alors qu'il faudrait que nous disposions d'un plan un peu construit sur les décennies à venir et que nous n'y revenions pas régulièrement.

Il faut parvenir à créer un consensus dans la population — car seul ce consensus transcende les alternances électorales — sur la façon dont il faut s'organiser et ne pas trop dévier, en espérant que le coup d'essai soit un coup de maître. Lorsque nous sommes dans une course contre la montre à la fois avec le changement climatique et l'épuisement de ce qui a fait la civilisation moderne, nous n'aurons pas le droit à cinquante essais-erreurs. Nous payerons d'ailleurs le prix d'une partie des essais - erreurs faites dans le passé.

Je ne suis pas en mesure d'expliquer très exactement ce qu'il s'est passé durant les vingt dernières années. Je continue à chercher, à essayer de me construire une histoire et je ne suis pas au bout de ma quête.

Il y a eu des épisodes isolés que nous sommes capables de reproduire. Par exemple, il ne fait absolument aucun doute dans mon esprit que l'objectif de 50 % de nucléaire et la fermeture de Fessenheim ont été décidés car François Hollande souhaitait conclure un accord avec Les Verts. La situation était similaire concernant Lionel Jospin et Superphénix.

Cependant, il m'est très difficile d'expliquer certains autres éléments. Par exemple, je ne peux pas expliquer pourquoi le pétrole est si absent du débat public en France. Le pic de production du pétrole n'intéresse personne. Encore aujourd'hui, quand vous expliquez que nous sommes déjà entrés en décrue subie d'approvisionnement pétrolier, les gens sont extrêmement surpris. Nous avons un peu commencé à parler du gaz en raison des menaces de Vladimir Poutine. Il existe donc une focalisation sur l'électricité dans le débat public qui ne vous aura pas échappé, notamment sur un antagonisme entre nucléaire et énergies renouvelables électriques qui fait les choux gras de la presse.

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J'aimerais entendre votre opinion concernant le niveau d'information du grand public et des décideurs publics en termes de connaissance du domaine énergétique et l'implication sur les décisions prises.

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

Ce niveau est faible.

L'énergie n'est pas un sujet central dans l'information médiatique, probablement parce qu'elle est vue comme un bien de consommation avant d'être vue comme le déterminant de ce qui fait notre monde. Or, sans camions, il n'y aurait pas de villes. Parler de l'énergie uniquement sous l'angle du prix est quand même extrêmement réducteur et court-termiste.

D'une façon générale, dans les médias français, il y a un problème de qualification technique, qui évolue doucement. Les médias français ne sont pas à l'aise avec les sujets très techniques, ce qui tient peut-être à la formation des journalistes — qui n'est pas technique et nécessite de compenser par de l'expérience sur le tas, ce qui prend du temps — ou à l'organisation des rédactions — où l'aristocratie est le service politique qui ne discute pas des vices et des boulons parce que l'intendance suivra.

Il est clair que la qualité de l'information est médiocre et que le niveau d'information de la population n'est pas très élevé. Je serais étonné que la situation soit extraordinairement différente dans les autres pays occidentaux. Toutefois, je pense que quelques pays sont quand même un peu plus matures, notamment la Grande-Bretagne où le débat est un peu plus éclairé. D'une manière générale, le degré de compréhension du grand public et son degré d'implication dans ces débats sont très faibles.

Les débats publics concernent une toute petite fraction de la population. Par exemple, je serais curieux de savoir, à la fin des débats organisés en ce moment par la commission nationale du débat public (CNDP), quelle fraction de la population en aura entendu parler. Mon expérience est que ces débats concernent une toute petite fraction de la population, ce qui n'est pas nécessairement une bonne nouvelle mais constitue en tout cas une donnée du problème.

Concernant les décideurs et les élus, j'ai envie de dire que la situation s'est différenciée durant les dix dernières années. Je pense que le monde civil a progressé plus vite que le monde politique. Au vu des débats que nous pouvons avoir aujourd'hui dans le monde politique sur ce sujet, je n'ai pas l'impression que nous avons beaucoup bougé par rapport à il y a dix ans, même si des décisions peuvent être prises. La conscience, dans la société civile, que les temps qui s'annoncent risquent de ne pas être très simples et la compréhension, parmi les décideurs, d'un certain nombre d'éléments concernant à la fois le climat et l'énergie ont quand même un peu progressé.

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Je cède la parole à M. Jean-Philippe Tanguy pour le groupe Rassemblement National.

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À notre modeste échelle, nous essayons de mettre le sujet du pétrole dans le débat public depuis plus de dix ans. Nous avons échoué. Les ressources financières de la Russie liées au pétrole sont plus importantes que celles liées au gaz. Pourtant, même en évoquant ce sujet, nous avons échoué.

Nous voyons avec la pénurie de carburants que nous avons subie que le pétrole reste un sujet central des préoccupations des Français. Pourtant, nous ne disposons pas de solutions techniques. L'une des raisons de cette commission n'est pas seulement de critiquer pour critiquer mais de savoir ce que nous faisons. J'ai bien entendu votre réflexion sur les moyens de production électrogènes alternatifs, mais que pouvons-nous faire pour remplacer ce don empoisonné de la nature qu'est le pétrole, qui a permis la société de consommation mais aussi l'amélioration des conditions du plus grand nombre ?

L'aporie que nous connaissons dans le débat public est que le lien entre la hausse du niveau de vie et la démocratie est évident. Tout le monde remet en cause l'abaissement du niveau de vie comme une fatalité. Ce qui m'inquiète beaucoup est que je pense qu'il sera lié à une baisse du niveau de démocratie et des libertés publiques, qui va de pair.

L'importance de trouver une solution à ce qui a permis que la vie des personnes soit plus douce, agréable et vivable nous préoccupe vivement. Vous avez formulé de nombreuses critiques, que j'entends. À notre place, quelle option technique prendriez-vous sachant le panel de technologies que maitrise la France ?

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

La réponse longue figure dans les travaux réalisés par le Shift Project sur la façon de faire évoluer le parc de bâtiments et la mobilité.

Trois grands usages du pétrole sont à dénombrer en France.

Premièrement, l'essentiel du pétrole est utilisé pour la mobilité des marchandises et la mobilité des personnes. Paradoxalement, nous dépendons plus encore de la mobilité des marchandises, qui ne peuvent pas se déplacer seules, que de la mobilité des personnes. Si demain matin, seule une voiture sur trois était capable de rouler en France, il y aurait des protestations de toute part mais nous pourrions nous organiser quand même. Alors que si demain matin, seul un camion sur trois était capable de rouler en France, nous serions confrontés à un sujet d'approvisionnement alimentaire puisque 30 % des camions transportent des denrées alimentaires.

Deuxièmement, le pétrole est un peu utilisé pour le chauffage.

Troisièmement, le pétrole sert un peu dans l'industrie, notamment comme matière première pour faire de la chimie organique, laquelle se retrouvera absolument partout (dans les vêtements, les bâtiments, les détergents et dans les biens intermédiaires qui servent à toute l'industrie à l'aval).

Les options pour remplacer le pétrole ne sont pas les mêmes en fonction de ce que nous regardons.

Plusieurs parties du plan de transformation de l'économie française du Shift Project portent sur la mobilité. Nous avons à la fois analysé la mobilité longue distance — avec un rapport à part consacré à la mobilité aérienne —, la mobilité du quotidien et la mobilité des marchandises. Ce travail conclut qu'il faudra faire avec moins de voitures car, l'énergie cinétique étant ½ mv², déplacer 1,5 tonne de métal nécessite une certaine quantité d'énergie. Sans pétrole, les énergies alternatives — qu'il s'agisse de l'électrification ou des agrocarburants — ne permettront pas de conserver 40 millions de véhicules particuliers en France. Cela n'est pas nécessairement un drame mais cela nécessite de s'organiser en conséquence.

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

C'est votre métier.

Nous pouvons nous organiser, afin que cette diminution du nombre de véhicules particuliers ne soit pas un drame, ou ne rien faire et, dans ce cas, ce sera un drame. S'organiser signifie développer les transports en commun — pas nécessairement des transports lourds mais aussi des bus et des autocars —, le covoiturage et encourager les modes actifs, particulièrement pertinents en ville et en périphérie des villes denses.

Il faudra également s'occuper du transport des marchandises. Une première partie du fret peut être électrifiée sur autoroute ou sur grands axes en hybridant les camions et en les électrifiant. Une deuxième partie du fret peut être basculée sur le ferroviaire. Enfin, une troisième partie des transports de fret doit s'arrêter, comme les livraisons en 24 heures par une entreprise des GAFA que je ne nommerai pas.

Lorsque nous renonçons à une activité, la vraie question n'est pas tant le consommateur mais le drame qu'un arrêt peut provoquer pour les personnes qui y travaillent. Il est donc nécessaire de planifier, avec un préavis suffisant pour que les gens puissent trouver une autre activité qui les intéresse ailleurs.

Le transport aérien est né avec le pétrole et mourra avec le pétrole. Aucune alternative technologique n'est à l'échelle de façon raisonnable. L'avion consomme 8 % du pétrole mondial. Si je transformais les quatre premières cultures végétales du monde — que sont le maïs, le riz, le blé et le soja — en agrocarburants, cela permettrait d'obtenir un quart du pétrole mondial, soit trois fois la quantité consommée par l'aérien. Il faut donc oublier les agrocarburants pour promener des riches en avion. Une partie du transport aérien va se contracter, ce qui n'est pas nécessairement un drame. Moins ces questions seront anticipées et plus ces évolutions seront désagréables.

La technologie permettra d'amortir un certain nombre d'évolutions. Un vélo électrique est un objet technologique. En France, un certain nombre d'équipementiers ont commencé à fabriquer des pièces pour les vélos électriques. Si nous passons de voitures importées à des vélos électriques fabriqués en France, nous pouvons à la fois accroitre la sobriété dans les déplacements et gagner en emplois. Il ne faut pas nécessairement voir le changement de mode de déplacement comme une évolution dramatique. Des alternatives sont intéressantes tandis que d'autres le sont moins. Nous devons essayer de faire le tri afin de choisir l'option la plus intéressante possible. De toute façon, les limites de l'exercice viennent de la raréfaction du pétrole, qui est si extraordinaire en termes physiques que les options pour le remplacer ne seront pas à l'échelle.

S'agissant des bâtiments, il faut remplacer les chaudières à fioul par des pompes à chaleur tout en ayant isolé les bâtiments, ce qui engendre des problèmes pratiques liés à la possibilité de disposer d'un nombre suffisant d'artisans, de pompes à chaleur fabriquées en France et d'une production électrique suffisante.

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Je cède la parole à Mme Marjolaine Meynier-Millefert pour le groupe Renaissance.

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Les besoins de chaleur représentent environ 50 % de l'énergie finale consommée en France. Pourquoi les sujets des énergies renouvelables thermiques sont-ils si mal investis dans notre pays ?

Concernant l'évolution des consommations énergétiques, nous avons tendance à constater que plus la production augmente, plus les consommations augmentent. Peut-on revenir en arrière sur un certain nombre de technologies inflationnistes d'un point de vue énergétique afin de retrouver des consommations d'énergie moins importantes permettant de répondre à peu près aux mêmes usages ? Par exemple, les véhicules deviennent de plus en plus volumineux mais servent toujours le même usage. Peut-on revenir aux usages pour poser la question du besoin énergétique en France et de la sobriété ?

Vous avez évoqué le consensus que nous devons parvenir à créer dans la population au sujet d'une stratégie énergétique globale qui dépasserait les alternances politiques. Pendant longtemps, les grandes oppositions de dissensus, que vous avez un peu contribué à créer, concernaient les énergies renouvelables et le nucléaire. Comment pouvons-nous dépasser ce dissensus ? Avez-vous réglé votre dissensus concernant les énergies renouvelables ?

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Je cède la parole à M. Maxime Laisney pour le groupe La France Insoumise.

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Je partage avec vous des objectifs assez ambitieux de sobriété. Je crois que nous ne nous en sortirons pas si nous ne fixons pas des objectifs et si nous ne parvenons pas à en discuter avec nos concitoyens. La sobriété doit faire l'objet de consensus dans la population.

Le parc nucléaire est actuellement confronté à un problème de corrosions sous contrainte. Avez-vous des indications techniques sur le sujet et la possibilité de les surmonter ?

Concernant les EPR, vous avez parlé des centrales de quatrième génération. Les EPR 2 sont actuellement en projet : celui de Flamanville n'est toujours pas mis en service et doit être mis en service en 2023, en mode dégradé, ou ailleurs dans le monde, à Taichan par exemple. Nous avons entendu parler des small modular reactors (SMR). Quel est votre avis sur ce point ?

Il me semble que le nucléaire pose aussi un problème de délai, entre le moment où une décision est prise et le moment de la réalisation. Est-ce vraiment raisonnable de parier là-dessus pour lutter contre le réchauffement climatique ?

Vous avez évoqué les problèmes de sécheresse ainsi que de déficit et du réchauffement de l'eau, qui constituent un problème pour refroidir les réacteurs. Quel est votre avis sur ce point ?

Le nucléaire ne semble pas, à l'heure actuelle, payé à son prix réel. En effet, Électricité de France (EDF) est endettée à hauteur de 60 milliards d'euros. En cas d'investissements dans le nucléaire, restera-t-il de l'argent pour investir dans les énergies renouvelables ?

J'aimerais vous entendre sur la question des déchets nucléaires, qui ne peut pas être balayée d'un revers de main.

Enfin, le pilotable constitue un sujet. Parmi les énergies renouvelables, quel est votre avis sur le biogaz et l'hydrogène ?

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Monsieur Jean-Marc Jancovici, je vous cède la parole pour que vous puissiez répondre.

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

J'émets l'hypothèse que la chaleur renouvelable est peu évoquée en France car, au moment du Grenelle de l'environnement, Nicolas Sarkozy avait dit que le nucléaire ne serait pas abordé. Les associations antinucléaires n'en ont donc pas parlé mais ont essentiellement évoqué les renouvelables électriques. Le sujet n'était pas tant le climat car remplacer une énergie bas carbone par une autre énergie bas carbone change peu de choses. Sans le dire, l'accent a été mis sur les renouvelables électriques en raison d'une motivation antinucléaire.

Ce point s'inscrit dans une opposition plus ancienne. Le nucléaire est en général l'élément pivot des débats publics sur l'énergie, beaucoup plus que les hydrocarbures, ce qui a beaucoup structuré, y compris le développement des énergies renouvelables.

En 2018 ou 2019, plus de deux tiers des Français pensaient que le nucléaire contribuait significativement aux émissions de gaz à effet de serre. Il s'agit, à mon avis, d'une conséquence directe de ce débat ainsi que du fait que les énergies renouvelables et le nucléaire ont été très longtemps opposés.

Lorsque, dans d'autres pays européens, la chaleur renouvelable a fait l'objet de politiques de promotion anciennes, c'est que le pays disposait par ailleurs d'un potentiel important. Dans les pays nordiques, dont les gisements forestiers sont très importants rapportés à la population, la chaleur renouvelable fait l'objet d'effort depuis longtemps. Cet élément a peut-être joué en France car la chaleur renouvelable n'avait pas un potentiel très important. Lorsque le potentiel était important dans certaines régions de France, en particulier dans les départements d'outre-mer (DOM), elle a fait l'objet d'une promotion aussi puisque les chauffe-eaux solaires y sont raisonnablement répandus.

Nous pouvons faire en sorte de limiter les usages en le décidant. Rien ne nous empêche en théorie de militer auprès de l'Union européenne pour limiter le poids des véhicules neufs vendus. Il n'existe pas de limites physiques, mais seulement une affaire de volonté. Augmenter les usages augmente l'activité économique sous-jacente. Lorsque, quoi qu'on fasse, le prisme économique est placé comme prisme de lecture premier, la limitation des usages sera assez rarement recherchée. Même quand il s'agit de fumer et d'avoir des habitudes alimentaires néfastes, les usages ne sont pas limités et de la publicité est diffusée pour les inciter. Dès lors que nous prenons les activités sous l'angle économique, le mécanisme d'incitation à l'inflation des usages se met naturellement en route, parce que c'est ce qui entraîne l'inflation de l'activité. Si nous voulons sortir de ce mécanisme, nous devons accepter de changer la hiérarchie des indicateurs, ce qui n'est pas simple.

Par ailleurs, j'ai toujours la même opinion concernant la pertinence de remplacer le nucléaire par des énergies renouvelables. Je pense délibérément que ce remplacement serait inutile et qu'il a constitué une perte de temps et d'argent. En revanche, dans le cadre dans lequel nous sommes aujourd'hui, il n'est pas stupide de produire des énergies renouvelables — même si cela dépend de leur nature et du but fixé. Je continue à penser qu'il faut raisonner de manière pragmatique et différenciée, en ne parant ni le nucléaire ni les énergies renouvelables de tous les brevets de vertu car toutes les énergies ont des avantages et des inconvénients. Il me semble que la bonne situation, vers laquelle nous devons essayer de tendre, est celle dans laquelle nous jugeons sur pièce.

Des informations publiques sont disponibles concernant la corrosion sous contrainte. Cédric Lewandowski a été auditionné par l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) il y a quelques jours. Je vous invite à aller voir son intervention, assez complète, qui fournit un certain nombre d'indications techniques sur ces corrosions.

Je pense que l'EPR était trop compliqué parce qu'on a cherché à faire à la fois plaisir aux Français et aux Allemands. Depuis l'origine, l'autorité de sûreté du nucléaire (ASN) n'a jamais été chargée de faire un arbitrage coût/bénéfice sur les mesures de sûreté qu'elle doit mettre en œuvre. Son seul prisme de lecture est la sûreté mais, si un excès de sûreté engendre un risque de défaut d'approvisionnement, pouvant lui-même entrainer des conséquences extrêmement délétères, cette question est hors de son champ. Or il me semble que nous ne pourrons pas faire l'économie de nous poser ce genre de question, dans un monde qui va lui-même être en économie de moyens. À l'avenir, nous serons nécessairement obligés — pour le nucléaire comme pour l'éolien — de revoir l'arbitrage avantages-inconvénients à l'aune d'un monde dans lequel nous sommes un peu dans une course contre la montre et dans lequel nous serons en économie forcée de moyens de façon croissante. Ce cadre est évidemment beaucoup moins confortable que le cadre dans lequel nous raisonnions jusqu'à maintenant. Il n'est pas évident que, dans ce monde, il faille faire un nucléaire aussi complexe que celui que nous faisons aujourd'hui.

Je ne crois pas qu'il faille construire uniquement des EPR 2 pour remplacer le parc actuel. La solution qui aurait ma préférence est d'employer les grands moyens sur le développement de la quatrième génération. Si nous nous mettons en « économie de guerre », je pense que nous sommes à quinze ans de pouvoir disposer de modèles déployables. À ce moment, nous faisons la jonction avec des EPR, le temps de pouvoir commencer à déployer de la quatrième génération. Toutefois, nous n'en faisons pas plus que cela. Cette option n'est pas sur la table actuellement. Dans l'intervalle, il est évident qu'aujourd'hui, si nous voulons davantage d'électricité, la seule option qui reste est de rajouter des moyens renouvelables dans les dix à quinze ans à venir.

Avec les énergies renouvelables, la difficulté est dans le système et non dans l'objet. Fabriquer une éolienne n'est pas compliqué alors que faire un système qui repose majoritairement sur des sources non pilotables est tellement complexe que je pense personnellement que nous aurons beaucoup de difficulté à y arriver. Néanmoins, nous pouvons en ajouter un peu.

Par ailleurs, le scénario publié par l'association Les Voix du Nucléaire, qui propose de développer des moyens renouvelables et des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) dans les décennies à venir, tant que nous ne sommes pas capables de faire la jonction avec du nucléaire de troisième et quatrième génération, me semble assez malin. Je n'ai pas étudié ce scénario en détail mais je trouve qu'il n'est pas inintéressant. L'association Les Voix du Nucléaire indique qu'une fois que nous serons capables de déployer du nucléaire de quatrième génération, nous pourrons déconstruire les éoliennes et cesser de les utiliser.

Je pense que les SMR, du fait de leur taille, ne changeront pas significativement la donne mais peuvent être très intéressants pour les régions insulaires qui dépendent de l'électricité au fioul ou au charbon.

La sécheresse est un problème de production et non un problème de sûreté. Lorsqu'un réacteur est mis à l'arrêt, un millième de l'eau utilisée lors du fonctionnement normal est nécessaire pour le maintenir en condition froide. En cas de manque d'eau, le risque encouru est le défaut de production mais il n'existe pas de risque pour la sûreté. Le défaut de production est un risque pour tous les modes qui dépendent de l'eau tels que les centrales nucléaires et thermiques ainsi que l'hydroélectrique. La plus grande centrale nucléaire américaine fonctionne sans mer et sans rivière mais avec les eaux usées d'une ville, qui lui servent de source froide.

La question du coût du nucléaire est essentiellement une question de cadre de marché. Par exemple, le coût du mégawattheure de la centrale d'Hinkley Point s'élèvera à plus de 100 livres sterling. Or, si le financement de cette centrale avait eu lieu avec de l'argent disponible à 2 % par an — et non pas avec de l'argent disponible à 10 % par an —, la même centrale aurait produit des mégawattheures aux alentours de 50 euros. Le vrai sujet du coût du nucléaire est la structure de financement, qui dépend essentiellement du cadre public ou non. Le nucléaire n'a rien à faire dans un cadre privé car il s'agit, par essence, d'une activité régalienne qui relève de l'État et qui doit accéder à des financements qui sont ceux de l'État. Toutefois, j'ai le même raisonnement pour les énergies renouvelables et je considère que le fait d'avoir fourni des produits financiers à 15 % de rendement sur capitaux investis pour les premiers panneaux solaires n'aurait jamais dû exister.

La question des déchets nucléaires est très importante dans le débat public. Le fait que ces déchets fassent partie des éléments générant le plus de peur ne me semble pas du tout en adéquation avec la hiérarchie des nuisances lorsque nous regardons tout ce qui est déversé dans l'environnement (CO2, phytosanitaires ou encore particules fines). Les déchets nucléaires sont de deuxième ordre car, même si leur nature n'est certainement pas anodine, ils sont tout petits, peu nombreux et confinés.

De très loin, l'option préférentielle est de les mettre dans un trou et de les oublier, ce que les Suédois ont décidé de faire. Je considère que le retraitement est une bonne idée puisqu'il permet de concentrer de façon très importante le volume à stocker et de récupérer un certain nombre d'éléments qui sont récupérables dans les assemblages usés.

La réversibilité du stockage ne me semble pas cruciale. Un stockage non réversible s'est produit de façon très naturelle il y a deux milliards d'années dans une mine d'uranium à Oklo au Gabon, où des réacteurs sont apparus spontanément. Les produits de fission avaient très peu migré par rapport à l'endroit où ils s'étaient formés. Nous sommes capables de mettre du pétrole et du gaz sous pression dans une couche géologique profonde, dans laquelle ils resteront pendant des millions d'années. Nous pouvons donc très bien placer des éléments solides comme des colis vitrifiés dans une couche géologique appropriée et ne pas être très inquiets à l'idée qu'ils réapparaissent cinquante ans plus tard.

Il faut savoir qu'au bout de quelques siècles, les produits de fission sont revenus au niveau de radioactivité de l'uranium initial. C'est moins que la cathédrale Notre-Dame, qui est à l'air libre et donc beaucoup plus agressée. Le chiffre de 100 000 ans est souvent mis en avant mais la partie la plus radiotoxique est beaucoup plus courte.

Le biogaz, qui est une énergie dérivée de la biomasse, est intéressant pour des usages de niche. Faire des cultures dédiées pour produire de grandes quantités de biogaz, comme l'ont fait les Allemands, ne me parait pas du tout pertinent. En revanche, faire du biogaz avec des déchets agricoles ou des couvertures intermédiaires et s'en servir prioritairement pour remplacer les combustibles fossiles de la mécanisation agricole me parait tout à fait approprié. Dans le plan de transformation de l'économie française, nous proposons de déconstruire le réseau de gaz en France et de nous passer de cette source d'énergie, essentiellement fossile. L'injection dans le réseau devient donc un peu moins intéressante.

La production électrique peut éventuellement présenter un intérêt si elle sert à remplacer le gaz dans les usages d'hyperpointe. Ce n'est alors plus le même genre d'installation car il faut de grandes installations pour avoir des quantités de gaz qui ne soient pas complètement dérisoires.

Si l'hydrogène est utilisé pour stocker de la production électrique intermittente, le rendement de chaîne est extrêmement mauvais, de l'ordre du quart de l'énergie initiale. Si nous voulons absolument stocker de l'électricité, il vaut mieux faire des stations de pompage. Il reste à convaincre quelques habitants de Savoie que l'on va noyer les vallées avec l'eau du lac Léman.

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Je cède la parole à M. Philippe Bolo pour le groupe Démocrate.

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Je voudrais revenir sur deux points : l'accès aux métaux, qui conditionne notre indépendance énergétique, et la disponibilité des ressources, qui est un facteur limitant d'une économie. Toutefois, une économie produit aussi des déchets ou des objets en fin de vie ayant une valeur selon le principe de l'économie circulaire. Vous évoquez une énergie plus importante, nécessaire pour extraire des métaux dont la teneur est réduite dans les mines. Or cette même quantité d'énergie pourrait être utilisée pour recycler les métaux, qui se prêtent d'ailleurs plutôt bien au recyclage. Quelle est votre analyse de l'économie circulaire ?

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Je cède la parole à Mme Marie-Noëlle Battistel pour le groupe Socialistes et apparentés.

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L'objet de notre commission d'enquête est d'analyser l'éventuelle perte de souveraineté ou d'indépendance énergétique de la France. Vous nous expliquez, comme beaucoup d'autres, qu'elle n'a jamais été atteinte. Nous avons besoin de cette analyse, qui est véritablement l'objet de notre commission.

Vous nous avez expliqué que, pour toutes les énergies, l'indépendance et la souveraineté sont inatteignables parce que nous dépendons de toute façon d'un matériau.

Concernant l'hydroélectricité, il existe effectivement un stress hydrique. Toutefois, un certain nombre d'études nous indique que, même si la courbe de pluviométrie peut être très fluctuante, les quantités peuvent être récoltées. L'hydroélectricité — et non pas la microhydroélectricité — a une capacité de stockage et une flexibilité pouvant peut-être lui permettre d'avoir une sortie.

Un certain nombre de projets de STEP sont sur la table, et pas uniquement dans la vallée de la Savoie. Pensez-vous que l'acceptabilité est suffisante pour installer une STEP dans une vallée ? L'avantage des STEP est quand même la flexibilité et la question de la pointe évoquée précédemment.

Selon vos propos, nous serions plutôt dans la situation où, plutôt que de savoir quelle est l'énergie qu'il faut produire, il faut se demander comment réorganiser notre société pour in fine nous passer d'un certain nombre de productions dont nous ne disposerons plus dans les années à venir. Pensez-vous que nous sommes à ce stade de conscience au sein des populations et du monde politique ?

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Je cède la parole à M. Henri Alfandari pour le groupe Horizons et apparentés et à Mme Julie Laernoes pour le groupe Écologiste.

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Je vous rejoins sur l'hypothèse de base de faire moins et avec ce que nous avons déjà prélevé. J'aime bien votre point sur la différence entre l'indépendance et le confort. Il y a probablement peut-être plus de souveraineté du côté du confort que de l'indépendance, qui est peut-être assez illusoire, sauf si on cherche des guerres.

Dans vos travaux, vous avez clairement dit que nous n'avons plus qu'une seule cartouche à tirer et que nous avons entre vingt et trente ans pour agir au niveau mondial.

Ce qui est extrêmement difficile est le phasage, c'est-à-dire d'arriver à voir la différence entre ce qui est mature, ce qui sera intéressant et deviendra mature à terme et la manière dont nous déployons l'ensemble de ces solutions à travers le temps.

Tandis que des personnes travaillant dans le secteur du nucléaire me parlaient d'un délai de cinquante ans pour le développement de la quatrième génération, vous évoquez un délai de quinze ans si nous le décidons et que nous y mettons la volonté. Combien de réacteurs devons-nous déployer ? Quelle serait la génération de ces réacteurs ? Comment la jonction serait-elle assurée ?

Dans vos travaux, des points sont mis de côté tels que l'identification de la ressource. Nous parlions par exemple des déchets et de l'économie circulaire. Il existe des procédés de gazéification sur une partie d'éléments qui ne sont plus traitables. En même temps, si nous voulons diminuer les produits pétroliers, existe-t-il des plastiques circulaires, sur lesquels nous pourrions trouver le même potentiel hydrogène ? Il existe le problème des dimensionnements industriels.

J'ai visité une société qui réalise de l'impression 3D et qui produit des pièces beaucoup moins lourdes, notamment pour le transport ferroviaire, sans perte de matière. Il y a probablement des gains à trouver de ce côté.

Même si vous l'esquissez, vos travaux ne prennent pas trop en compte la question de l'aménagement du territoire. Dans les modes de vie qui vont changer, nous pourrions abandonner certains usages. Toutefois, il y a aussi la question relative à la façon d'occuper le territoire et d'y vivre, qui est extrêmement difficile à prendre en compte.

Nous voyons bien que ceux qui gagneront demain ne sont pas forcément ceux qui perdront aujourd'hui, ce qui nécessite un accompagnement. Je me pose, par exemple, la question d'un salaire ou d'un dividende universel, qui viendrait clairement accompagner les gens dans cette mutation profonde qui va toucher nos systèmes économiques, sociaux, de production, de déplacement et d'habitat.

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Tout d'abord, le Shift Project et les travaux que vous avez menés ont éclairé un certain nombre de points importants, notamment sur la sobriété et l'importance de prendre les problématiques de manière globale. Vos propos introductifs, notamment sur le fait de placer l'économie comme donnée sortante plutôt qu'entrante en fonction des ressources à notre disposition, favorisent la réflexion un peu plus approfondie et globale, plutôt que la pensée qu'une solution technologique va nous préserver du réchauffement climatique à venir.

À l'évocation de votre nom, l'accent n'est souvent pas assez mis sur vos travaux sur la sobriété et la rénovation ainsi que sur vos propos, notamment concernant le transport aérien. Il y a dans vos écrits, de manière scientifique, technique et étayée, le fait qu'il faut envisager une autre manière de vivre et de partager les ressources, qui me semble importante.

Vous avez évoqué la question du consensus. Votre nom évoque pas mal de dissensus, y compris par rapport aux écologistes, en raison de vos travaux et des propos que vous avez tenus, notamment sur le fait qu'un accord électoraliste entre le parti socialiste et ma formation politique Europe Écologie Les Verts marquerait le début des maux et de la perte de souveraineté en matière de nucléaire.

Dans la lutte qui nous rassemble toutes et tous — en tout cas dans les solutions que nous essayons d'apporter —, nous savons très bien que les quinze prochaines années sont cruciales puisque les émissions de gaz à effet de serre s'accumulent et provoquent un réchauffement climatique qui s'amplifiera. Or la solution qui semble trouver grâce à vos yeux, à savoir le nucléaire, ne pourra pas se déployer de manière massive, comme vous l'appelez de vos vœux d'ici les quinze prochaines années. D'ailleurs, nous ne savons pas exactement sur quelle technologie nous pourrions-nous appuyer pour lancer massivement un tel déploiement. Vous dites vous-même qu'une telle réalisation semble utopique.

Nous voyons bien que la fermeture de Fessenheim aurait pu largement être compensée si l'État français avait réellement investi dans les énergies renouvelables et avait tenu ces objectifs, y compris en matière de sobriété. La production pourrait être dix fois supérieure à ce qu'était la production de Fessenheim. D'ailleurs, dans le contexte de la catastrophe de Fukushima, les investissements nécessaires pour la sécurisation de la centrale de Fessenheim étaient trop élevés pour pouvoir la maintenir ouverte.

Pour vous, tout semble conjugué vers le nucléaire. Or, il me semble qu'au vu du contexte que nous connaissons et des émissions de gaz à effet de serre qui doivent être évitées, le recours au nucléaire ne semble pas le plus logique, y compris en termes d'ingénierie, d'utilisation de métaux et d'importation, puisqu'il faut aussi importer l'uranium.

Toutes les centrales nucléaires sont construites à proximité de cours d'eau. Cet été, des dérogations au droit ont été octroyées concernant le rejet d'eaux plus chaudes dans nos fleuves. Nous allons manquer de plus en plus d'eau. Alors que vos propos sont très étayés et factuels, je ne trouve pas très sérieux de dire que nous allons utiliser l'eau des égouts, pouvant être relativement plus chaude, pour refroidir les réacteurs nucléaires.

Dans le projet de loi d'accélération sur le nucléaire, des dérogations au droit littoral sont évoquées, notamment pour construire de nouveaux réacteurs le long des côtes. Or nous voyons là aussi que le réchauffement climatique va engendrer une hausse des niveaux de la mer.

Si une grande partie de vos travaux contribuent à l'évolution des consciences et des actes — y compris dans le secteur privé —, la solution monomaniaque sur le nucléaire me semble créer du dissensus alors que nous aurions besoin d'un consensus et d'une vraie arme de guerre pour lutter contre le réchauffement climatique qui penche plus du côté de la sobriété, de la rénovation et des énergies renouvelables. Des scénarios comprennent ces éléments et disent que c'est tout à fait faisable.

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

Quelle était la question ?

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Vous dites que les énergies renouvelables sont trop gourmandes, ne produisent pas assez d'électrons et que seul le nucléaire constitue une solution viable. Or, vous hésitez vous-même entre les différentes générations et vous dites que les ENR ne servent qu'à faire la jonction. Que faisons-nous contre le réchauffement climatique jusqu'à ce que nous puissions construire, de manière hypothétique, de nouveaux réacteurs nucléaires ? Vous ne disposez pas d'informations ou de propositions fiables sur la génération de réacteurs nécessaire. Vous avez évoqué l'uranium 235 et 238. Je ne comprends pas pourquoi, malgré la richesse de vos travaux et propos, vous vous entêtez sur cette unique voie du nucléaire.

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

Il existe une petite méprise concernant le terme « économie circulaire ». En effet, les atomes sont recyclables mais l'énergie ne l'est jamais. Récupérer des atomes dans un polymère en vue d'en refaire un autre vous demandera quand même de l'énergie. L'économie circulaire peut être une solution partielle ou importante à des questions de disponibilité en matière et en ressource. Toutefois, même l'économie circulaire va toujours avec la disponibilité d'une source énergétique. Dans certains cas de figure, l'énergie du recyclage n'est pas considérablement inférieure à l'énergie de la production de matière primaire. Le papier est un exemple bien connu. Désencrer le papier étant très énergivore, recycler du papier permet assurément d'éviter de s'approvisionner en fibres de bois vierge mais ne permet pas de gagner beaucoup sur un plan strictement énergétique.

Des métaux, peu alliés comme le cuivre, se recyclent facilement tandis que d'autres métaux, alliés comme le manganèse, se recyclent beaucoup plus difficilement. Un certain nombre de petits métaux, appelés les terres rares, sont dilués à des concentrations beaucoup trop faibles pour qu'il soit facile de les récupérer dans les objets dans lesquels ils sont. Il est possible de le faire, mais cela engendrerait des dépenses énergétiques extrêmement importantes, éventuellement supérieures à la dépense énergétique d'extraction de la croûte terrestre. Il n'existe donc pas de réponse unique à la question que vous posez et il faut regarder en fonction du métal. Souvent, pour les métaux onéreux et disponibles quelque part sous une forme un peu pure, les opérations de recyclage ont déjà lieu. Par exemple, lors des chutes dans l'usinage, les métaux sont la plupart du temps recyclés. De même, les carcasses de voitures sont facilement recyclées. En revanche, il est plus difficile de récupérer d'autres métaux ainsi que d'autres ressources, comme certains plastiques. Lorsqu'un plastique est vieux, il peut avoir été un peu fatigué par le rayonnement ultraviolet et ne peut pas être reproduit à l'identique de son usage initial. Bien évidemment, lorsque nous pouvons gagner quelque chose, il faut le faire.

L'acceptabilité des STEP est faible, comme toujours lorsque vous avez l'intention de construire quelque chose quelque part. Nous devrions nous mettre d'accord sur l'idée, difficile à installer dans le débat politique, que les temps qui viennent ne se prêteront à aucune solution parfaite et qu'il faudra accepter, de façon un peu partagée, l'idée que nous nous faisons collectivement du plus faible inconvénient. Ce sera toujours au détriment des gens localement concernés par ce plus faible inconvénient. Si nous décidons que ce dernier est de faire des STEP, des personnes habitant à l'endroit du projet s'y opposeront. Le droit a prévu depuis très longtemps la possibilité de réaliser des procédures d'expropriation. Toute la question est de savoir, collectivement, où nous mettons le moins de douleur pour le plus de bénéfices au profit de la collectivité. Il existe le même problème avec n'importe quelle installation nécessitant de couler du béton quelque part.

Parvenir à installer la sobriété va avec le fait que le cadre physique dans lequel nous devons raisonner à partir de maintenant ne nous laisse plus toutes les options. Il est désagréable d'accepter l'idée que nous ne disposerons plus de certains degrés de liberté physique dont nous disposions, comme la possibilité de parcourir 2 000 kilomètres en avion pour quelques heures de salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic).

Cette acceptation sera compliquée et doit nécessairement s'accompagner d'équité. Un petit débat a eu lieu sur la question des jets privés, qui ne sont pourtant pas cruciaux dans les émissions ou la consommation de carburants du pays. En revanche, les jets privés sont très emblématiques d'un luxe ostentatoire insupportable pour des personnes qui devront effectuer des efforts sur des gestes unitairement beaucoup plus modestes.

La question de la sobriété est fondamentalement associée à la question de la maitrise de son propre destin et à l'idée d'un arbitrage entre moins de libertés aujourd'hui pour plus de libertés plus tard. Combien sommes-nous prêts à payer aujourd'hui, en kilomètres en voiture non effectués, pour continuer à vivre en démocratie dans vingt ans ? Ce type de débat doit aussi être installé dans la population. Or il n'est pas simple d'illustrer ce que pourrait être le monde, dans de mauvais cas de figure, dans vingt ans. Nous sommes clairement dans une discipline un peu nouvelle, que j'appelle parfois la hiérarchie des renoncements, que nous devrons apprendre. À quoi sommes-nous prêts à renoncer ? Qu'avons-nous envie d'avoir en face ? Gagnons-nous de l'espoir, de la sérénité, de la sécurité ou un autre élément ayant une valeur importante pour les individus, à défaut d'avoir une valeur économique ? Il n'existe pas de réponse miracle. Il est donc clair que nous tâtonnerons probablement un peu, mais il me semble qu'il est important de déplacer le débat sur la juste répartition de l'effort et le fait de tenir un discours adulte à la population sur le cadre physique dans lequel nous serons obligés de réfléchir.

Concernant l'aménagement du territoire, je vous renvoie aux Stratégies de résilience des territoires, rédigées par le Shift Project. Là encore, il faut déconcentrer en partie l'initiative face aux problèmes, mais il faut la déconcentrer de manière intelligente, en mettant les personnes en mesure de comprendre. Comme pour les députés, qui n'ont pas été très assidus à la séance de formation, cela passe aussi pour les élus locaux par le fait de comprendre la situation, où sont leur marge de manœuvre et où est-ce qu'ils doivent être fatalistes, parce qu'ils se retrouveront face à plus fort qu'eux et qu'ils devront composer avec une évolution inévitable.

La première recommandation des Stratégies de résilience des territoires était de consacrer 1 % du budget des communes à l'acquisition de connaissances, avec de la formation (des élus ou des agents) ou des études ad hoc permettant de comprendre la situation de départ, avec les forces et les faiblesses ainsi que la façon de confronter le territoire à l'objectif national de se passer progressivement des hydrocarbures (sous contrainte de métaux, d'espaces, de biomasses et de biodiversité).

Je n'ai pas de réponse à vous apporter sur la question du salaire universel. En France, avec les systèmes de solidarité que nous avons, nous sommes plus proches de cette notion que d'autres pays. Je n'ai pas les compétences pour savoir s'il faut aller plus loin que ces systèmes de solidarité et sous quelle forme.

Vous avez commencé par me dire que mes nombreux propos sur la sobriété ne sont pas assez visibles, puis vous m'avez traité de monomaniaque du nucléaire. Or si je parle beaucoup de la sobriété, je ne peux pas être un monomaniaque du nucléaire.

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Vous évoquez d'autres sujets dans vos écrits, mais on ne vous entend que sur le nucléaire.

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

Si on ne m'entend que sur le nucléaire, il faut vous adresser aux journalistes. J'ai été invité par la matinale de France Inter pour le lancement de la bande dessinée Le monde sans fin, après avoir refusé une première invitation pour parler de nucléaire. Durant la semaine qui vient de s'écouler, j'ai dû refuser entre cinq et dix invitations à parler du nucléaire dans la presse. J'assume mes opinions mais, une fois qu'on vous a enfermé dans une case, il est difficile d'en sortir. Par ailleurs, je n'élude pas les questions sur le sujet. Je fais ce que je peux pour qu'on ne retienne pas que les propos relatifs à ce sujet mais je ne maitrise pas complètement le processus. Je m'exprime également par d'autres canaux que la presse, notamment sur LinkedIn, mon site personnel et dans des vidéos, où je ne parle pas que de nucléaire, tant s'en faut. J'essaie de renvoyer, autant que possible, à mes écrits et mes oraux primaires.

J'ai compris que vous n'aimiez pas beaucoup le nucléaire mais je ne sais pas s'il est utile de répondre en détail à tous vos propos.

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Ma position n'est pas un choix idéologique. Lorsque je regarde bout à bout les éléments rationnels, notamment ceux dont vous faites état dans un certain nombre d'écrits, je n'aboutis pas à la même conclusion. C'est pour cette raison que je vous posais une question sur les quinze années qui nous reste pour agir et sur l'incertitude du développement de la technologie, que vous mettez en exergue parmi les options et que vous défendez. Je m'interroge sur cette croyance totale que le nucléaire sauverait le climat, ce qui me parait antinomique.

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

Si vous avez bien lu ce que j'ai écrit et écouté ce que j'ai dit, je n'ai jamais affirmé que le nucléaire sauverait le climat. J'ai toujours souligné que le nucléaire n'éviterait pas la décroissance. J'ai toujours dit qu'il ne serait pas à l'échelle pour remplacer les combustibles fossiles. La seule chose que je dis est qu'il fait partie des amortisseurs de la décroissance et, dans cette catégorie, je considère qu'il a un certain nombre d'avantages physiques en raison desquels en faire autant que nous pouvons est une bonne idée, sachant que ce ne sera jamais des montagnes puisqu'il existe des limites temporelles et de compétences sur son déploiement.

J'ai également écrit dans mon premier livre que l'énergie infinie serait une absolue catastrophe. En revanche, j'ai toujours dit qu'il fallait, dans un monde imparfait et qui le sera malheureusement de plus en plus, hiérarchiser nos possibilités d'action et choisir en premier l'option ayant la balance entre avantage et inconvénient la plus intéressante. Or je fais partie des gens qui ne croient pas que, pour des raisons physiques, nous irons jusqu'au bout des scénarios de déploiement des énergies renouvelables diffuses, électriques et intermittentes car ce système est trop complexe, qu'il existe quatre conditions physiques au sujet desquelles l'AIE et RTE indiquent qu'il faudrait parvenir à franchir une barrière et qu'il existe des sujets de stockage (notamment intersaisonnier), d'ajustement en fréquence ou encore de disponibilité.

Je pense que nous n'arriverons pas à aller au bout des scénarios de déploiement des énergies renouvelables diffuses, électriques et intermittentes. Or, en France, nous avons déjà réussi une fois un déploiement du nucléaire. Dans Le monde sans fin, nous utilisons l'image d'un parachute de secours. Cette solution présente des avantages supérieurs à ses inconvénients.

Mon opinion sur le nucléaire date d'une époque où je n'avais pas touché un euro de la part d'un acteur de la filière. Cette opinion date du moment où j'ai commencé à m'intéresser à la question climatique. Chronologiquement, j'ai regardé successivement le climat, le nucléaire et le pétrole. À l'époque, je n'avais aucun lien économique avec le monde de la filière nucléaire. J'ai juste posé de nombreuses questions et, tant que je n'avais pas compris, j'ai continué à poser des questions. C'est de cette époque que date ma conviction que le nucléaire est à mettre du côté des solutions et non du côté des problèmes. Toutefois, ce n'est pas parce que cela fait partie des solutions que c'est miraculeux.

J'insiste sur le fait que le nucléaire n'évitera pas des efforts massifs de sobriété, mais les allégera.

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Je cède la parole aux députés pour une série de questions.

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Vous êtes une figure incontournable de la sobriété et de la lutte contre le réchauffement climatique. Vous parlez vrai, simple et juste. De plus, vous plaisez beaucoup aux jeunes générations. Votre chaîne YouTube, votre page Facebook et votre profil LinkedIn comptent respectivement 200 000, 185 000 et 600 000 abonnés.

Je m'inquiète de ce numérique, qui est sur la pente ascendante et a augmenté de 9 % en un an. Ce numérique risque de devenir insoutenable pour la planète puisque c'est un gouffre énergétique et un grand consommateur de matière première. En effet, le secteur du numérique génère davantage de gaz à effet de serre que l'aviation, que vous avez souvent citée. Il est dit que d'ici 2050, à ce rythme, le numérique génèrera 35 % des émissions de gaz à effet de serre.

Les bénéfices du numérique à l'environnement ne suffisent pas à compenser sa propre empreinte. Nous avons compté sur la dématérialisation pour économiser des arbres, mais quand nous faisons l'addition, le compte n'y est pas. Que pensez-vous de ce développement exponentiel de ces tweets et retweets futiles et inutiles ? Pensez-vous qu'il faudrait réfléchir à responsabiliser, voire à réguler, l'usage du numérique ?

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Nos concitoyens, qui ne sont pas farouchement hostiles au nucléaire, expriment deux craintes à ce sujet. La première crainte concerne les déchets, et vous avez dit qu'elle est peut-être un peu disproportionnée compte tenu de la technologie qui semble assez efficace en matière de retraitement. La seconde crainte exprimée est relative à la sécurisation des sites eux-mêmes, par rapport aux catastrophes nucléaires ou à des attaques. Nous voyons ce qu'il se passe en Ukraine actuellement. Quel est votre avis ? Pouvons-nous rassurer nos concitoyens sur ce sujet ou est-ce une crainte à prendre véritablement au sérieux et qui peut être un écueil au développement du nucléaire ?

Un certain nombre de nos grands ouvrages hydroélectriques sont gérés par des exploitants historiques mais il est demandé à l'État de remettre leur exploitation à la concurrence. Cette question pose un problème de souveraineté, qui n'est pas lié à la technologie ou aux procédures mais à l'identification de celui qui, demain, pourrait piloter ces grands ouvrages. Quel est votre sentiment sur ce sujet ? L'orientation qui semble être prise, notamment avec la nationalisation de l'opérateur EDF, vous semble-t-elle aller dans la bonne direction ?

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J'aimerais que vous développiez sur les plastiques dérivés du pétrole. Vous évoquez la mobilité des bâtiments mais il reste effectivement les plastiques du quotidien, notamment dans la partie alimentaire.

Ma deuxième question porte sur le bilan carbone dont vous êtes l'auteur. Nous parlons souvent d'émissions carbone mais moins de bilan. Pour nos prises de décisions, je pense qu'il serait intéressant d'obtenir, dans de nombreux domaines mais aussi pour l'énergie, un bilan carbone clair et précis sur l'ensemble des solutions que nous avons évoqué. Un tel bilan serait intangible et factuel.

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Qu'en est-il des puits de carbone autres que naturels ?

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

Concernant le numérique, vous avez raison, j'ai mauvaise conscience.

Je relirai d'abord le numérique au thème de cette commission. Il s'agit d'un domaine dans lequel nous n'avons aucune souveraineté. En effet, la fonction la plus régalienne de l'État, qui est de collecter l'impôt, a été confiée aux GAFA. J'ai donc besoin d'un ordinateur, d'un système internet et d'un système mondial de télécommunication. Ce que nous venons de faire sur la 5 G relève d'un abandon supplémentaire de souveraineté puisque les opérateurs français seront incités à s'équiper avec des tas de composants de réseaux qui ne sont pas fabriqués en France et que les Français seront incités à changer de smartphone pour des appareils fabriqués à l'étranger, afin de regarder Netflix dans le métro et que l'application Tinder fonctionne mieux. Nous sommes clairement aujourd'hui dans ce que j'appelle l'ébriété numérique.

Avant de savoir si la première chose à faire est de fermer la chaîne YouTube de Jean-Marc Jancovici — ce qui est une option puisque cette fermeture supprimerait de la pollution numérique —, je fais ce que je peux en demandant aux personnes qui visionnent mes vidéos de les regarder en très basse définition. Toutefois, il est clair que je participe aux émissions liées au numérique.

Dans le monde, la moitié de l'empreinte carbone du numérique est due à la fabrication des équipements (écrans, ordinateurs, smartphones, composants de réseau et serveurs) tandis que l'autre moitié est due aux opérations de ces équipements. Ce qui augmente aujourd'hui extrêmement fortement la croissance du trafic du système digital mondial est la vidéo en ligne, et notamment le streaming — avec Netflix en tête —, YouTube, la pornographie et les vidéos familiales.

Le Shift Project avait formulé quelques suggestions pour limiter cette inflation. Nous avions notamment proposé à l'autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) que les licences octroyées aux opérateurs soient faites sous conditions de maitrise de l'empreinte carbone. À l'époque, l'Arcep avait noté l'idée. À partir du moment où nous voulons limiter un usage, seules deux options sont possibles : les quantités ou les prix. Au sein du Shift Project, nous sommes un peu plus communistes, donc nous préférons limiter par les quantités plutôt que par les prix car nous considérons que ce système est plus égalitaire.

Par ailleurs, la débauche d'équipements que nous utilisons pour des usages totalement récréatifs tels que le metavers — dont je ne suis pas complètement convaincu qu'ils aideront à faire pleuvoir ou à se sortir un peu mieux de la situation que nous sommes en train de décrire — nécessite des composants que nous ne pourrons plus mettre dans des choses qui sont indispensables au fonctionnement quotidien de notre société. Par exemple, aujourd'hui, sans électronique, il n'existe plus de banques. Même si nous disons beaucoup de mal des banques par ailleurs, ces usages sont devenus essentiels à très court terme et nous « gaspillons » des ressources pour des choses assez futiles.

Il me semble que cela justifierait également des investigations un peu plus approfondies de l'Assemblée nationale afin de se pencher sur les actions à mettre en place en termes de stratégie numérique dans ce pays. Il ne suffit pas de céder — comme notre Président de la République lors du Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas — à la fascination devant le gadget.

Concernant la sécurisation des sites, il faut vivre avec l'idée qu'un accident est toujours possible. La question est : compte tenu des avantages que nous offrent les dispositifs non accidentés, sommes-nous prêts à courir le risque de l'accident ? Aujourd'hui, le risque le plus important en cas d'accident est le risque de panique, et non celui d'un dommage physique. Pour des raisons que je n'ai pas complètement percées, le nucléaire engendre des réactions disproportionnées par rapport à la cigarette, à la circulation routière ou à un aliment dont je ne redonnerais pas le nom ici. En cas d'accident sur un réacteur à eau pressurisée, le plus probable est que, comme à Three Mile Island, vous perdiez le réacteur à l'intérieur de l'enceinte de confinement. En cas de conflit, la vraie question est de savoir si l'accident ajoutera massivement des dommages. Un accident dans la centrale de Zaporijjia ne changera malheureusement pas significativement le bilan de la guerre en Ukraine. Lorsqu'une installation est endommagée à cause de la guerre, le vrai problème est la guerre.

En outre, il existe de nombreuses manières de causer des morts avec des dommages aux installations de production électrique. La convention stipule qu'en cas de guerre, les belligérants ne doivent pas porter atteinte aux centrales nucléaires ni aux barrages. Or, si vous voulez faire beaucoup de dégâts très rapidement, il vaut mieux détruire les barrages que les centrales nucléaires. En France, faire sauter le barrage de Vouglans engendrerait six mètres d'eau place Bellecour à Lyon.

La bonne réponse tient dans le mot pédagogie. L'époque va probablement nécessiter que votre métier comporte plus qu'avant le fait de faire la pédagogie des problèmes. Je sais bien qu'un élu fait normalement la pédagogie des solutions. Toutefois, de temps en temps, je pense que vous serez contraints de faire aussi la pédagogie des problèmes et la seule manière d'y parvenir est d'être capable de maitriser à peu près les sujets sur le plan technique.

Je me suis exprimé de manière générale sur l'ouverture à la concurrence des systèmes électriques en disant qu'elle avait été une erreur, ce que je pense toujours. Nous avons essentiellement perdu notre temps à faire quelque chose qui n'a apporté aucun élément positif. Cette ouverture à la concurrence a juste servi à enrichir des distributeurs, à divertir de la rente par rapport aux propriétaires des dispositifs de production et à créer des effets de volatilité dans les prix de marché dont nous voyons les effets en ce moment. Il ne faut donc pas aller encore plus loin dans cette direction. Rétropédaler sur ce sujet demande que la France commence à militer et à faire de la pédagogie du problème auprès de nos amis européens, en disant que l'époque voudrait que nous arrêtions ce genre de système, qui n'a strictement aucun intérêt, et que nous revenions à quelque chose de plus intégré, permettant de faire de la planification sur le long terme. En matière de systèmes énergétiques, le maître mot est la planification. Or cette dernière est impossible quand le marché est ouvert.

Nous aurions pu faire de l'ouverture à l'amont et un duopole. C'est exactement ce qui a été fait pour l'eau. Dans les infrastructures très capitalistiques, c'est ce qui finit par se passer, avec un oligopole régulé. Nous pouvons discuter pour savoir si un oligopole régulé est mieux qu'un monopole. Néanmoins, il s'agit du seul marché compatible avec le besoin d'opérateurs capables d'assumer des investissements lourds. La concurrence à l'aval n'avait aucun intérêt.

Il est possible de récupérer du carbone et de l'hydrogène à partir de la biomasse afin de fabriquer des plastiques. En outre, certains plastiques sont créés à partir d'éthanol de canne à sucre ou encore d'amidon de maïs. J'ignore si nous en fabriquerons autant que le plastique créé à partir du pétrole. La fabrication sera, en tout cas, nécessairement plus compliquée.

À partir du moment où nous utilisons de la biomasse, il faut toujours être capable de répondre à une question de système. Vous pouvez vous servir de la biomasse, c'est-à-dire de l'espace, pour manger, avoir des matériaux (des fibres, du bois, du chanvre, du lin ou encore du coton), avoir de l'énergie, et notamment des agrocarburants (avec du bois bûche et non du bois d'œuvre), préserver la biodiversité.

Vous pouvez également combiner les usages de temps en temps en faisant, par exemple, une agriculture moins nocive pour la biodiversité ou une agriculture avec de l'agroforesterie afin d'avoir un peu de bois énergie ou un peu de bois matériaux.

La question de la quantité de biomasses que nous sommes capables d'utiliser pour produire du plastique est donc indissociable de la question de la quantité de biomasses que nous souhaitons utiliser pour avoir de l'énergie, du bois d'œuvre, etc. La seule chose que je peux vous dire est que, quand vous regardez les plans sectoriels faits par les secteurs industriels, ils ne bouclent pas. Si, en France, vous ajoutez simplement l'appel à la biomasse du secteur aérien et du secteur de la construction pour avoir du bois d'œuvre, vous excédez les capacités de production à surface constante. Ces éléments expliquent la raison pour laquelle je suis incapable de répondre à la question. La seule bonne réponse est que cela dépend de votre ambition sur les usages concurrents de la biomasse.

Il n'existe pas, aujourd'hui, de bouclage entre secteurs. Nous avons fait ce bouclage dans le cadre du Plan de transformation de l'économie française et nous avons choisi d'intégrer très peu de biomasse dans ce plan en raison des résultats que nous avons obtenus.

De plus, à l'avenir, la décrue de la disponibilité fossile aura un impact sur les rendements agricoles puisque le pétrole est nécessaire à la mécanisation des engins de transport amont et aval ainsi que pour les phytosanitaires et que le gaz permet la fabrication des engrais azotés. Notre alimentation nécessite en outre des engrais importés de très loin (des phosphates et de la potasse), dus à l'exploitation minière. La mécanisation, les phytosanitaires et les engrais ont multiplié le rendement céréalier en France par cinq en trente ans, après-guerre. Il est évident que, dans un monde avec un climat plus hostile et moins de combustibles fossiles disponibles, nous ferons une partie du chemin inverse. Devons-nous accepter, par exemple, de manger moins de viande en n'ayant pas plus de surface agricole ? Voulons-nous plus de surface agricole pour manger toujours autant de viande ? Il y aura alors moins de surface agricole pour faire du bois d'œuvre, du bois énergie et pour fabriquer des plastiques. Il est très difficile de répondre à cette question de façon dissociée, y compris en incluant la contrainte d'approvisionnement énergétique fossile et la contrainte de dérive climatique, qui joueront plutôt dans le mauvais sens. La réponse est donc qu'il faudra en utiliser moins.

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

Et manger moins de viande ! Nous devrons, en outre, bien la choisir. Typiquement, il est évident qu'il faudra commencer par préserver ce qui vient des pâturages parce que vous y valorisez plus facilement de la biomasse avec des animaux. Un débat, pas simple, doit être mené sur ce sujet. Il est très difficile de demander à l'agriculture, qui n'est pas un secteur très riche — à l'exception de quelques acteurs —, de faire des innovations massives sans que les Français acceptent de payer leur nourriture un peu plus cher.

Pour certaines sources énergétiques, comme les modes électriques, il est très simple de faire une empreinte carbone. Il existe cependant parfois des variations. Par exemple, un panneau solaire, qui aura émis une certaine quantité de CO2 pour sa fabrication, ne produira pas la même quantité de kilowattheures selon si vous le mettez dans un désert chilien ou dans la brume norvégienne. Ainsi, le contenu carbone en analyse de cycle de vie du kilowattheure produit aura varié, par la force des choses. Toutefois, nous avons quand même des ordres de grandeur, ce qui est assez facile à établir.

Ce qui est plus difficile est d'estimer, pour certaines énergies fossiles, les émissions dites fugitives, c'est-à-dire les émissions qui sont liées à des fuites à l'amont, particulièrement pour le gaz. En effet, de mémoire, à 8 % de fuites, le gaz naturel est aussi nocif que le charbon. Une telle quantité de fuites ne survient pas, en général, mais la fuite de quelques pour cent est possible.

Il est plus difficile de mesurer l'empreinte carbone des tissus car ce calcul nécessite, à chaque fois, une investigation approfondie.

Sur les sources énergétiques, les ordres de grandeur sont globalement assez facilement disponibles. En revanche, il y aura une incertitude importante sur les sources issues de la biomasse. Si cette dernière n'est pas associée à de la déforestation, son bilan est meilleur que celui des fossiles. En revanche, si elle est associée à de la déforestation, son bilan est pire que celui des fossiles. Cet élément fait vraiment changer le résultat de nature. Concernant cette question, vous pouvez faire difficilement autrement que de poser des hypothèses.

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

Cela dépend du paramètre. Vous pouvez regarder le CO2, l'espace au sol ou les particules fines. En matière d'émissions de CO2, la plus nocive est, de très loin, le charbon, suivi du pétrole et du gaz. Toutefois, l'impact du bois associé à de la déforestation est encore pire que le charbon. Par exemple, les projets visant à remplacer, pour un certain nombre de pays où le bois de feu est obtenu par déforestation, les foyers par des petits réchauds à gaz sont intelligents.

Parmi les modes dits « non carbonés », c'est-à-dire les modes dont le fonctionnement même n'émet pas de CO2, le solaire arrive en tête, suivi par l'hydroélectricité, l'éolien et le nucléaire, avec de petites variations en fonction des spécificités locales. L'hydroélectricité, l'éolien et le nucléaire représentent entre 5 et 10 grammes de CO2 par kilowattheure électrique tandis que le solaire représente entre 20 et 50 grammes, en fonction des conditions d'insolation notamment. Ces données ne prennent pas en compte le stockage avec des modes classiques (comme les STEP ou les batteries), qui fait perdre 20 à 40 %. Rappelons que la fabrication d'une batterie émet du CO2. Par exemple, pour une voiture électrique, la fabrication de la batterie représente la moitié des émissions de fabrication de la voiture. Ainsi, en ajoutant les émissions du stockage, il est possible, pour le solaire, de dépasser les 100 grammes de CO2 par kilowattheure. En mode purement électrique, le gaz est à 400 grammes de CO2 par kilowattheure électrique tandis que le pétrole à 800 grammes et le charbon à 1 000 grammes.

Vous pouvez oublier les puits de carbone. Réaliser la capture et la séquestration du CO2 peut technologiquement fonctionner. Néanmoins, récupérer le CO2 une fois qu'il est dans l'air avec des modes technologiques me semble être digne de la série Les Shadoks. Une fois qu'une molécule chimiquement inerte, comme le CO2, est diluée à 0,04 % dans un milieu aussi peu dense que l'air, récupérer le CO2 représente une dépense énergétique tellement considérable que vous ne pourrez jamais le déployer à l'échelle.

J'ai fait un petit calcul d'ordre de grandeur à partir de l'aspirateur à CO2 islandais qui a été très médiatisé. Si nous voulions capter, avec ce genre de dispositif de direct air capture (DAC), la totalité de nos émissions annuelles, il faudrait y consacrer la totalité de l'électricité annuelle et la totalité du pétrole consommé dans le monde tous les ans. L'énergie ne servirait donc qu'à récupérer le CO2 émis dans l'air à cause de l'énergie. Je ne suis pas complètement persuadé qu'il faille nous précipiter vers ce type de dispositif. Aujourd'hui, comme l'argent coule à flots partout en raison de la création monétaire, quelques fonds investissent dans ce genre de projets, qui ne serviront à peu près à rien pour changer le destin du monde.

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Merci pour cette conclusion par laquelle vous nous invitez à penser que, pour l'instant, le génie de l'homme n'a pas encore égalé la photosynthèse.

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Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris

Le génie de l'homme va avoir beaucoup de mal à égaler un certain nombre de merveilles de la nature.

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Nous sommes d'accord sur ce point. Merci pour le temps que vous avez consacré à répondre aux questions de notre commission d'enquête. Votre audition permet d'entrer progressivement dans les sujets, qui seront peut-être davantage des processus décisionnels que des choix technologiques, car cela contribue aussi à la façon dont nous prendrons, dans le futur, les décisions publiques.

Merci à toutes et à tous.

La séance est levée à dix-neuf heures trente.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Henri Alfandari, M. Antoine Armand, Mme Anne-Laure Babault, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Bolo, Mme Maud Bregeon, Mme Danielle Brulebois, Mme Sophia Chikirou, Mme Annick Cousin, M. Frédéric Falcon, Mme Olga Givernet, Mme Julie Laernoes, M. Maxime Laisney, M. Alexandre Loubet, M. Stéphane Mazars, M. Nicolas Meizonnet, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Bruno Millienne, Mme Natalia Pouzyreff, M. Charles Rodwell, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean-Philippe Tanguy.

Excusés. – Mme Véronique Besse, M. Vincent Descoeur, Mme Valérie Rabault.

Assistait également à la réunion. – M. Grégoire de Fournas.