Intervention de Pascale Bordes

Réunion du mercredi 9 novembre 2022 à 10h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascale Bordes :

Le texte soumis à notre examen viserait à sécuriser le droit à l'IVG, en le plaçant au plus haut niveau de la hiérarchie des normes de notre ordre juridique interne, pour éviter, d'après ses auteurs, un « retour en arrière insupportable », comme on le constate aux États-Unis, en Pologne et en Slovaquie. Une inscription dans la Constitution permettrait de « consacrer le droit d'accès à l'IVG ».

Ces arguments ne résistent pas à l'analyse.

En premier lieu, le droit à l'avortement n'est pas menacé en France. Il ne fait l'objet d'aucune remise en cause. Nous avons une protection juridique de l'IVG, solide et durable, depuis sa légalisation par la loi du 17 janvier 1975, portée par Simone Veil. Depuis, l'accès à l'IVG n'a cessé d'être renforcé, et encore récemment avec la loi du 2 mars 2022 qui a allongé de douze à quatorze semaines le délai légal pour pratiquer une IVG.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel s'est prononcé à quatre reprises sur l'IVG, qu'il a toujours jugée conforme à la Constitution, fondant ses décisions sur la liberté de la femme, qui découle du principe général de liberté inscrit à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il en a fait une composante de la liberté personnelle de la femme.

Dès lors, l'existence, en France, d'une menace réelle pesant sur le recours à l'IVG et d'un risque de retour en arrière, n'est pas démontrée. Il n'y a aucune raison que des événements extérieurs à notre pays ou des décisions de juridictions étrangères imposent de réviser la Constitution.

En second lieu, une inscription purement proclamatoire et symbolique dans la Constitution ne permettra pas de résoudre le problème majeur de l'effectivité de l'accès à l'IVG. Près de cinquante ans après l'adoption de la loi portée avec beaucoup de force et de courage par Simone Veil, de nombreuses femmes désireuses de recourir à une IVG ne parviennent pas à le faire dans de bonnes conditions. Elles se heurtent à un manque de médecins, de sages-femmes et de structures hospitalières susceptibles de les accueillir. Trop nombreuses sont encore les femmes contraintes, face à tous ces obstacles, de quitter l'Hexagone pour subir une IVG en Espagne ou dans d'autres pays bien mieux organisés que le nôtre en matière d'accès effectif à l'IVG, lequel ressortit à l'organisation du système de soins, totalement défaillant sur ce point.

Ces enjeux ô combien cruciaux excèdent largement la portée de la présente proposition de loi constitutionnelle. Au demeurant, son adoption ne réglerait en rien le problème de la prise en charge de l'IVG, et la question de l'effectivité de l'accès à l'IVG serait toujours d'actualité. Elle ne doit pas cacher le véritable scandale de la défaillance de notre système de soins, incapable de répondre dans les délais légaux aux attentes des femmes désireuses de subir une IVG.

En troisième lieu, la rédaction même du texte pose problème. Écrire « Nul ne peut être privé du droit à l'interruption volontaire de grossesse » suggère que l'accès à l'IVG est inconditionnel et absolu, et que le législateur ne peut lui fixer des bornes. Or le législateur doit pouvoir en fixer les conditions, comme pour toutes les libertés publiques.

Il n'est pas déraisonnable de penser que pourrait surgir, au détour d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), une demande d'IVG après expiration du délai légal, au motif que nul ne peut être privé du droit à l'IVG. Dans cette hypothèse, nous placerions malencontreusement au cœur de l'actualité le débat de fond sur l'IVG, dont la remise en cause est inexistante, au risque de fracturer notre société.

À titre personnel, j'appelle à rejeter cette proposition de loi constitutionnelle, préférant rester fidèle aux conclusions du rapport rendu par le comité présidé par Simone Veil en décembre 2008, qui ne recommande pas de modifier la Constitution en la matière.

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