Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mardi 12 juillet 2022 à 17h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques :

Monsieur Sansu, je suis heureux, moi aussi, de vous retrouver. J'ai atteint l'âge où l'on ne change plus beaucoup de convictions, et comme la greffe de cerveau n'existe toujours pas, les miennes restent intactes. Lorsque je m'exprime ici, je le fais au titre de la Cour des comptes, un organe indépendant, impartial et collégial. Je ne viens pas faire état de mes convictions personnelles, mais des travaux objectifs d'une institution de la République.

M. Castellani, la Cour ne s'est pas penchée sur la question d'EDF car les décisions ont été prises après la saisine du HCFP et parce qu'il s'agit de dépenses non maastrichtiennes. Mais, compte tenu des effets qu'elles pourraient avoir sur la dette, nous serons amenés à y revenir.

Les règles budgétaires européennes sont suspendues jusqu'en 2023. Je suis convaincu qu'il en faudra de nouvelles, d'abord parce qu'elles sont nécessaires. On ne peut pas gérer les finances publiques sans boussole ni ancre. Les règles actuelles sont obsolètes. J'en ai fait l'expérience sous plusieurs angles, elles sont illisibles, complexes et ont un caractère procyclique tout à fait dangereux. Il est difficile de dégager un consensus mais il semble que l'outil du solde structurel sera modernisé et qu'un indicateur plus simple, qui portera sur les dépenses – en volume et en termes de taux de croissance – sera choisi.

La gestion de la dette devra être davantage individualisée. Je n'ai pas la religion du 3 %, mais c'est une règle qui présente quelques avantages. Elle désigne le niveau au-delà duquel on estime que la dette continuera d'augmenter. C'est aussi une norme applicable par tous, une référence commune, partagée et commode. Plusieurs d'entre vous ont évoqué l'idée qu'on pourrait tout aussi bien retenir 4 % ou 5 %. Mais plus on s'écarte des 3 %, plus on s'écarte des autres. Dans une union monétaire, on se trouve sous le regard du marché. Sur les spreads, ce qui compte, c'est non seulement le niveau, mais aussi la pente, l'écart.

Les 60 % demeureront car il n'y a pas de consensus pour les supprimer, mais chacun sait qu'aucun pays ne les atteindra à court terme. On ira vers un traitement plus individualisé, plus national de la dette. Que personne, cependant, n'éprouve ici un lâche soulagement : ceux qui sont les plus endettés devront quand même se rapprocher de ceux qui le sont moins. En 2008, la France avait un niveau de dette proche de celui de l'Allemagne ; aujourd'hui, l'écart est de 40 points. Au sein d'une zone monétaire unique, le risque est significatif. Il ne faut pas se faire d'illusion : ceux qui ont une dette élevée devront faire plus d'efforts que ceux qui ont maîtrisé la leur.

J'entends parler d'annulation, de dette perpétuelle. Mais une zone monétaire rassemble plusieurs pays, et certains répondront à d'autres : votre demande d'annulation est bien sympathique, mais nous, nous avons déjà fait les efforts nécessaires, alors balayez devant votre porte ! Il y a une sorte d'illusion à croire que la BCE « n'a qu'à » annuler la dette. Ce n'est pas si simple. Les gouverneurs des différents pays, qui composent son board, répondront que ce n'est ni dans leurs compétences ni dans leur philosophie.

Oui, une dette doit être remboursée in fine. J'estime que la dette est finançable, mais en rajouter ne fera que peser sur les spreads, réduira notre indépendance et nos marges de manœuvre, nous empêchera de financer les investissements et, petit à petit, nous étranglera. Quand bien même nous ne serions pas dans l'union monétaire, ce serait la même chose, car on ne peut vivre en autarcie.

J'ai appris il y a très longtemps qu'il ne fallait jamais commenter les décisions de politique monétaire, surtout avant qu'elles interviennent. Mais je peux dire trois choses. D'abord, la normalisation va avoir lieu ; par définition, on ne connaît pas son ampleur ; il ne faut pas tout attendre de la politique monétaire. Elle seule ne peut répondre à la fragmentation. Une part viendra de la politique budgétaire, la convergence est ici absolument indispensable.

Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit sur les collectivités territoriales. Leur situation financière est favorable : on peut y voir un effet des efforts qu'elles ont consentis ; le fait qu'elles votent leur budget à l'équilibre n'y est pas étranger non plus. Il est vrai qu'on peut distinguer plusieurs composantes et que les blocs ne sont pas dans la même situation. Le rapport de la Cour le dit de manière assez claire.

Il faut quand même imaginer de nouveaux mécanismes d'association des collectivités locales au redressement des finances publiques. Ils succéderont aux contrats de Cahors, dont la durée est limitée.

La Cour des comptes ne préconise pas la baisse des dotations. Celle-ci est intervenue dans le passé, entre 2014 et 2017, non sans brutalité, mais avec une certaine efficacité. La Cour a été saisie par la commission des finances du Sénat d'un rapport sur le financement des collectivités locales, qu'elle rendra fin septembre.

J'ai dit qu'il était très important de jeter un regard attentif sur les dépenses fiscales – niches fiscales et niches sociales. C'est sans doute un marronnier, mais c'est indispensable. Ces dépenses fiscales sont d'un montant tout à fait considérable et on sait très bien – des rapports, émanant de votre commission notamment, l'ont montré – que toutes ne sont pas utiles ou efficaces. Alors qu'on cherche des marges, il serait quand même dommage de ne pas regarder plus en détail.

S'agissant de la transition écologique, le budget vert prévoit déjà 32 milliards d'euros d'investissements.

La dette à amortir représente 145 milliards d'euros en 2022. Cela signifie que 45 % des émissions sont destinées à amortir la dette déjà émise. C'est typiquement ce qu'on appelle l'effet boule de neige. C'est la raison pour laquelle il faut mener une stratégie de désendettement crédible.

Dans la situation actuelle, il nous paraît tout à fait légitime de prendre des mesures pour préserver le pouvoir d'achat. Mais elles doivent être ciblées, temporaires et efficaces. Nous n'avons pas les moyens de prendre des mesures pérennes et généralisées – ce ne sont d'ailleurs pas les plus intelligentes. Je le répète, l'inflation est un impôt sur les plus pauvres. Il faut, par équité et réalisme, cibler ceux qui rencontrent les difficultés les plus grandes.

La remontée des taux d'intérêt est incontestablement un risque pour la dette française. Elle a déjà commencé : le taux à dix ans des titres du Trésor a connu une hausse de près de 200 points de base depuis début 2022. Ce n'est pas une surprise et le mouvement devrait se prolonger. On a vu les effets de l'inflation par le biais des OAT – 18 milliards d'euros –, mais on sait aussi qu'une augmentation de 100 points de base aboutira d'ici à une dizaine d'années à 30 milliards d'euros supplémentaires de charge de la dette. Or on ignore quelle sera la hausse. Encore une fois, gérer une situation où la charge de la dette approche les 80 à 100 milliards d'euros, j'ai connu cela et je ne le souhaiterais à personne, pas même à mes adversaires politiques si j'en avais encore – mais je n'en ai plus puisque je ne fais plus de politique. Prenez-y garde ! Ce n'est bon ni pour ceux qui dirigent aujourd'hui, ni pour ceux qui auraient à diriger demain. Nous n'avons aucun intérêt à léguer une telle situation au pays et aux générations futures. Les politiques publiques ne pourraient être menées, les nouvelles générations seraient écrasées ; qui le souhaite ? Ce serait irresponsable. Je le dis en cherchant à convaincre plus largement que par le passé.

La part des obligations indexées sur l'inflation dans le stock de dette est de 11 %. Les émissions d'OAT ont continué, notamment une OAT verte. Nous n'avons pas de projection concernant la montée des taux d'intérêt.

J'ai indiqué ce que dit notre rapport des niches fiscales et sociales.

Mme Sas m'a interrogé sur l'investissement écologique nécessaire. Plusieurs secteurs nous semblent à privilégier : la rénovation des bâtiments, les véhicules électriques, l'hydrogène et tout ce qui concerne les mobilités durables.

M. Pahun a mentionné notre étude sur les algues vertes. La Cour est très engagée dans son travail sur la transition écologique. Cette étude a été présentée par nos magistrats au conseil régional de Bretagne il y a quelques jours et y a été très appréciée ; le président du conseil régional a bien voulu me le témoigner.

En ce qui concerne la CVAE ou la redevance audiovisuelle, nous n'avons pas les moyens de procéder à des baisses d'impôt sèches, non compensées par d'autres recettes de prélèvements ou par des dépenses équivalentes. Sans entrer dans le détail, je suis conscient du fait que l'audiovisuel public est quelque chose de particulier : c'est un bien commun, auquel les Français sont attachés. Si la décision est prise de supprimer la redevance, il faut donc envisager à la fois une garantie de recettes pour le système audiovisuel public, fondée sur de puissants mécanismes, et un contrôle du dispositif. Ce dernier a été envisagé à des stades antérieurs du texte, mais ne se trouve pas dans le PLFR actuel ; toutefois, en allant fouiller du côté du Conseil d'État, vous trouverez des versions qui ne sont pas inintéressantes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion