Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du lundi 21 novembre 2022 à 16h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique :

Voici venu le temps, pour votre assemblée, d'examiner le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Comptant désormais quatre-vingt-treize articles, il est le fruit de discussions exigeantes au Sénat, qui ont permis son adoption à la quasi-unanimité, signe que l'enjeu est suffisamment important pour dépasser les groupes politiques. C'est à vous que revient à présent la responsabilité de vous prononcer sur le premier texte de ce quinquennat visant à atteindre l'objectif ambitieux fixé par le Président de la République : faire de la France le premier grand pays industriel à sortir de sa dépendance aux énergies fossiles.

Ce texte est dicté par une double urgence. La première, c'est le dérèglement climatique, qui exige une action radicale et déterminée de notre part : le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) ne nous donne que trois ans, à l'échelle de la planète, pour commencer à réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

La France fait partie des pays qui ont commencé à réduire leurs émissions mais nous devons aller plus loin. C'est la position que j'ai défendue jusqu'à l'aube, dimanche, à la COP27, à Charm el-Cheikh. L'accord en demi-teinte que nous avons obtenu montre que nous devons poursuivre notre mobilisation de tous les instants auprès de nos partenaires internationaux. Cette mobilisation doit commencer chez nous : il faut être crédibles, si nous voulons être entendus. Ce texte est un moyen de montrer notre détermination à sortir des énergies fossiles et de renforcer notre crédibilité dans les négociations internationales.

La deuxième urgence est d'éviter une rupture d'approvisionnement énergétique dans les mois et les années à venir. La faible disponibilité de notre parc nucléaire, conjuguée à la crise ukrainienne, fragilise, cette année, notre système énergétique. À plus long terme, c'est la question de l'avenir de notre parc nucléaire qui se pose. Celui-ci a été construit pour durer quarante ans : or vingt-six de nos cinquante-six réacteurs arriveront à cinquante ans d'exploitation autour de 2035. Il importe donc de prendre, dès aujourd'hui, des décisions relatives aussi bien à la maintenance qu'au lancement de nouveaux programmes. Vous examinerez à la rentrée prochaine un projet de loi d'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, avant d'examiner la grande loi de programmation sur l'énergie et le climat, qui permettra de fixer la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Une concertation publique sur notre mix énergétique a été lancée il y a un mois et a déjà recueilli plus de 12 650 contributions citoyennes.

Aujourd'hui, deux tiers de notre consommation d'énergie finale est d'origine fossile, et importée. À ce propos, je tiens à dissiper un mythe : à aucun moment, depuis la seconde guerre mondiale, nous n'avons été autonomes et indépendants énergétiquement. L'actualité avec la Russie nous rappelle que nous pouvons être dépendants de pays qui ne sont pas nos alliés, qui ne partagent pas nos valeurs et qui utilisent ce levier pour nous atteindre économiquement et politiquement. Notre programme nucléaire nous a permis de réduire en partie cette dépendance pour l'électricité, mais nous restons très dépendants en matière de transports et de chaleur. Notre programme d'énergies renouvelables a contribué, entre 2000 et 2022, à réduire notre dépendance aux énergies fossiles – de 72 à 65 %. Si nous voulons atteindre la neutralité carbone, l'enjeu est donc de réduire encore la part de ces énergies fossiles que nous ne produisons pas nous-même et qui contribuent à la fois à notre dépendance et au réchauffement climatique.

Notre combat, ce n'est pas d'opposer le nucléaire au renouvelable ; ce n'est pas non plus d'opposer la biodiversité au climat, tant la biodiversité est affectée par le dérèglement climatique. Notre combat, c'est celui des énergies bas carbone contre les énergies fossiles, car ce sont ces dernières qui sont à l'origine du réchauffement climatique et des principales atteintes à la biodiversité. L'étude Futurs énergétiques 2050 des experts de RTE rappelle que nous disposons de trois leviers pour sortir des énergies fossiles : le développement massif des énergies renouvelables ; la relance d'un grand programme nucléaire ; les économies d'énergie, à travers l'efficacité et la sobriété énergétiques. RTE fixe un objectif très ambitieux de réduction de 40 % de notre consommation d'énergie d'ici 2050. Le plan de sobriété lancé avec la Première ministre permettra de réduire de 10 % notre consommation d'énergie d'ici 2024 et le projet de loi de finances contient des dispositifs améliorant notre efficacité énergétique.

La conclusion centrale de l'étude de RTE, c'est qu'il sera impossible d'atteindre la neutralité carbone sans un accroissement massif des énergies renouvelables, même dans un scénario de relance maximale du nucléaire et d'économies d'énergie. Le texte que nous examinons répond à cette nécessité. Il est le volet législatif d'un grand plan de développement des énergies renouvelables que je déploie depuis le mois de juin par voie réglementaire d'une part, avec une série de décrets pris dès l'été, et sur le plan organisationnel d'autre part avec une circulaire à destination des préfets et le renforcement des effectifs des services de l'État qui instruisent les procédures d'autorisation, qui figure dans le budget en cours d'examen à l'Assemblée nationale. Ces mesures ont déjà permis de débloquer 10 gigawatts d'énergie électrique et 1 terawatt de gaz renouvelable. Les filières renouvelables, cela concerne aussi bien la géothermie, sur laquelle nous allons engager un plan spécifique, que le biogaz, l'hydraulique, la biomasse, le photovoltaïque thermique et bien d'autres.

Il importe, à court terme, de lever les verrous administratifs et de procédure pour diviser par deux les délais de déploiement des projets de production d'énergies bas carbone. La France est le seul pays de l'Union européenne à ne pas avoir atteint son objectif national contraignant de développement des énergies renouvelables au titre de l'année 2020. Il n'est donc pas nécessaire d'attendre la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie pour savoir qu'il nous faut davantage d'énergies renouvelables.

Ce texte a un double objectif : rattraper notre retard en matière de production d'énergies renouvelables et nous permettre d'atteindre un objectif plus ambitieux, qui sera très prochainement défini dans la loi de programmation sur l'énergie et le climat. À l'heure actuelle, il faut en moyenne cinq ans de procédures pour construire un parc solaire, qui nécessite quelques mois de travaux, et plus d'une décennie pour un parc éolien en mer. C'est deux fois plus long que chez la plupart de nos voisins européens.

Nous proposons donc d'agir sur quatre leviers.

Le premier, c'est d'accélérer les procédures, par exemple en entamant les démarches de raccordement aux réseaux sans attendre que le projet soit achevé. Cela permettra de gagner une à plusieurs années.

Le deuxième, c'est de libérer le foncier, en mobilisant en priorité des terrains déjà artificialisés ou dégradés : parkings, friches, anciennes décharges, ou carrières, sites pollués, bordures d'autoroutes, etc. Ces mesures vont permettre de libérer des espaces et de doubler notre puissance solaire actuelle, tout en ayant le moins d'impact possible sur la biodiversité. Le Gouvernement donnera un avis favorable à l'ensemble des amendements des groupes Renaissance, Démocrate, Socialistes et apparentés, Les Républicains et La France insoumise visant à favoriser l'implantation de panneaux photovoltaïques aux abords des voies ferrées. Nous proposerons aussi de finaliser un amendement de Dominique Potier sur les abords des voies fluviales.

Je souhaite que nous allions plus loin et je sais que vous travaillez à des propositions visant à concilier le développement des énergies renouvelables avec la protection de la biodiversité. Là encore, le Gouvernement donnera un avis favorable aux amendements des groupes Renaissance, Socialistes et apparentés et Écologiste qui visent à prendre en compte les aires marines protégées dans l'élaboration de la cartographie des zones propices à l'implantation de projets éoliens en mer.

Le troisième levier, c'est une plus grande concertation. Pour les projets éoliens en mer, par exemple, il convient d'organiser un débat mutualisé sur chaque façade maritime, avec l'ensemble des parties prenantes, pour décider avec les territoires et leurs habitants du partage de l'espace maritime, plutôt que de multiplier les discussions sur chaque projet.

Le quatrième et dernier levier, c'est l'acceptabilité et l'appropriation des projets de production d'énergies renouvelables par les Français. C'est essentiel, car reprendre en main notre destin énergétique implique d'avoir des infrastructures de production énergétique près de chez soi, et pas à l'autre bout du monde. Cette acceptabilité pourra passer par un meilleur partage de la valeur des énergies renouvelables, dont je rappelle qu'elles sont hautement compétitives, puisqu'elles vont rapporter près de 31 milliards à l'État en 2022 et 2023.

La discussion au Sénat a permis de créer deux fonds fléchés vers les collectivités et vers le financement d'actions de protection de la biodiversité. Je salue cet enrichissement mais je crois que nous ne devons pas oublier les riverains de ces projets. C'est pourquoi le Gouvernement déposera un amendement pour donner la possibilité aux riverains de bénéficier directement de ce partage de la valeur.

Ce programme, j'entends le mener en prenant en compte deux impératifs essentiels : la préservation de la biodiversité et l'association des territoires. Accélérer, ce n'est pas abaisser les standards de protection de notre biodiversité, ni ignorer le rôle des territoires, qui seront des partenaires essentiels pour réarmer notre pays énergétiquement. Nous posons les fondations d'un pacte territorial énergétique.

Associer les territoires, c'est planifier. Le texte issu du Sénat a inscrit deux dispositions relatives à la planification, l'une à l'article 1er A, l'autre à l'article 3. Si de nombreuses associations d'élus locaux nous ont confirmé que cette démarche allait dans le bon sens, elles ont néanmoins souligné le manque de clarté et de lisibilité du texte sur ce sujet essentiel. C'est la raison pour laquelle, en accord avec les rapporteurs, il vous sera proposé d'inscrire l'ensemble de ces dispositions à l'article 3. Cela impliquera donc la suppression de l'article 1er A au profit d'un amendement du Gouvernement déposé à l'article 3. Vous avez d'ores et déjà la possibilité de le sous-amender, mais il me semble essentiel que nous ayons une disposition claire et identifiée dans le texte en vue de la séance publique.

Cet amendement à l'article 3 défend plusieurs principes. D'abord, donner aux élus locaux un pouvoir d'aménagement du territoire en définissant des zones prioritaires inscrites dans les documents d'urbanisme. Ensuite, encourager le déploiement des projets de production d'énergies renouvelables par les porteurs de projets dans ces zones. L'État le fera grâce à la bonification, dans le cadre des appels à projet. Le Gouvernement donnera un avis favorable aux sous-amendements portés par les groupes Ecologiste et Socialiste sur la modulation tarifaire afin de mieux répartir les projets sur notre territoire et d'éviter leur concentration sur certains territoires. Enfin, faire confiance aux maires, c'est leur permettre d'avoir le dernier mot. Ils auront à cet égard un avis conforme sur les zones prioritaires qui comprennent leurs communes. Les dispositions de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS, leur donnent par ailleurs la possibilité de définir des zones d'encadrement pour les projets éoliens. Nous l'étendons à l'ensemble des projets de production d'énergies renouvelables.

Avant de conclure, il me semble important de dire un mot de l'article 4, qui affirme le principe de la reconnaissance de la raison impérative d'intérêt public majeur des projets d'énergies renouvelables. Je sais qu'il soulève des craintes, voire des incompréhensions, Certains s'y opposent pour des raisons de protection de la biodiversité, d'autres parce qu'ils ne sont pas convaincus que le développement massif des énergies renouvelables est une impérieuse nécessité pour notre avenir énergétique. Cette mesure, qui est actuellement portée au niveau européen dans le cadre des discussions sur la révision de la directive énergies renouvelables (RED III), vise à mettre fin à une pratique quasi-systématique de recours contre les projets, qui ont pour effet de les retarder de plusieurs années. Il ne s'agit en aucun cas d'autoriser des projets susceptibles de porter atteinte à la biodiversité ou à la protection des espèces protégées, puisque des conditions strictes sont prévues, mais d'affirmer que les énergies renouvelables sont des projets d'intérêt public majeur. Compte tenu de la crise climatique et énergétique que nous vivons, il est difficile de prétendre le contraire.

Nous débattrons de tout cela mais, comme au Sénat, le Gouvernement aura une ligne rouge : il s'opposera à toutes les mesures visant à complexifier ou à rallonger les procédures, voire à les bloquer. Nous avons une responsabilité vis-à-vis des Français. Il faut voter une loi qui renforce notre souveraineté énergétique, le pouvoir d'achat des Français et la compétitivité de nos entreprises et qui lutte contre le dérèglement climatique.

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