Intervention de Aurélien Pradié

Séance en hémicycle du jeudi 1er décembre 2022 à 15h00
Juridiction spécialisée dans les violences intrafamiliales — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélien Pradié, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Attendre. En 2018, 118 femmes ont été assassinées par leur conjoint. Attendre. En 2019, 146 femmes ont été assassinées par leur conjoint. Attendre. En 2020, 102 victimes. Attendre. Depuis le début de l'année 2022, 102 femmes ont été assassinées par leur conjoint. Entre 2020 et 2021, les féminicides par conjoint ont augmenté dans notre pays de 14 %. En 2021, près d'un quart de ces femmes ont été asphyxiées à mains nues, par strangulation ou par étouffement. Attendre, encore attendre.

L'âge des auteurs ne cesse de diminuer, s'approchant de plus en plus des 30 ans. Attendre, attendre encore, alors que trois quarts des femmes assassinées avaient déjà signalé des violences aux forces de l'ordre. Attendre encore, lorsque douze enfants sont morts en 2022 dans un contexte de violences conjugales. Attendre encore, lorsqu'en 2021, un tiers des assassinats ont été causés par une arme à feu qui n'avait pas été retirée à l'auteur. Attendre…

L'Espagne, elle, n'a pas attendu. Dès 2004, ce pays voisin du nôtre s'est doté du bracelet antirapprochement, pour un budget de 1 milliard d'euros, afin de lutter contre les violences conjugales, et surtout d'une juridiction spécialisée, bras armé d'une justice qui protège vraiment les femmes. Cette juridiction spécialisée n'est pas un détail d'organisation ; elle n'est pas un outil supplémentaire, elle est l'outil essentiel qui manque à notre pays. Pourquoi attendre ? Pourquoi hésiter ? Pourquoi chercher encore et encore des excuses et des prétextes pour ne pas tout faire ? Nous ne luttons qu'à moitié. Si nous voulons vraiment lutter contre les violences conjugales, il faut le faire totalement, entièrement, massivement.

Pourquoi hésiter ? Pourquoi repousser ? Pourquoi patienter ? Quel est le seuil d'alerte et de tolérance au-delà duquel nous ferons tout, absolument tout, pour réduire vraiment le nombre de féminicides ? Une augmentation de 14 % en un an, n'est-ce pas un signal d'alerte ? Une courbe qui ne diminue pas – alors qu'elle décroît ailleurs, comme en Espagne –, n'est-ce pas un seuil d'alerte ? Nous ne pouvons plus attendre. Depuis dix ans, l'Espagne a mis en œuvre la juridiction spécialisée que nous proposons de créer en France. Les résultats sont patents : dans ce pays, le nombre de femmes tuées a diminué de 36 % depuis 2003, et le nombre de plaintes enregistrées par les tribunaux spécialisés depuis 2007 a augmenté de 29 %.

La France compte déjà plusieurs juridictions spécialisées, qui ont fait leurs preuves : le juge des enfants, le juge aux affaires familiales ou encore le juge destiné à la protection des majeurs. Nous savons faire. Nous savons que la juridiction dédiée aux violences intrafamiliales est une des clés qui manquent à la France. Elle est réclamée depuis dix ans par tous les acteurs de terrain ; elle est étudiée et expertisée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion