Intervention de Éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du jeudi 1er décembre 2022 à 15h00
Juridiction spécialisée dans les violences intrafamiliales — Présentation

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Vendredi dernier, lors de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le Président de la République s'est rendu à Dijon pour réaffirmer son engagement en la matière. Il en a fait la cause de ses deux quinquennats. Isabelle Rome et moi-même l'avons accompagné à la rencontre des gendarmes et des magistrats qui s'engagent avec force pour mettre un terme à ce fléau. Je peux vous assurer qu'ils sont tous mobilisés comme jamais auparavant, et je veux ici très solennellement leur rendre hommage. Il est scandaleux de laisser croire que rien n'est fait, qu'ils et elles ne font rien pour endiguer ce fléau.

Mais la lutte contre les violences faites aux femmes n'est pas seulement le combat des gendarmes, des policiers et des magistrats : c'est le combat de toute la société, notre combat à tous – voisins, collègues de bureau, nous devons tous nous unir pour dénoncer chaque violence, quelle qu'elle soit. Car souvent, dans ces affaires de féminicides, la justice n'est pas informée en amont d'un certain nombre de signaux faibles ou forts : ils existent, mais ils ne sont pas portés à sa connaissance.

Nous partageons une responsabilité collective, mesdames et messieurs les députés – une responsabilité que nous avons déjà assumée ensemble par le passé, monsieur le rapporteur : celle de toujours mieux protéger les victimes les plus vulnérables et, bien sûr, de renforcer l'efficacité de l'action judiciaire. Je le dis tout net : nous pouvons faire encore mieux, et nous allons y employer toute notre énergie.

Oui, il faut encore améliorer le traitement judiciaire des violences faites aux femmes. Faut-il pour autant, comme y tend votre texte, faire table rase de tous les efforts déjà déployés par les magistrats qui se battent contre ces violences, et balayer d'un revers de main tout ce qui a été instauré par les acteurs de terrain ? Surtout, sur quelle évaluation objective et documentée vous fondez-vous pour conclure que la création verticale d'une juridiction spécialisée, sans étude d'impact, entraînerait la moindre avancée ? Personne ici ne peut y répondre. Mesdames et messieurs les députés, le sujet est trop grave pour ne pas le traiter à la hauteur des enjeux qu'il emporte : la vie de centaines de femmes.

Je l'ai dit, le Gouvernement veut et va renforcer le traitement judiciaire des violences faites aux femmes. Néanmoins, il s'est fixé pour cela, en lien avec l'Assemblée nationale et le Sénat, une méthode sérieuse, à la hauteur des enjeux cruciaux qui nous réunissent cet après-midi.

Avant de détailler le projet du Gouvernement et sa méthode, je tiens à rappeler que depuis le Grenelle contre les violences conjugales, grâce à un travail étroit de concertation et d'expertise croisée – auquel vous avez pris part, M. le rapporteur – entre le Gouvernement et le Parlement, les juridictions disposent d'outils efficaces dont elles s'emparent de plus en plus souvent.

Quel est l'état de notre organisation judiciaire en matière de lutte contre les violences intrafamiliales (VIF) ?

L'action judiciaire réactive sur l'ensemble du territoire repose sur mes instructions de politique pénale prioritaire, adressées à tous les procureurs de la République. Quand bien même certains magistrats les jugeaient trop comminatoires, elles ont produit l'effet escompté. Premièrement, la réponse judiciaire s'est accélérée : le nombre de procédures rapides sur défèrement a augmenté de 182 % entre 2017 et 2022. Deuxièmement, la réponse pénale est devenue plus ferme. Ainsi, le nombre de condamnations pour ce motif a augmenté de 100 % entre 2017 et 2022. En outre, les incarcérations sont devenues plus fréquentes : les infractions aggravées par le lien de conjugalité représentent 11 % des années d'emprisonnement ferme prononcées en 2022, contre 5 % en 2017. Enfin, l'éviction du conjoint dès le défèrement a connu une hausse de 205 % entre 2017 et 2021.

Pour mettre en œuvre cette réponse pénale renforcée, les juridictions se sont organisées. Nous les avons aidées et encouragées en diffusant dès février 2020 un guide sur la modélisation des circuits judiciaires de traitement des dossiers de violence conjugale.

Nous avons renforcé notre accompagnement en fournissant à chaque tribunal des outils lui permettant d'instaurer des circuits spécialisés – j'insiste sur ce mot – dans les violences intrafamiliales. Au cœur de cette organisation judiciaire, on trouve trois indicateurs. Le premier d'entre eux est la spécialisation de tous. Dois-je répéter le mot ? La spécialisation non seulement des magistrats, mais également des avocats, des associations ou encore des agents d'accueil au tribunal. Le second est la simplification des audiences grâce à des protocoles locaux avec les partenaires. Le troisième est la transversalité avec les instances locales de pilotage des référents désignés au parquet comme au siège, assurant la coordination de l'ensemble des services afin d'associer tout le monde – je dis bien tout le monde – à cette œuvre commune.

Depuis 2017, les dispositifs de protection se renforcent constamment grâce à la multiplication des filières d'urgence VIF. Les chiffres sont éloquents : ils démontrent que les juridictions luttent au quotidien pour assurer aux victimes une protection à la fois immédiate et pérenne. Le nombre d'ordonnances de protection délivrées par le juge aux affaires familiales (JAF) a doublé depuis 2017 ; près de 6 000 ordonnances ont été délivrées en 2021.

Au pénal, les juridictions se sont emparées des outils de protection grâce à la coordination des partenaires et à la proximité des acteurs auprès des victimes.

Le nombre de téléphones grave danger a été multiplié par dix depuis 2019 ! Ce décuplement le porte à plus de 4 500 appareils déployés. En 2021, ces téléphones ont déclenché 1 179 alarmes ayant permis une intervention des forces de l'ordre. C'est autant de drames évités. De janvier à octobre 2022, ce sont 1 390 alarmes qui ont été déclenchées.

Le nombre d'attributions d'un bracelet antirapprochement (BAR), dispositif que j'ai généralisé en 2021…

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