Intervention de Catherine Colonna

Réunion du mardi 12 juillet 2022 à 19h00
Commission des affaires étrangères

Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Je me réjouis de travailler avec la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, dont je connais la compétence, l'exigence et la vigilance. Je salue celles et ceux avec lesquels j'ai déjà eu le plaisir de travailler, tout particulièrement le président Bourlanges. Monsieur le président, je vous félicite pour votre reconduction à la tête de cette commission. Votre expérience, votre sens du dialogue, de l'écoute et du compromis seront de précieux atouts.

Merci, monsieur le président, des qualités que vous avez bien voulu me prêter. Chacun verra que la réalité est plus modeste.

En m'accordant leur confiance, le Président de la République et la Première ministre m'ont fait un grand honneur. J'en mesure chaque jour la portée avec humilité. Le sens des responsabilités qui m'habite me portera, comme mon prédécesseur, à vous informer régulièrement des actions que nous menons au titre de notre politique étrangère et européenne, et à vous rendre compte des résultats que nous obtenons. Je souhaite que nous entretenions la relation de travail la plus fluide possible. Mon cabinet sera toujours à votre disposition.

Comme l'a rappelé la Première ministre devant votre Assemblée le 6 juillet, il en va de notre capacité à bâtir ensemble pour la France et les Français. Cela concerne pleinement notre politique étrangère, d'abord parce que nous vous demanderons, au cours des prochains mois et des prochaines années, de nous autoriser à ratifier plusieurs conventions internationales ; ensuite, parce que la frontière entre affaires étrangères et affaires intérieures est aujourd'hui particulièrement ténue, lorsqu'elle n'est pas effacée.

Que l'on parle de la lutte contre le réchauffement climatique, de la transition énergétique, de la sécurité alimentaire et sanitaire, ces sujets qui occuperont le Parlement pendant ce prochain quinquennat, sont, vous le savez, à la fois internationaux et internes, et ils seront au cœur de l'action de la diplomatie française. Il en va de même de la politique commerciale et d'attractivité que mène mon ministère, et qui en fait un acteur de la politique en faveur du pouvoir d'achat, du plein-emploi et de la solidarité. L'augmentation constante, ces dernières années, du nombre d'entreprises françaises exportatrices en est une très bonne illustration. Je n'oublie pas que notre diplomatie a pour rôle d'assurer la sécurité de nos compatriotes, qu'ils résident à l'étranger – et je sais votre commission particulièrement attachée au soutien des communautés françaises vulnérables à l'étranger – ou se trouvent en France. En d'autres termes, la diplomatie est autant un enjeu de politique intérieure que la politique intérieure un enjeu diplomatique.

Vous le savez, la guerre d'agression dont la Russie s'est rendue coupable contre l'Ukraine domine largement l'agenda international. La Russie a fait le choix de ramener la guerre sur le continent européen ; elle a décidé de violer brutalement le droit international, de rompre l'ensemble de ses engagements et de mettre délibérément en cause les fondements de notre architecture de sécurité collective. Il n'y a aucune justification possible aux agissements dont la Russie est seule responsable.

Je déclinerai donc les cinq éléments clés de notre politique. Tout d'abord, notre approche du sujet a toujours été claire : nous voulons mettre fin à la guerre sans devenir belligérants. C'est la raison pour laquelle, depuis le 24 février 2022, nous avons consenti des efforts importants pour soutenir l'Ukraine et l'aider à défendre sa souveraineté face à l'invasion russe. Vous connaissez les quatre piliers de notre engagement. Il s'agit en premier lieu de fournir à l'Ukraine un soutien politique, humanitaire et économique, dans le cadre d'un effort global chiffré à 2 milliards d'euros pour la France, et de manifester notre solidarité aux autorités comme au peuple ukrainien. Le deuxième pilier de notre engagement est le soutien militaire que nous apportons à l'Ukraine, en lui fournissant les équipements qui lui permettront de continuer à résister à l'agression russe. La France prend toute sa part à cet effort collectif. Ainsi, dix-huit canons Caesar ont déjà été livrés aux forces armées ukrainiennes. Ce n'est qu'un exemple, car nous n'avons pas pour coutume de rendre public l'ensemble des armements défensifs que nous livrons à l'Ukraine. Le troisième pilier de l'engagement de la France réside dans sa condamnation internationale la plus large possible des agissements russes. Il en va de notre responsabilité, en tant qu'État membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. C'est le sens des efforts bilatéraux et multilatéraux que nous avons déployés pour obtenir les deux résolutions de l'Assemblée générale ou de ceux que nous déployons en soutien à la Cour pénale internationale, afin qu'elle puisse documenter et punir les crimes de guerre commis par l'armée russe. Enfin, la France a fait comprendre à la Russie qu'elle avait choisi une impasse, et asphyxie le financement de son effort de guerre. Les sanctions massives que nous mettons en œuvre depuis fin février avec nos partenaires européens n'ont pas d'autre but. Nous les avons encore renforcées et les renforcerons davantage si nécessaire.

De plus, nous sommes totalement mobilisés en soutien à l'Ukraine avec nos partenaires européens. Nous avons pris des engagements très forts lors du Conseil européen des 23 et 24 juin. Nous nous sommes accordés sur des engagements financiers, avec la préparation d'un nouveau paquet d'assistance macro-financière à l'Ukraine de 9 milliards d'euros, dont 1 milliard a déjà été engagé. Nous avons également pris des engagements politiques, en soutenant les aspirations européennes exprimées par le peuple ukrainien. À la suite du déplacement du Président de la République à Kiev, qui a contribué à bâtir le consensus européen à Vingt-Sept, les États membres de l'Union ont franchi une étape cruciale en octroyant le statut de pays candidat à l'Ukraine, ainsi qu'à la Moldavie. C'est une décision historique, que nous assumons pleinement, car il était essentiel que l'Union européenne sache répondre à une situation exceptionnelle par une décision exceptionnelle. Pour autant, chacun sait que le processus d'adhésion prendra des années et il n'est pas question de réviser à la baisse les exigences auxquelles tout pays candidat est soumis. Ce ne serait ni dans l'intérêt de l'Union ni juste à l'égard des autres candidats qui ont engagé leur parcours. C'est pourquoi nous souhaitons lancer dès à présent des coopérations concrètes en matière d'énergie, d'infrastructures, de mobilité dans le cadre de la communauté politique européenne qu'a proposée le Président de la République, qui a été reprise par l'Union européenne et dont la première réunion se tiendra sous présidence tchèque en octobre. Telle que nous l'envisageons, cette communauté sera aussi ouverte aux pays européens qui ne sont pas candidats à l'Union européenne et qui, partageant un même socle de valeurs, peuvent voir un intérêt dans la création de cette enceinte de concertation politique, notamment sur les questions de sécurité. Ainsi, le Royaume-Uni pourra en faire partie.

Troisièmement, notre mobilisation dépasse largement le cadre européen. Nous serons aux côtés de l'Ukraine « aussi longtemps que nécessaire ». C'est le sens des décisions prises à Elmau, lors du Sommet du G7 sous présidence allemande.

Après le pétrole, objet principal du dernier train de sanctions qui restreindra progressivement les capacités de financement de l'effort de guerre russe, nous travaillons désormais à un embargo sur l'or, qui représente une part importante des exportations de ce pays, donc une source majeure de financement pour la Russie.

Les membres du G7 ont également réaffirmé le principe fort de base selon lequel il ne revient pas aux plus vulnérables de payer le prix de la guerre choisie par Vladimir Poutine. Vous savez quels sont les efforts internationaux pour diminuer le risque de crise alimentaire dans le monde. Les prix de l'énergie sont une autre préoccupation majeure. Nous devons les maîtriser, afin d'assécher les revenus que la Russie tire des hydrocarbures, mais aussi pour protéger les foyers les plus modestes, en France et ailleurs. Avec les autres membres du G7, nous souhaitons réfléchir à la possibilité de fixer, pour les hydrocarbures russes, un prix plafond au-dessus duquel nos sanctions doivent empêcher Moscou d'exporter, même vers les pays tiers. Nous désirons aussi renforcer notre coordination avec les pays producteurs de pétrole et de gaz, pour les inciter à produire davantage dans cette période de haute tension, sauf à faire le jeu de Moscou. Nous continuons donc à diversifier nos approvisionnements.

Pour autant, nous devons agir sans transiger sur notre ambition climatique. Je dirais même que la guerre en Ukraine est une raison de plus pour accélérer cette transition écologique qui non seulement est nécessaire à la protection du climat mais est aussi essentielle pour sortir de la dépendance européenne envers les énergies fossiles, donc en partie à l'égard de la Russie.

Le quatrième élément clé de notre politique, au-delà de notre soutien à l'Ukraine dans la durée, est le renforcement de notre sécurité collective pour faire face au défi lancé à l'Europe par l'agression militaire russe. À cet égard, vous avez rappelé l'importance du sommet de l'OTAN à Madrid, qui a signé un réveil de cette organisation. Je voudrais citer trois avancées concrètes permises lors de ce sommet. C'est d'abord l'accord historique en faveur de l'adhésion de la Suède et de la Finlande. La négociation a été difficile en raison du blocage initial de la Turquie. Il est heureux que cette difficulté ait été surmontée et l'unité des Alliés préservée. En outre, l'intégration de ces deux partenaires européens, qui disposent de capacités de sécurité réelles, va contribuer significativement à notre sécurité collective tout en renforçant la dimension européenne de l'Alliance, si vous l'approuvez. C'est donc un plus pour la sécurité de nos concitoyens et nous nous en réjouissons beaucoup.

Un projet de loi sera présenté demain en Conseil des ministres, pour que le Parlement puisse l'examiner lors de la session en cours. L'examen débutera bientôt au Sénat avant que le texte soit soumis à l'Assemblée nationale.

Lors du sommet de Madrid a également été acté le renforcement de la posture de dissuasion et de défense de l'Alliance, notamment sur son flanc oriental. La protection de ses membres est le cœur de métier de l'OTAN. Le Président de la République avait souhaité dès 2019 que l'OTAN se recentre sur ses missions premières. Elles sont rendues plus indispensables encore par le retour de la guerre en Europe. La première de ces missions est la défense de l'espace euro-atlantique. Au-delà de l'engagement collectif à renforcer le soutien militaire à l'Ukraine, y compris par la livraison de matériel, le sommet de Madrid a donc acté le renforcement de la posture de l'Alliance sur le flanc oriental pour assurer la sécurité de nos alliés et partenaires européens contre la menace que la Russie constitue désormais. La France prend toutes ses responsabilités à cet égard. Ses troupes sont déployées en Estonie et en Roumanie, pays dans lequel elle joue le rôle de nation-cadre, et elle participe aux opérations de surveillance aérienne et maritime. Le Président de la République a récemment réaffirmé la disponibilité de la France à renforcer encore son dispositif, s'il le fallait.

La troisième avancée marquée par le sommet de Madrid est l'adoption d'un nouveau concept stratégique, qui reconnaît expressément la contribution centrale que peut apporter une Europe forte à la sécurité collective de l'OTAN. Ce faisant, l'Alliance atlantique prend acte du nouvel environnement de sécurité créé par l'agression de la Russie contre l'Ukraine. C'était une priorité de la France, qui confortera la pertinence de la Boussole stratégique européenne adoptée pendant la Présidence française de l'Union.

Le cinquième et dernier volet de notre réponse à cette crise particulièrement grave concerne la sécurité alimentaire. Les conséquences de la guerre menée par la Russie aggravent une situation déjà alarmante. Après des décennies de progrès collectifs pour éradiquer la faim dans le monde, nous assistons à une aggravation de la crise alimentaire. Les Nations Unies estiment qu'en 2021, avant même la guerre en Ukraine, plus de 193 millions de personnes dans le monde étaient en situation d'insécurité alimentaire aiguë. Ce chiffre aurait désormais dépassé les 300 millions.

La France poursuit son soutien aux pays déjà frappés par des crises alimentaires. En 2022, nous aurons considérablement renforcé notre aide publique au développement dans le secteur agricole et alimentaire, qui devrait dépasser 700 millions d'euros. Elle finance notamment des projets permettant une transition vers des systèmes alimentaires durables, particulièrement à travers la promotion de l'agroécologie et la structuration de filières durables, en ciblant particulièrement les jeunes et les femmes ; elle vise également une amélioration de la nutrition, en luttant en particulier contre la malnutrition maternelle et infantile.

La guerre en Ukraine aggrave les choses, en bloquant les exportations de céréales de ce pays, qui fait partie des grands producteurs et exportateurs mondiaux. C'est pourquoi nous sommes mobilisés et soutenons les efforts engagés par les Nations unies pour permettre l'exportation des céréales d'Ukraine par la voie maritime. Toutefois les semaines s'écoulent sans progrès manifestes. Je veux espérer que la réunion entre l'Ukraine et la Russie, sous l'égide des Nations Unies, demain en Turquie, aboutisse à des résultats. Cependant, je reste prudente face aux conditions posées par la Russie pour que se tienne cette réunion. Nous soutenons aussi l'Alliance mondiale pour la sécurité alimentaire du G7, qui offre des financements aux pays les plus affectés, ainsi que les corridors de solidarité ouverts par l'Union européenne pour accroître les quantités exportées par voie terrestre, ferroviaire et fluviale. Ces corridors ont permis d'augmenter sensiblement les quantités exportées, d'un peu plus de 1 million de tonnes par mois au mois de mars à 2,5 millions de tonnes par mois désormais, l'objectif étant d'atteindre 3,5 millions de tonnes d'exportation.

Dans le cadre de notre présidence de l'Union européenne, nous avons en outre lancé, sous l'impulsion du Président de la République, la mission pour la résilience alimentaire et agricole (FARM). Cette initiative, reprise par l'Union européenne et soutenue par le G7, comme le sommet d'Elmau l'a montré, est développée en liaison avec nos partenaires internationaux, notamment l'OMC, le Programme alimentaire mondial (PAM) et le Fonds international de développement agricole (FIDA). Il s'agit de relever trois défis de manière opérationnelle : la libre circulation des denrées, compétence de l'OMC, qui requiert la transparence des marchés agricoles et la prohibition de toute restriction aux exportations, la solidarité renforcée envers les plus vulnérables, l'accroissement des capacités de production agricoles et alimentaires durables et résilientes dans le Sud, notamment en Afrique. À cet égard, la France a relancé lors du One Planet Summit de janvier 2021 le projet de Grande muraille verte de remise en culture d'espaces disparus, qui a été ensuite poursuivi au sommet de Glasgow.

Le secteur privé doit aussi apporter sa part à cet effort de solidarité. Le 23 juin, avec mes collègues Marc Fesneau, Franck Riester et Chrysoula Zacharopoulou, j'ai réuni des organisations françaises, européennes, américaines et africaines, représentant plus de trois-quarts des négociants en céréales dans le monde. Nous souhaitions que ces acteurs contribuent de manière pratique à la remise en culture, à la facilitation des exportations, et aux enjeux liés aux assurances. Ils ont créé une coalition du secteur privé pour la sécurité alimentaire. D'autres acteurs souhaitent la rejoindre. Une prochaine rencontre de la coalition aura lieu en marge de l'Assemblée générale des Nations Unies en septembre pour présenter les actions conduites.

J'évoquerai maintenant la situation en Afrique et au Sahel, alors que je m'apprête à me rendre au Niger avec le ministre des armées. Au Mali, les putschistes ont pris le pouvoir en 2020, avant de procéder à un second coup d'État, et cherchent avant tout à se maintenir au pouvoir, faisant appel pour cela à des mercenaires russes du groupe Wagner, qui commettent exaction sur exaction, sans prouver leur efficacité à lutter contre les djihadistes. La junte s'enferme chaque jour davantage dans une logique de rupture avec la communauté internationale. En février dernier, le Président de la République, en accord avec nos partenaires africains et européens, a donc décidé de retirer nos forces du Mali. Les conditions ne permettaient pas que nous y restions. Je rappelle que nous étions venus au Mali à la demande des autorités maliennes. Le retrait de Barkhane est donc en cours et se déroule comme planifié. Il devrait s'achever à la fin de l'été. Ce choix marque bien sûr un tournant.

Nous avons également suspendu tous nos financements qui transitent vers les autorités maliennes, pour ne garder que les projets de développement et d'aide humanitaire dont nous sommes certains qu'ils bénéficient directement et exclusivement aux populations. La plupart des bailleurs internationaux ont fait de même.

La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) avait imposé au Mali des sanctions commerciales et financières en janvier. Elle les a levées lors de son sommet le 3 juillet. Ces sanctions ont néanmoins eu des effets : elles ont poussé la junte malienne à renoncer à une transition de cinq ans et à adopter un calendrier plus court, prévoyant une élection présidentielle en 2024. La CEDEAO n'a pas pour autant levé toutes les sanctions : le Mali reste exclu de l'organisation jusqu'au retour de la démocratie, et les sanctions individuelles contre 150 personnalités de la junte demeurent en vigueur. Il est important de rester fermes pour maintenir une forme de pression sur le régime malien. L'Union européenne a également adopté des sanctions contre le Mali, qui n'ont pas été levées.

Au-delà du Mali, le recul démocratique en Afrique de l'Ouest, marqué par les putschs successifs en Guinée, en septembre 2021, puis au Burkina Faso, en janvier 2022, est extrêmement préoccupant. La France continuera, en dépit de son retrait du Mali, à aider les armées ouest-africaines à lutter contre les groupes terroristes. Nous menons des consultations avec nos partenaires concernés pour définir, en fonction de leurs demandes et de leurs besoins, la nature des appuis que nous pourrons leur fournir. Je me rendrai ainsi au Niger, les 14 et 15 juillet prochains, avec le ministre des armées, pour préciser avec les autorités nigériennes les coopérations à mener dans tous les domaines, notamment en matière de développement, car nous souhaitons donner la priorité à l'éducation des filles et aux questions agricoles.

Il est clair que la sécurité, la bonne gouvernance et le développement sont indissociables. Notre stratégie au Sahel doit donc consister à la fois à aider les armées africaines à lutter contre les groupes terroristes, à soutenir la présence de l'État dans les zones délaissées, à appuyer la justice et l'État de droit, à investir dans le développement économique de ces pays. Nous allons continuer à agir dans ces directions, en mobilisant tous nos outils de coopération.

Nous allons enfin poursuivre nos efforts pour renouveler en profondeur notre relation à l'Afrique, notamment en nous adressant davantage à la jeunesse africaine et aux sociétés civiles, dans le sillage de la nouvelle politique africaine développée par le Président de la République lors de son déplacement à Ouagadougou en 2017. Nous travaillons actuellement à deux grands chantiers, la création d'une part d'une maison des mondes africains, en France, qui sera un lieu de référence pour la création contemporaine africaine, d'autre part d'un fonds d'innovation pour la démocratie, pour soutenir des projets concrets et la recherche dans ce domaine sur le continent africain.

Nos partenaires européens ont pleinement compris les enjeux liés au continent africain et la nécessité de s'y impliquer. Nous nous félicitons de cette orientation nouvelle. Convaincus, comme nous, que le Sahel est la frontière Sud de l'Europe, nos partenaires savent que ces enjeux ne peuvent laisser aucun pays européen indifférent. Aussi, ils prennent leurs responsabilités, comme leur engagement dans la force Takuba l'a montré. C'est pour cette raison qu'il était très important de mener avec les institutions européennes le renouvellement de cette relation. Le sommet Union européenne - Union africaine en février dernier a abouti au renouvellement du partenariat entre les deux continents dans de nombreux domaines, nous devons le poursuivre.

Je souhaite également aborder le sujet de l'Iran, car la situation y est particulièrement préoccupante et urgente. Depuis plusieurs années, nous sommes engagés, avec nos partenaires allemand, britannique et l'Union européenne en faveur du retour des États-Unis et de l'Iran au plein respect de l'accord sur le nucléaire iranien (le Joint comprehensive plan of action - JCPOA). Nous n'avons pas ménagé nos efforts pour tenter de sauver cet accord, en particulier lorsque l'administration Trump, en annonçant en avril 2018 le retrait des États-Unis, l'avait profondément fragilisé, ce que nous regrettons. Cet engagement se poursuit. Il est fondé sur la conviction forte que l'accession de l'Iran à la bombe créerait une véritable crise régionale, mettrait en grand danger le régime de non-prolifération et accroîtrait le risque, à terme, d'un conflit nucléaire.

Cela fait maintenant plus de trois mois qu'un accord sur le retour au JCPOA est quasiment finalisé, après des mois de négociations intensives à Vienne. Il permettrait à l'Iran de sortir de l'isolement politique et économique, puisqu'une levée des sanctions conditionnée et vérifiée s'ensuivrait. Nous pensons tous que cet accord répondrait aux aspirations fondamentales de la population iranienne. Nous avons fait preuve d'une très grande patience mais la situation n'est plus tenable. En effet, depuis des mois, l'Iran adopte une posture dilatoire : les autorités ont procédé au démantèlement des dispositifs de suivi de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), à la désactivation de certaines caméras de surveillance, empêchant l'agence de mener son travail de vérification, et ont reculé lors des pourparlers indirects de Doha avec les Américains en juin.

Nous savons en outre que l'Iran a mis à profit les derniers mois pour poursuivre le développement de son programme nucléaire. S'il continue d'accumuler du stock d'uranium hautement enrichi et d'améliorer les capacités de ses centrifugeuses, ce pays se rapprochera trop du seuil nucléaire pour que le retour au JCPOA ait encore un sens.

Une fenêtre reste ouverte à l'Iran pour que ce pays se décide enfin à accepter l'accord qu'il a contribué à bâtir. Cependant, le temps presse. Les élections de mi-mandat aux États-Unis réduiront la capacité de l'administration américaine à faire accepter un éventuel accord par le Congrès. La France reste convaincue qu'un accord permettrait de retarder significativement le franchissement du seuil nucléaire par l'Iran et qu'il conserve donc un intérêt réel. La fenêtre se ferme dans quelques semaines. Le choix d'un retour au JPCOA est dans les mains de l'Iran, qui ne se verra pas offrir de meilleur accord que celui qui lui est proposé.

Permettez-moi maintenant d'aborder les enjeux de notre stratégie indopacifique. La France est une puissance du Pacifique et de l'océan Indien. Elle y compte des territoires, des populations, une présence permanente, ainsi que des intérêts. En outre, cette zone prend de plus en plus d'importance : c'est là que s'écrit désormais une partie majeure de l'histoire du monde. Près de 60 % de la richesse mondiale s'y concentre et les trois-cinquièmes de la population de la planète y vit d'ores et déjà. Des équilibres géopolitiques majeurs y sont également en jeu. La compétition de puissance se déroule de plus en plus dans cet espace. C'est une dimension nouvelle et importante de notre diplomatie. Nous avons pu faire reprendre par l'Union européenne les principaux thèmes de la stratégie indopacifique que nous avions élaborée à l'automne dernier. Nous ne souhaitons pas adopter une posture de confrontation avec la Chine. Pour autant, nous devons tracer une voie propre, différente de celle des États-Unis et qui permette d'offrir aux pays de la région une alternative à la présence chaque jour plus prégnante de la Chine dans la région.

Enfin, vous me pardonnerez d'être très brève sur la présidence française de l'Union européenne, qui fera l'objet du débat que nous aurons prochainement dans l'hémicycle au titre de l'article 50-1. Je me contenterai donc de vous dire la fierté que m'inspire notre bilan, que l'on peut qualifier de remarquable, tant par sa portée qu'en raison des circonstances dans lesquelles se sont déroulés nos travaux. Alors que la guerre en Ukraine aurait pu nous conduire à modifier le programme de notre présidence, nous avons eu à cœur de répondre fortement aux défis posés par le déclenchement par la Russie de cette guerre, tout en poursuivant les objectifs que nous nous étions fixés.

Nous avons donc dû agir sur les deux fronts, d'abord en mettant tout en œuvre pour que l'Union soit à la hauteur de la crise historique à laquelle nous sommes confrontés. Les gouvernements européens ont été au rendez-vous de la fraternité et de la solidarité, en accueillant des millions de déplacés ukrainiens, auxquels a été accordée la protection temporaire sur le territoire de l'Union. L'Union est aussi devenue un fournisseur majeur d'aide civile et militaire à l'Ukraine. La décision, très rapide, de financer du matériel militaire et défensif, y compris létal, via la facilité européenne de paix, a été révolutionnaire. L'Union a également adopté six paquets de sanctions visant le régime de Vladimir Poutine et l'économie de guerre russe et biélorusse. La présidence française a joué tout son rôle pour que l'Europe sorte d'une certaine naïveté géopolitique et stratégique. Je veux saluer l'esprit d'unité dont ont fait preuve les États membres, pour réagir fortement et rapidement, ainsi que la réactivité et la créativité des institutions européennes.

Il s'agissait également de mettre en œuvre l'agenda de souveraineté fixé en amont de notre présidence, et dont les circonstances ont souligné l'urgence et la nécessité. Nous avons obtenu des résultats majeurs. Je citerai ainsi, concernant l'Europe sociale, le cadre commun pour des salaires minimaux ainsi que les progrès réalisés pour l'égalité entre les femmes et les hommes dans les conseils d'administration grâce à la fixation d'un seuil de 40 % à échelle de 2026. En matière environnementale, nous pouvons citer le paquet de transition écologique sur lequel nous avons obtenu un accord dans les derniers mois de la présidence. S'agissant de la régulation du numérique, qui englobe les questions de protection de la vie privée ainsi que les enjeux démocratiques qui s'y attachent, l'Union européenne a adopté les règlements sur les marchés et les contenus numériques, pour préserver la toile de cette forme de loi de la jungle qui s'était établie. Enfin, je cite les progrès sur le paquet dit démocratie, à travers les mécanismes de défense de l'État de droit, la revivification démocratique reconnaissant leur rôle aux partis politiques, ou encore le travail engagé par la Conférence sur l'avenir de l'Europe du 9 mai 2022, dont la présidence tchèque devra tirer les conséquences.

Ainsi, l'Europe de juillet 2022 n'est plus celle de décembre 2021. Je la crois plus forte, plus unie, plus souveraine. Nous pouvons être fiers de laisser à la présidence tchèque une Europe qui n'hésite plus à affirmer sa souveraineté et qui ose défendre ses intérêts stratégiques et économiques. Cette Europe est également plus sociale, pionnière de la transition écologique et enfin plus proche des préoccupations des citoyens européens.

Je voudrais conclure sur la situation que connaît le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Le Quai d'Orsay a connu il y a un mois un mouvement de grève. Vous savez que ce ministère et ces agents ne sont guère coutumiers du fait. La mobilisation du 2 juin a été révélatrice du trouble qui existe de longue date et qui résulte du sentiment de décalage entre les missions et les moyens de notre ministère. En effet, ces missions n'ont cessé de croître. Des domaines de l'action publique internationale, comme la santé ou le climat, sont nouveaux. Les moyens du ministère, au contraire, ont connu une longue érosion, jusqu'à ce que mon prédécesseur Jean-Yves Le Drian y mette un terme, sans toutefois obtenir une augmentation de son budget. Cette érosion concerne encore et davantage les moyens humains. Tous nos agents ont l'amour de l'intérêt général et le sens du service public chevillés au corps. Leur mobilisation exemplaire l'a montré lors des crises de ces deux dernières années, lorsqu'il a fallu évacuer les ressortissants en Afghanistan, apporter des vaccins contre le covid-19 aux Français de l'étranger, ou rapatrier des centaines de milliers de Français lors de la pandémie.

Dans ce contexte, il m'est apparu fondamental de maintenir le fil du dialogue, avec les organisations représentatives, mais aussi avec les représentants des grévistes, des cadres, des jeunes et moins jeunes, des contractuels et des titulaires. De mon point de vue, il est possible d'avancer en travaillant en parallèle dans trois directions. La première consiste à mettre pleinement en œuvre la réforme de la haute fonction publique, en consolidant les garanties obtenues par mon prédécesseur sur un certain nombre de sujets structurants pour la diplomatie. Nous sommes fortement attachés aux garanties que sont les concours, les carrières, le droit d'option pour ceux qui devraient choisir entre le maintien dans un corps en extinction et le corps des administrateurs de l'État, ou encore le pouvoir de nomination du ministre.

Dans un deuxième temps, nous devons réarmer le ministère en termes budgétaires et surtout en emplois. L'enjeu est crucial alors que le ministère a perdu en dix à douze ans plus de 18 % de ses effectifs, à périmètre constant, et à rebours des autres ministères régaliens. Dans le même temps, ses missions ne cessaient de se renforcer. L'État, de son côté, n'a pas connu la même attrition, ses effectifs étant demeurés stables. J'espère pouvoir compter sur la bienveillance et l'appui de la représentation parlementaire pour rééquilibrer la situation.

La troisième direction que nous devons suivre en parallèle est la réflexion sur nos métiers et la place de la diplomatie dans l'État, dans le cadre des états-généraux ou assises de la diplomatie.

Je veux enfin saluer la contribution toujours vigilante mais aussi très constructive du Parlement sur les enjeux de la réforme du Quai d'Orsay. Je veux poursuivre ce travail en confiance avec vous. Je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

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