Intervention de Catherine Colonna

Réunion du mardi 12 juillet 2022 à 19h00
Commission des affaires étrangères

Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Concernant la Tunisie, chacun connaît la séquence prévue par le président Saïed, qui consiste en une consultation populaire suivie d'un référendum constitutionnel. Ce dernier se tiendra le 25 juillet. Nous examinons le texte rendu public, qui n'est pas tout à fait celui imaginé dans le cadre de ce processus par ceux qui étaient chargés de rédiger le projet. Nous espérons que le peuple tunisien pourra se prononcer dans des conditions démocratiques exemplaires. Nous entendons aussi les critiques que ce projet a suscitées. Nous demeurons attachés au respect des acquis démocratiques de la Tunisie, et plus globalement, au respect de l'État de droit, de l'indépendance de la justice et des droits et des libertés. Ce pays doit retrouver sa stabilité, notamment pour que le FMI puisse engager son programme de financement, les conditions n'étant pas actuellement réunies pour ce faire. La Tunisie, les Tunisiens et les Tunisiennes peuvent en tout cas compter sur le soutien de la France.

Monsieur Le Gall, vous avez raison de pointer un décalage entre les missions et les moyens du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Les proportions que vous citez, qui sont encore plus inquiétantes que les miennes, ne sont pas les bonnes. Il faut en effet raisonner à périmètre constant, ce qui permet de conclure à une baisse de 18 % des effectifs du Quai d'Orsay depuis une douzaine d'années, alors même que les effectifs de l'État ne diminuaient pas. Nous avons donc été mis à contribution plus que d'autres. Cela étant, la suppression des corps, et singulièrement du corps diplomatique comme du corps préfectoral, n'est pas synonyme d'une suppression des métiers. Les diplomates ont et auront toujours un savoir-faire, une expérience et une expertise. Je veux mettre à ce titre l'accent sur l'importance de renouveler nos actions de formation tout au long de la vie. L'école pratique des métiers de la diplomatie, inaugurée par Jean-Yves Le Drian l'année dernière, est ainsi une excellente idée.

Madame Abomongoli, vous avez abordé les difficultés des Français de l'étranger à accéder aux services consulaires. La numérisation répond à un besoin d'information des Français, comme le montrent les débuts du service centralisé, et à des questions que les ambassades peinent à traiter individuellement alors qu'elles pourraient être mutualisées. Cependant la numérisation n'est pas et ne sera pas une façon de réduire les emplois. Le service qu'attendent nos compatriotes n'est pas assuré aussi bien qu'ils le souhaiteraient. Ainsi, nos efforts en matière de numérisation nous permettraient seulement de revenir à un niveau de service conforme à celui qui est attendu.

Par ailleurs, nous sommes particulièrement exigeants. Il faut rappeler que l'activité des consulats est croissante. La pandémie nous a fait prendre du retard. Si les délais sont parfois longs, notamment en raison des confinements qui ont provoqué des réductions des heures de service, nous restons sans doute le pays du monde qui fournit le plus grand nombre de services à nos compatriotes. Beaucoup de grandes diplomaties, comme la diplomatie britannique, n'offrent absolument pas ces services à leurs citoyens. C'est l'honneur de notre pays de le faire. Or, nous avons pour cela besoin de moyens. La dématérialisation des procédures permettra de gagner du temps pour recevoir nos compatriotes, bien que de nombreuses démarches nécessitent de toute façon des contacts physiques.

Madame Hamelet, la politique migratoire est un sujet suffisamment grave pour que l'on n'en fasse pas des caricatures. Une politique européenne est nécessaire car nous partageons un même espace, au sein duquel la liberté de circulation existe, sans interdire toutefois des contrôles. Deux principes permettent d'y parvenir. Le premier est la responsabilité des États, qu'il s'agisse ou non d'États de première entrée ; le second est la solidarité des États pour que certains ne fassent pas face seuls à une charge plus importante que d'autres. Cette politique est ferme lorsqu'il le faut, notamment face aux migrations illégales, et ouverte à la fois, afin de rendre possible l'immigration légale, cette dernière offrant des possibilités économiques et garantissant l'enrichissement mutuel par la diversité.

La présidence française a permis deux réelles avancées sur le pacte sur l'asile et la migration, sans toutefois que ce projet ne soit achevé, ainsi qu'une troisième avancée, relative à la mise en place effective d'un conseil Schengen, qui garantit un véritable contrôle politique.

Madame Thillaye, vous avez raison d'évoquer les risques de contournement des sanctions contre la Russie. C'est pour cette raison que la Commission européenne réfléchit à de nouvelles propositions. Nous avons adopté six trains de sanctions. De nouvelles mesures renforceront l'ampleur et le nombre des sanctions individuelles contre des soutiens du régime de Vladimir Poutine, et permettront de mieux lutter contre d'éventuels contournements. Nous évoquerons ce sujet avec mes homologues européens lors du prochain conseil Affaires étrangères à Bruxelles, lundi prochain.

Madame Caroit, la France est présente en Amérique latine et dans les Caraïbes, non seulement par ses territoires aux Antilles et en Guyane mais également par ses 24 ambassades, 40 lycées français et 200 alliances françaises, qui nous permettent d'entretenir des relations humaines, culturelles, intellectuelles et historiques avec ce continent. Ces liens sont complétés par de fortes relations économiques. Les investissements français augmentent. 2 500 filiales françaises sont implantées en Amérique latine et garantissent notre présence dans les domaines des infrastructures, des transports, de l'énergie, ou encore dans celui de la transition écologique et du développement durable. Enfin, nous entretenons des relations de confiance avec nombre de partenaires latino-américains. Je pense notamment aux réponses aux défis globaux, au changement climatique, à la protection de la biodiversité. La France a présenté avec le Costa Rica sa candidature pour accueillir le prochain sommet des Nations Unies sur les océans en 2025.

Haïti est plongé dans une crise multidimensionnelle qui dure et ne cesse de s'aggraver. La situation socio-économique du pays est très préoccupante pour les populations. La situation sécuritaire, quant à elle, est marquée par une détérioration dramatique. La France est impliquée dans la recherche d'une résolution politique de la crise. Depuis la fin de l'année 2020, elle s'est engagée avec le Canada et les États-Unis pour porter une initiative conjointe, qui se poursuit aujourd'hui. Cette initiative encourage le dialogue politique, vise à soutenir la police nationale d'Haïti par des actions de formation, et à accroître le soutien humanitaire à l'île. Pour notre part, le soutien humanitaire français atteindra 7,2 millions d'euros à la fin de l'année 2022, dont 4,2 millions d'euros d'aide alimentaire.

Monsieur Bilongo, je me suis déjà longuement exprimée sur les mesures décidées pour faire face à la crise alimentaire, au niveau national et international. Je voudrais appeler votre attention sur l'initiative FARM. Nous développons avec nos partenaires internationaux que sont l'OMC, le PAM et le FIDA des solutions pour relever de façon plus systématique trois défis de cette crise. Nous travaillons ainsi à la libre circulation des denrées, la transparence des marchés agricoles, la disparition des restrictions aux exportations ; nous souhaitons également mettre en œuvre une solidarité renforcée avec les plus vulnérables ; enfin, nous réfléchissons à l'accroissement des capacités de production agricole et alimentaire dans le Sud, notamment en Afrique.

En outre, l'Union européenne a décidé de limiter le pourcentage de jachère, tandis que le Canada verra cette année sa production de céréales augmenter de 40 % grâce à des semis plus importants et à de meilleures conditions climatiques. Enfin, nous renforçons notre aide publique au développement dans le secteur agricole et alimentaire. En 2022, notre aide à ce titre dépassera 700 millions d'euros. Le Président de la République a annoncé au G7 le doublement de la contribution française au PAM, passant de 75 millions à 150 millions d'euros.

Monsieur Habib, je ne crois pas que nous tenons un discours de « en même temps ». D'abord, la France n'agit pas seule sur le dossier iranien mais en liaison constante avec ses partenaires traditionnels de l'Union européenne et les États-Unis. Nous portons un message simple : un travail considérable a été fait afin d'aboutir à un projet d'accord, pratiquement accepté par l'Iran, qui permettrait le retour au JPCOA. Notre priorité est en effet un réengagement des relations entre l'Iran et l'AIEA. Je m'en suis entretenue avec mon collègue israélien avant qu'il ne devienne Premier ministre. Nous n'avons pas le même point de vue sur ce sujet. Pourtant, comme nombre d'amis d'Israël, nous considérons que si le retour au JPCOA n'est pas la panacée, car la situation a évolué depuis le retrait américain et la fin de la coopération par l'Iran, il est préférable à une absence d'accord qui laisserait place aux incertitudes et aux risques que vous soulignez.

Monsieur Dupont-Aignan, la Syrie est en proie à des violences depuis onze ans. La situation humanitaire s'y dégrade. Les crimes que nous connaissons s'y produisent. Le régime syrien, qui n'est pas le seul à les avoir commis, poursuit sa stratégie de la terre brûlée. Plus que jamais, la solution politique est le seul horizon. Les perspectives ne permettent pas d'envisager que les conditions soient réunies pour rouvrir une ambassade française à Damas.

Monsieur Julien-Laferrière, un déplacement du Président de la République au Bénin est dans l'ordre des possibles. L'État de droit et la bonne gouvernance feront partie des messages qu'il aura à cœur de porter auprès des autorités du Bénin. Nous n'avons pas pour habitude de révéler en amont le contenu de nos interventions. Je promets toutefois de revenir vers vous pour vous indiquer si les interventions que vous appelez de vos vœux auront été faites.

L'Alliance Sahel, lancée en 2017 par le Président de la République avec d'autres acteurs européens, ainsi que le PNUD ou encore l'AFD, s'est traduite sur le terrain par plus de mille projets, pour un budget de 22 milliards d'euros. Il s'agit de l'une des priorités de la diplomatie française. Je m'inscrirai dans le sillage de Jean-Yves Le Drian, à qui elle tenait à cœur. Elle fait partie du renouvellement de nos relations avec l'Afrique que nous appelons de nos vœux. C'est également pour cette raison que j'irai constater la réalité des projets concrets que nous soutenons, notamment en matière d'éducation des femmes et des enfants, lors de ma visite au Niger. J'ai également tenu à me rendre sur place pour constater les réalisations permises par notre aide au développement en matière de renforcement de la production agricole.

Monsieur Faure, le Président de la République s'est exprimé à plusieurs reprises sur l'expression qu'il a employée, en l'assumant totalement. Il ne faisait pas référence au présent, même s'il souhaite maintenir, comme d'autres, un canal de discussion avec le président russe. Ces conversations sont difficiles, mais nécessaires, comme l'a récemment montré la presse d'après ce qu'elle avait eu l'occasion d'en voir. Néanmoins, le Président de la République a raison : de façon générale, il ne faut humilier personne, et encore moins des partenaires internationaux. De surcroît, lorsque la paix reviendra – et elle reviendra un jour –, il sera important qu'elle soit conclue dans des conditions qui n'humilient aucun des États parties prenantes à ce conflit. Dans ce cadre, la Russie aura un rôle à jouer dans l'architecture de sécurité de notre continent. C'est ce que le président a voulu dire, comme il l'a répété à de nombreuses reprises, notamment lors de sa conférence de presse en marge du sommet de Madrid.

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