Intervention de Arnaud Le Gall

Réunion du mercredi 20 juillet 2022 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Le Gall, rapporteur :

La BRI, créée dans les années 1930 pour répondre à l'absence de réglementation bancaire qui fut l'une des causes de la crise, demeure méconnue même si elle est la plus ancienne organisation financière internationale. Ses missions sont essentielles : elle est l'un des maillons de la coopération monétaire et financière internationale et elle aide les banques centrales à gérer leurs réserves de devises, ce qui lui vaut le surnom de « banque des banques centrales » – en tout cas de celles de soixante-trois pays qui représentent 95 % du PIB mondial.

En 2019, la BRI a créé un pôle d'innovation, le BISIH, composé de six centres – Londres, Hong Kong, Singapour, Stockholm, Toronto et Zürich – dirigés depuis le siège de la BRI, à Bâle, en Suisse. En 2020, elle a souhaité créer un septième centre, franco-allemand, pour représenter l'Eurosystème. Il sera divisé en deux sites, l'un à Paris, l'autre à Francfort.

La signature des deux accords était un préalable nécessaire à la naissance de ce site. Leur contenu est classique.

L'accord de siège définit les statuts, les privilèges et les immunités dont bénéficiera la BRI en France ainsi que son personnel et les personnes affiliées : inviolabilité des locaux, des documents et des données de la BRI ainsi que de ses communications officielles, exonération de droits de douane et d'impôts, privilèges, immunités et exemptions. Ce ne sont pas des avantages personnels, ils sont attachés au statut du travailleur international.

Le second accord définit le régime de protection sociale de quatre types de personnels : les membres de la BRI couverts par le régime de la banque, les membres de la BRI qui travaillent en France mais ne sont pas couverts par ce régime, les agents de la Banque de France mis à disposition de la BRI, les personnels des autres banques centrales membres de la BRI mis à disposition de celle-ci.

Ainsi, toutes les personnes qui travailleront pour le centre et leurs ayants droit seront couverts par un système de protection sociale, sans double affiliation. Cet accord est indispensable pour assurer les droits de ces travailleurs et de leurs familles.

Les conséquences de ces accords seront limitées aussi ne nous y opposerons-nous pas, même si nous ne partageons pas les principales préconisations de la BRI. Le nouveau centre ne devrait accueillir qu'une quinzaine de personnes à Paris, dont seulement quatre agents permanents, parmi lesquels deux viendront de la Banque de France et au moins un de la BRI.

Ces accords représentent une opportunité pour ceux qui considèrent que l'attractivité financière de la France aurait un effet mécaniquement positif pour notre économie. Nous le contestons puisqu'une grande part des actifs financiers ne sont pas investis dans l'économie productive mais dans des activités purement financières.

Ces accords s'inscrivent dans un système économique et financier injuste, insuffisamment régulé et destructeur des économies.

La mondialisation est un fait historique qui remonte à l'Antiquité et qui ne cesse de s'accélérer depuis cinq siècles. En nier la réalité serait aussi absurde que refuser d'admettre que la Terre tourne autour du soleil.

En revanche, la mondialisation néolibérale est un choix politique récent qui peut et doit être défait. Le système monétaire qui prévaut depuis les années 1970, après la liquidation du système de Bretton Woods, est profondément déstabilisateur. Il se caractérise par des taux de change flottants et la financiarisation des économies : déréglementation financière, liberté totale de circulation des capitaux, privatisation de l'émission monétaire, obligation des États d'emprunter sur les marchés etc.

Les crises financières suivies d'une crise économique n'ont cessé de se multiplier. Les conséquences sociales en furent dramatiques, sans parler de l'augmentation massive des dettes publiques et privées, sans renforcer pour autant les investissements nécessaires pour répondre aux nouveaux défis, comme la crise climatique.

Après la crise de 2008, qui n'est pas vraiment achevée, la déconnexion entre la sphère financière et la sphère productive s'est aggravée. En 2020, les actifs financiers mondiaux atteignaient les 200 trillions d'euros, soit 200 000 milliards. Pour la première fois, ils ont dépassé 300 % du PIB mondial. Il n'est pas anodin que la finance internationale se soit aussi bien portée alors que l'économie mondiale était à l'arrêt en raison de la pandémie. L'écart entre la richesse et la croissance économique n'a jamais été aussi élevé.

Or la BRI contribue à ce cadre néolibéral global. Certes, elle doit veiller à l'application des accords de Bâle III, qui ont timidement encadré certaines activités bancaires mais c'était un minimum et nous aurions souhaité qu'elle aille beaucoup plus loin. Plus récemment, la BRI a rappelé avec raison que les cryptomonnaies non adossées à une banque centrale étaient une impasse. Nous sommes d'accord : nous ne voulons pas que Facebook créé sa monnaie. On peut imaginer que l'antenne de Paris se saisira de ces sujets cruciaux.

Malheureusement, les solutions qu'elle préconise pour lutter contre l'inflation, qu'il s'agisse de la hausse des taux d'intérêt ou du refus d'augmenter les salaires, dont on nous dit que cela aggraverait l'inflation, sont marquées du sceau du néolibéralisme. Même l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ou le Fonds monétaire international (FMI) ont proposé des mesures plus sociales, comme la revalorisation des salaires ou le blocage des prix. Le cycle actuel de l'inflation n'est pas le résultat d'une boucle prix-salaire mais d'une boucle pénurie-profits, les pénuries étant aggravées par des mécanismes spéculatifs.

Une autre mondialisation est possible. La charte de La Havane, issue d'une conférence générale de l'ONU mais rejetée par le Sénat des États-Unis, proposait d'organiser les échanges économiques internationaux à l'ONU autour d'objectifs politiques, économiques et sociaux qui tiendraient compte des intérêts du plus grand nombre : créer des emplois, limiter les déséquilibres commerciaux et monétaires en bannissant les guerres commerciales et monétaires. De même, une autre finance, plus régulée, était alors envisagée.

Le processus de Bâle ne suffit plus. Notre groupe propose de modifier les missions et les statuts de la Banque centrale européenne (BCE), de lui permettre de prêter directement aux États, de la placer sous contrôle démocratique pour en faire un outil au service de l'intérêt général ainsi que des objectifs écologiques et sociaux que nous nous fixerions. Elle ne doit plus être cet organisme focalisé sur la seule stabilité monétaire, dont les méthodes de lutte contre l'inflation font fi des conséquences dévastatrices pour le plus grand nombre.

Ces propositions, loin d'être utopiques, répondent aux dynamiques de démondialisation et de fragmentation du système monétaire international apparues dès 2008 et qui se sont accentuées à la suite de la pandémie et de la guerre en Ukraine. De 2008 à 2020, l'activité internationale des banques a reculé d'un quart, voire de 40 % pour ce qui concerne les banques de la zone euro. Nous sommes loin, désormais, des fables sur la mondialisation heureuse. La mondialisation néolibérale est en sursis. Tant mieux mais cette crise appelle des solutions collectives, sinon elle s'achèvera dans une guerre commerciale de tous contre tous, dont les tensions qui en découleraient pourraient conduire à des guerres au sens strict. N'oublions pas les leçons de l'échec de la première mondialisation libérale, entre 1870 et 1914.

Notre groupe ne s'opposera pas à ce texte qui concerne un centre de petite taille très spécifique et qui permet de garantir une protection sociale aux travailleurs concernés.

Néanmoins, ne cédons pas à la tentation de voir dans ces accords des choix neutres et techniques. Nous souhaitons que se tiennent de nouveaux débats, plus larges, sur le modèle de l'organisation économique et financière internationale. Il n'y aura pas de progrès social, écologique et économique sans une transformation profonde des règles financières et commerciales internationales.

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