Intervention de Laurence Boone

Réunion du lundi 18 juillet 2022 à 17h00
Commission des affaires européennes

Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe :

Monsieur le président, permettez-moi de vous féliciter pour votre élection à la tête de la commission des affaires européennes. Mesdames et messieurs les députés, je vous félicite vous aussi pour votre élection, avec le souhait que nos relations de travail soient des plus fructueuses, à l'aune de cette nouvelle législature. Je suis très heureuse d'être aujourd'hui parmi vous pour revenir sur le bilan de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, présenter les grands enjeux de la présidence tchèque et m'efforcer de répondre à toutes vos questions.

Je commencerai cependant par la guerre en Ukraine, qui a fait irruption le 24 février et a imposé à l'Union européenne de réagir à la hauteur de l'extrême gravité de cette agression. C'est vraiment l'honneur de la France que d'avoir tout fait pour tenter d'empêcher ce drame et d'avoir su se mobiliser pour y répondre. Nous l'avons fait au titre national, en prenant toutes nos responsabilités pour soutenir l'Ukraine dans cette guerre qui lui a été imposée et qu'elle doit gagner, car il y va de son avenir, mais aussi du nôtre. Nous l'avons fait également dans notre rôle de président du Conseil de l'Union européenne. L'Europe aurait pu ne pas être au rendez-vous, mais elle l'a été et nous y avons contribué.

D'abord, nous avons pris à l'encontre de la Russie une série de sanctions sans précédent par leur ampleur et par la rapidité de leur adoption. Il est essentiel que nous conservions à cet égard, dans les semaines et les mois à venir, le même esprit d'unité.

Ensuite, l'Union européenne a brisé un tabou majeur pour elle en contribuant de manière très significative au financement des armements nécessaires à l'Ukraine pour se défendre. Il faudra, bien sûr, maintenir cet effort sur le long terme.

L'Europe a aussi été au rendez-vous pour les millions d'Ukrainiens et d'Ukrainiennes chassés par le conflit, leur donnant le bénéfice de la protection temporaire et mettant en place un vaste pont logistique pour leur apporter l'aide humanitaire nécessaire, ainsi qu'à la Moldavie, l'autre pays directement touché par les conséquences du conflit.

Enfin, nous avons doté l'Union européenne des moyens de collecter des preuves des exactions et des crimes commis par l'armée russe en Ukraine, car il ne saurait y avoir d'impunité pour les crimes de guerre. Ce travail indispensable est venu en complément de l'engagement des États qui, comme la France, soutiennent le travail des autorités judiciaires ukrainiennes et de la Cour pénale internationale.

L'Union européenne met également en place des voies de solidarité pour évacuer autant de céréales que possible en passant par les territoires de ses États membres et éviter une crise alimentaire mondiale. À cet égard, la présidence tchèque aura besoin des États membres pour contrer le narratif russe. Il faut en effet être très clair : c'est la Russie qui, par son acte d'agression, est la responsable de l'envolée des cours des matières premières et de la crise alimentaire actuelle, et non pas nos sanctions, qui ne touchent pas les matières premières alimentaires.

Nous avons aussi agi pour que l'Union européenne tire les conséquences de cette guerre dans ses propres politiques. Au sommet de Versailles, qui s'est tenu au mois de mars, les chefs d'État et de gouvernement sont convenus de travailler à sortir d'urgence de notre dépendance au charbon, au pétrole et au gaz russes, et la Commission européenne a proposé plusieurs initiatives pour diversifier nos approvisionnements et renforcer notre sécurité énergétique. Il s'agira évidemment, en premier lieu, de l'accélération du déploiement des renouvelables, ainsi que de la plateforme volontaire d'achat conjoint de gaz et du règlement sur le stockage de gaz. La présidence française a trouvé en un temps record un accord en trilogue sur ce texte, ce qui permettra de s'assurer que tous les États membres reconstituent leurs stocks de gaz avant l'hiver prochain.

Tout ce nouvel agenda, que la Commission européenne appelle REPowerEU, met fin à une certaine naïveté de l'Union européenne face à son fournisseur énergétique russe et structurera les discussions européennes pour les années à venir.

À Versailles, il a également été décidé de remédier d'urgence au sous-investissement des Européens dans leur défense. Depuis le début de la guerre, tous les gouvernements ont entrepris de relever le niveau de cet effort. L'Union européenne peut y contribuer par des financements, par un soutien aux projets industriels et par des achats en commun.

Enfin, les chefs d'État et de gouvernement ont décidé à l'unanimité, lors du Conseil européen de juin, de donner à l'Ukraine et à la Moldavie le statut de candidat à l'Union européenne. C'est un résultat majeur, et qui était loin d'être acquis. Nous avons en effet vu, au sommet de Versailles, combien cette question divisait.

La perspective de l'accession à l'Union européenne ne résout pas le défi consistant à arrimer dès maintenant ces pays à nous. C'est impératif, et c'est la raison pour laquelle le Président de République a proposé de créer la Communauté politique européenne (CPE), forum dans lequel nous pourrons renforcer considérablement l'appui aux réformes et les coopérations avec les pays candidats, mais aussi les discussions sur les questions stratégiques entre tous les pays européens qui partagent les mêmes valeurs et sont confrontés aux mêmes défis. Le Conseil européen a endossé cette idée et la présidence tchèque du Conseil de l'Union européenne a déjà annoncé une première réunion en octobre prochain à Prague.

J'en viens maintenant aux principaux résultats de la PFUE. Pendant que nous faisions tout ce que je viens d'évoquer pour que l'Europe réagisse à l'agression russe, l'agenda de la présidence n'a pas été mis de côté. Il a même, au contraire, révélé et mis en évidence la nécessité pour l'Europe de devenir souveraine, de défendre ses intérêts et d'éviter qu'ils ne soient arbitrés par d'autres. Tout notre agenda de présidence a été guidé par cet agenda de souveraineté, qui a été non pas réduit mais accéléré à partir du 24 février.

D'abord, comme vous l'évoquiez, Monsieur le président, la transition écologique, qui est un impératif pour la survie de notre planète – nous souffrons tous aujourd'hui des phénomènes climatiques – en est un aussi pour la préservation de notre indépendance. L'Europe neutre sur le plan climatique que nous devons soutenir d'ici à 2050 sera donc une Europe plus souveraine. C'est une immense avancée que d'avoir obtenu le 29 juin, après dix-sept heures de négociation et des mois de travail, un accord entre les États membres sur le paquet intitulé « Fit for 55 », qui doit assurer une réduction de 55 % de nos émissions de CO2 dans l'Union européenne en 2030 par rapport au niveau de 1990. C'est un record de vitesse, alors même que ce paquet est le plus ambitieux jamais adopté par l'Union européenne. Il renforce le marché carbone européen, crée, ce qui est très important, un fonds d'accompagnement des ménages et des petites entreprises, doté de 59 milliards d'euros, et instaure la taxe carbone aux frontières dès 2026.

Deux pas de géant ont ensuite été accomplis pour mieux réguler le numérique, avec le DSA et le DMA. Le règlement sur les services numériques et le règlement sur les marchés numériques auront un impact majeur sur nos vies et sur celles de nos enfants. Il s'agit, d'abord, d'empêcher les comportements monopolistiques des grandes plateformes et les abus de position dominante. Il s'agit aussi de contraindre ces acteurs à la responsabilité et à la transparence en matière de prévention et de suppression des contenus illicites sur les réseaux sociaux.

Enfin, l'Europe souveraine, nous l'avons faite en sortant définitivement l'Europe commerciale de sa naïveté. Trop longtemps en effet, elle a été prête à accepter des règles du jeu asymétriques. Le choix de l'ouverture fait depuis toujours par l'Europe devenait de plus en plus synonyme de naïveté aux yeux de nos concitoyens. Ce n'est plus le cas. Par exemple, l'Europe a développé un instrument permettant une meilleure réciprocité en matière d'accès aux marchés publics : si un pays n'ouvre pas ses marchés publics, ses entreprises ne peuvent plus gagner de marchés publics en Europe. Elle a aussi adopté un instrument de lutte contre les subventions étrangères, et renforcé les règles protectrices pour la santé des consommateurs au moyen de mesures miroirs : lorsqu'un produit pesticide est interdit en Europe, on ne doit pas en trouver trace dans les produits que nous importons.

De manière générale, l'Union européenne a pris conscience de la nécessité de réfléchir d'une manière stratégique à ses dépendances vis-à-vis de l'extérieur. Cela l'a conduite à réhabiliter la politique industrielle, avec des programmes paneuropéens visant à affirmer notre souveraineté dans les domaines de la santé, de l'hydrogène ou des semi-conducteurs.

Affirmer notre souveraineté, cela a également été fait en renforçant l'espace Schengen et en débloquant les discussions relatives au pacte sur la migration et l'asile. L'espace Schengen est désormais piloté politiquement, avec la création d'un conseil des ministres de Schengen qui se réunit régulièrement. Ces règles ont été amendées avec la révision du code frontières Schengen.

Pour ce qui concerne, enfin, les migrations au sein de l'Union européenne, la seule réponse efficace est celle de la responsabilité renforcée des pays de première entrée, qui doit aller de pair avec la solidarité des autres États membres. Nous avons enfin débloqué les discussions sur ce thème, qui étaient à l'arrêt depuis de nombreuses années, avec une approche pragmatique promouvant une solidarité concrète au moyen d'une plateforme pour les pays de première entrée.

Pour décisive qu'elle soit, cette avancée ne constitue cependant qu'une première étape et nous appuierons les efforts de nos collègues tchèques, puis suédois, pour poursuivre ces travaux.

La souveraineté européenne s'est aussi affirmée dans le domaine social. L'Europe sociale, dont on a beaucoup parlé, est désormais en train de prendre corps. Chose importante, elle le fait en pleine cohérence avec notre modèle social. Chaque travailleur européen disposera ainsi, avec la directive sur le salaire minimum, d'un revenu minimal adéquat. C'est là une avancée majeure, une véritable conquête sociale à l'échelle européenne.

En tant que femme et citoyenne française, je suis également fière que notre pays ait fait adopter, après dix ans de blocage, une directive fixant un objectif clair aux entreprises : au moins 40 % de femmes dans les conseils d'administration des grandes entreprises en Europe d'ici 2026. C'est là une avancée considérable pour l'égalité entre les femmes et les hommes, dont le Président de la République a fait, pour son second mandat comme pour le premier, une priorité.

Enfin, et l'actualité en souligne l'importance, le Président de la République a aussi défendu devant le Parlement européen, le 19 janvier, l'objectif d'une inscription du droit à l'avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Le Parlement européen a repris cette proposition à son compte. À l'heure où ce droit fondamental est remis en cause dans une démocratie aussi importante que les États-Unis, l'Europe doit porter d'autant plus ce combat, pour elle-même et au-delà de ses frontières.

Voilà tout ce que nous avons construit dans le cadre de la PFUE pour que l'Union européenne puisse devenir un acteur à part entière de la vie internationale, au moment où celle-ci devient de plus en plus chaotique et dangereuse. C'est aussi la raison pour laquelle nous avons renouvelé nos partenariats avec les grandes régions du monde dont dépend notre avenir.

Je mettrai l'accent sur les Balkans occidentaux, région stratégique que nous ne devons pas laisser dériver loin de la famille européenne, a fortiori sachant que des puissances tierces n'hésiteront pas à occuper le vide politique et stratégique que nous aurions créé. Il est de notre intérêt d'accompagner les pays de la région qui se trouvent sur le chemin exigeant et difficile de l'adhésion à l'Union. C'est pourquoi nous avons organisé, en marge du Conseil européen de juin, une réunion avec les chefs d'État et de gouvernement des Balkans occidentaux ; le Président de la République s'est personnellement impliqué pour débloquer la situation entre la république de Macédoine du Nord et la Bulgarie.

Quelques mots maintenant sur le futur et sur la continuité de notre action. Tout ce que fait la présidence française se conçoit dans la perspective du trio de présidence, avec la République tchèque et la Suède. Cette continuité s'impose d'autant plus que la guerre nous oblige à renforcer notre collaboration et notre solidarité. La présidence tchèque a mis l'accent, pour les six prochains mois, sur le renforcement des libertés et des valeurs européennes, sur l'indépendance des médias et sur le dialogue avec les citoyens. Pour ce qui concerne la défense de nos valeurs, la présidence française avait suscité des attentes fortes en matière d'État de droit. Plusieurs États sont désireux de poursuivre la réflexion stratégique que nous avons engagée, et nous prendrons donc une part active à ces discussions.

Il s'agit en particulier de l'amélioration des instruments existants, notamment du régime général de conditionnalité des fonds européens ou de ceux assurant la protection et la sécurité des journalistes.

Pendant la présidence française, nous avons accompagné les travaux de la conférence sur l'avenir de l'Europe, exercice inédit de participation des citoyens pour écrire le futur de notre Union. Le rapport et les propositions ont été présentés le 9 mai et doivent maintenant trouver une traduction concrète au bénéfice des citoyens, avec en ligne de mire l'événement de restitution prévu à l'automne.

Le 9 mai, dans le discours qu'il a tenu à Strasbourg, le Président de la République s'est prononcé en faveur d'une révision des traités. Le moment venu, nous devrons nous poser la question d'une modification de ces textes qui ne sont ni un totem ni un tabou. Nous devrons prendre le temps, collectivement, d'en peser toutes les implications, notamment pour ce qui concerne le vote à la majorité qualifiée. La guerre en Ukraine demanderait, bien sûr, que nous affichons une unité sans faille, mais les blocages, par exemple à propos de la taxation minimale internationale des grandes entreprises, nous montrent que nous devons impérativement trouver le moyen de surmonter le veto – voire le chantage – d'un État membre si tous les autres sont d'accord.

Il ne faut évidemment pas résumer un an de travaux de la conférence sur l'avenir de l'Europe au sujet, important mais non pas exclusif, de la révision des traités. De nombreuses propositions – en fait, la majorité – ne nécessitent pas de révision des traités pour être mises en œuvre rapidement et c'est sur celles-là que nous nous concentrerons en premier, pour répondre plus vite aux attentes des citoyens. Ainsi, concernant l'Europe de la santé, la présidence tchèque a fait de l'adoption d'un cadre commun pour l'usage des données de santé une de ses priorités. Cette réglementation sera déterminante pour le développement du secteur et il importe que l'Union européenne impose un cadre conforme à ses valeurs.

Nous aurons beaucoup de défis à relever dans les mois à venir. Nous soutiendrons bien sûr les efforts de la présidence tchèque. Je ne mentionnerai que deux points. D'abord, pour ce qui concerne l'autonomie industrielle et énergétique, la présidence tchèque a fait de l'agenda de réduction de la dépendance énergétique à la Russie l'une de ses principales priorités. Elle devra aussi s'assurer de la sécurité des approvisionnements de l'Union européenne, car la Russie manipule ses livraisons d'énergie pour nous affaiblir et nous diviser. En réponse à l'une de vos questions, je précise que, le 20 juillet, la Commission présentera un plan de préparation à l'hiver et que la présidence tchèque réunira les ministres de l'énergie dès le 26 juillet pour que l'Union européenne soit prête pour l'hiver.

La présidence tchèque devra également mener les discussions et les trilogues avec le Parlement européen sur le paquet « Fit for 55 ». Ces négociations seront complexes. La France doit évidemment jouer un rôle constructif et aider la présidence tchèque à trouver des compromis avec le Parlement tout en préservant son ambition climatique, qui a été le fil rouge de ce semestre de négociations.

Voilà ce à quoi nous allons travailler désormais, aux côtés des présidences tchèque, puis suédoise, espagnole et belge, qui nous conduiront jusqu'aux élections au Parlement européen. Nous n'avons ni tout inventé ni tout achevé, mais j'espère que nous avons su répondre à l'irruption de l'histoire dans la vie de l'Union et que nous saurons faire passer le projet d'Europe puissance, qui est un projet collectif européen.

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