Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, merci de m'avoir de nouveau convié à m'exprimer, plus précisément cette fois sur le rôle de l'Union européenne dans le conflit en Ukraine. Celui-ci a démontré, presque « contre toute attente », la force du collectif de l'Union européenne, dès les premiers jours de la guerre.
J'ai participé hier à la réunion des ministres de la défense de l'Union européenne. L'Ukraine en était évidemment le sujet majeur. Le conseil des affaires étrangères a décidé le lancement de la mission d'assistance militaire de l'Union européenne à l'Ukraine, établie le 17 octobre, et que j'ai l'honneur de commander depuis hier. Je vous en présenterai les détails. Je pourrai également vous transmettre les dernières informations, relativement précises, en ma possession concernant ce qui s'est passé hier en Pologne. Il faut à cet égard « raison garder ».
Je ne reviendrai pas sur l'organisation de l'état-major de l'Union européenne et de la MPCC. Vous l'avez décrite. J'en ai été élu directeur général il y a deux ans et demi. L'état-major de l'Union européenne apporte l'expertise militaire au sein de toutes les institutions européennes. Comme membre du service européen pour l'action extérieure, je travaille sous l'autorité directe du haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, et, de manière extrêmement fluide, avec le secrétaire général adjoint pour la politique de sécurité et de défense commune, l'ambassadeur Charles Fries. Nous intervenons dans les domaines conceptuel, opérationnel et capacitaire.
La MPCC, à laquelle les Britanniques s'étaient jusque-là opposés, a été établie il y a 4 ans grâce au Brexit, sous la forme d'un « embryon » de centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) européen, qui commence à prendre de plus en plus d'importance. C'est par son intermédiaire que je commande les quatre missions non exécutives de l'Union européenne (en anglais : EUTM, pour EU Training Missions) en Afrique : au Mali (au Sahel), en République centrafricaine, en Somalie et au Mozambique. Depuis hier, une nouvelle mission historique (par son lancement et son volume) d'assistance militaire au profit de l'Ukraine m'a donc également été confiée.
Je participe au secrétariat de la revue coordonnée annuelle de défense, et aux sujets de coopération structurée permanente, comme à toutes les initiatives lancées depuis 4 ans par l'Union européenne dans le domaine de la sécurité et de la défense, qui ont culminé dans les travaux conceptuels de la boussole stratégique, qui fixe un nouveau niveau d'ambition pour l'Union européenne dans ce domaine. Je pourrai y revenir lors de nos échanges.
Après ces propos introductifs pour vous rappeler le cadre général, je souhaite vous présenter de quelle manière la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) a été mise en œuvre au profit de l'Ukraine. Et puisque vous le demandez j'évoquerai la mission au Mali en fin de propos.
Après un rappel sur les phases de la guerre en Ukraine, qui éclaire les orientations prises, j'aborderai la mise en place du volet financier de l'assistance militaire grâce à la facilité européenne pour la paix et enfin le lancement de la mission EUMAM UA (pour European Union Military Assistance Mission in support of Ukraine), lancement adopté hier par le Conseil.
Depuis le 24 février, la guerre en Ukraine a connu trois phases.
La première a été l'invasion lancée le 24 février, avec pour objectif réel -mal planifié- la prise de Kiev et la chute du gouvernement de M. Zelensky. Le soutien occidental, et en particulier de l'Union européenne, dans les premiers jours de la guerre, a certainement contribué à l'échec de cette première phase. Les équipements militaires nécessaires aux forces armées ukrainiennes lors de cette première phase (man-portable anti-tank systems [MANPATS], défense aérienne type Stinger, etc.) devaient permettre une extrême mobilité des équipes de combattants, dans une tactique de harcèlement de l'ennemi, fixé quant à lui sur les axes de circulation. Vous vous souvenez de ces images de convois de blindés russes de dizaines de kilomètres de long. Les Russes avaient en effet dû perdre de vue qu'en mars, la neige fond, ce qui réduit les possibilités de cheminer dans la campagne ukrainienne.
La deuxième phase a commencé en avril, l'armée russe concentrant ses efforts pour conquérir les territoires séparatistes à majorité russophone et protégeant la Crimée, avec sans doute l'intention de s'emparer de l'intégralité de la zone littorale, pour relier ainsi la Crimée et la Transnistrie occupée en République de Moldavie. Une guerre de haute intensité avec une ligne de front s'est alors installée. Les nations occidentales (européennes comme américaines et britanniques) ont su adapter leurs priorités de livraison en matériel conformément aux demandes de l'Ukraine, au profit de chars de combat, de véhicules de transport blindés, d'artillerie à longue portée, de défense antiaérienne et de missiles antinavires.
Enfin, début septembre, les Ukrainiens ont repris l'initiative et ont réussi à bousculer les Russes, avec des gains territoriaux conséquents. En réponse, la Russie a changé sa stratégie et s'attaque désormais à la force morale de la population ukrainienne, en détruisant les infrastructures civiles stratégiques dans l'ensemble du pays par des frappes aériennes de missiles et de drones armés, certains de fabrication iranienne. Cette troisième phase constitue une course avant l'arrivée de l'hiver, qui stabilisera une nouvelle ligne de front jusqu'au printemps prochain. La reprise de Kherson en représente le succès le plus visible, et figera sans doute la ligne de front du Sud sur les rives du Dniepr. L'hiver rendra difficile les grandes manœuvres en campagne, mais les combats en zone urbaine resteront possibles. Au cours de leur histoire, les Russes ont toujours su conserver une capacité à mener des opérations en hiver. Reste à savoir s'ils en auront les moyens.
Les équipements militaires nécessaires aux forces armées ukrainiennes pour cette troisième phase sont les mêmes que pour la phase 2, avec toutefois une demande accrue en matériel de défense aérienne (compte tenu des attaques massives qui ont eu lieu, dont la plus significative a eu lieu hier, avec pour conséquence ce qui s'est passé en Pologne) et en matériel de maintenance et équipements d'hiver : lubrifiant, pièces de rechange, sacs de couchage d'hiver, etc., de manière à pouvoir tenir la ligne de front pendant l'hiver.
Selon nos estimations les plus crédibles, au moins 60 000 combattants russes auraient été tués, pour trois fois plus de blessés, ce qui signifie qu'environ 250 000 combattants russes seraient aujourd'hui « hors service ».
Paradoxalement, les chiffres ukrainiens sont plus difficiles à obtenir. Nous estimons que les pertes ukrainiennes sont moins importantes que celles des Russes, mais tout de même considérables.
La Russie aurait perdu 60 % de son stock total de chars de combat, et 70 % de son stock de missiles adaptés à des cibles terrestres. C'est pourquoi elle emploie désormais des missiles antiaériens pour frapper des cibles terrestres, avec les problèmes de précision qui en résultent, et se tourne vers l'Iran ou la Corée du Nord pour lui fournir du matériel. Il est difficile de savoir ce que la Corée du Nord a fourni. Nous savons que l'Iran a fourni des drones. Sa capacité à fournir des missiles balistiques de moyenne portée est extrêmement crédible également. La Russie a aussi perdu 40 % de ses véhicules de transport de troupes et 20 % de son artillerie.
Plus que jamais, il s'agit donc d'une guerre d'attrition, et les Ukrainiens ont besoin de notre soutien pour régénérer leurs forces vives, réparer ou remplacer leurs armements et équipements endommagés ou détruits, et être en mesure de poursuivre la reconquête des territoires annexés au sortir de l'hiver.
À moins d'une surprise (qui ne viendra pas de l'Ukraine) en matière de négociation, une offensive sanglante surviendra au printemps.
Outre les sanctions prises et l'aide déployée pour accueillir les réfugiés, la première mesure prise par l'Union européenne a été la fourniture d'équipements militaires aux forces armées ukrainiennes, démultipliée par l'utilisation de la Facilité européenne pour la paix (FEP) dès les premiers jours du conflit. En 36 heures, l'Union européenne a ainsi décidé de consacrer 500 millions d'euros à cette fourniture d'équipement militaire. Tout le monde y a contribué, y compris l'Allemagne, la Finlande et la Suède, ce sur quoi personne n'aurait parié seulement quelques mois plus tôt.
La Facilité européenne pour la paix, adoptée en 2021, est un instrument hors budget de l'Union européenne, fondé sur un mécanisme de coût commun visant à améliorer sa capacité à prévenir les conflits, consolider la paix et renforcer la sécurité internationale. Elle permet notamment le financement d'actions opérationnelles relevant de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune. Elle remplace et élargit les anciens instruments financiers existants dans ce domaine : Athena et la Facilité de paix pour l'Afrique.
Deux années de négociations ont été nécessaires pour mettre en place la Facilité européenne pour la paix, car elle permet aussi la fourniture de matériel létal, ce qui gênait un certain nombre d'États membres. Avant l'existence de la Facilité européenne pour la paix, l'Union européenne ne pouvait pas financer la fourniture de matériel militaire à un pays tiers. Cela a pu participer à la décision de la République centrafricaine de se tourner vers d'autres partenaires, qui ont pu, quant à eux, lui fournir sans condition l'armement dont elle avait besoin.
La Facilité européenne pour la paix est dirigée par un comité de la Facilité, composé de représentants de chaque État membre, et présidé par un représentant de la présidence tournante du Conseil. Le comité est chargé d'adopter le budget annuel de la Facilité, ainsi que ses règles d'exécution.
Pour l'exercice 2021-2027, ce budget s'élève à 5,7 milliards d'euros. Il compte un pilier « opérationnel » (qui prend en charge les coûts communs des opérations militaires de l'Union européenne et de fonctionnement des états-majors), et un pilier « mesures d'assistances », visant à renforcer les capacités militaires (y compris létales) d'États tiers ou d'organisations régionales ou internationales, comme le G5 Sahel.
La Facilité européenne pour la paix est abondée par chaque État membre à hauteur de son PIB. La France y contribue ainsi à hauteur de 18 %. En comparaison, la participation de l'Allemagne est de 25 %, celle de la Pologne 3,7 %.
Dès le 26 février 2022, dans le but de faciliter l'échange d'informations entre les États membres et les forces armées ukrainiennes, et de s'assurer ainsi que l'effort en livraison de matériel consenti par les États membres était bien adapté à ce que demandent les Ukrainiens, j'ai établi au sein de l'état-major de l'Union européenne une plateforme d'échange d'information (en anglais : CHC, pour « Clearing House Cell »), dédiée au recensement des besoins et priorités exprimés par les Ukrainiens, d'une part, et de l'offre en matériel des États membres et de leurs partenaires, d'autre part. En contact permanent avec la mission de l'Ukraine auprès de l'Union européenne, mais aussi avec l'état-major général et le ministère de la défense ukrainien, la CHC continue à coordonner les efforts de soutien des États membres, au travers de réunions régulières, sur la base d'une liste unique de besoins prioritaires mise à jour par les armées ukrainiennes et partagée avec les États membres comme avec l'OTAN, afin qu'ils orientent leurs efforts en conséquence.
Avec l'appui de la CHC, j'exerce également la responsabilité de décider de l'éligibilité des aides fournies par les États membres à un remboursement par le comité de la Facilité européenne pour la paix. Ce remboursement est conditionné, d'une part à la confirmation de la réception de ces aides dans les centres de distribution ou à leur destination ; d'autre part à leur adéquation aux priorités fixées par les autorités ukrainiennes.
En huit mois, la CHC a reçu un peu plus de 4,7 milliards d'euros de demandes de remboursement de la part de 22 États membres, dont la France. Jusqu'à présent, j'ai approuvé comme éligibles au remboursement 4,066 milliards d'euros d'équipements militaires létaux (représentant 90 % du matériel fourni) ou non létaux.
Le Conseil de l'Union européenne a jusqu'à présent débloqué 6 paquets de 500 millions d'euros (les 28 février, 23 mars, 13 avril, 23 mai, 21 juillet et 17 octobre) pour la livraison de l'Ukraine en équipement militaire, pour un total de 3,1 milliards d'euros, incluant 2,82 milliards d'euros d'équipements létaux, 180 millions d'euros d'équipements non létaux et 100 millions d'euros liés au report sur les équipements non létaux des États ne voulant pas fournir d'équipements létaux. La France a participé à chacun de ces paquets de 500 millions d'euros à hauteur de 90 millions d'euros.
La durée d'éligibilité au remboursement des dépenses d'assistance à l'Ukraine est fixée à 36 mois à compter de la dernière décision du Conseil. Ces dépenses sont aussi éligibles de manière rétroactive à compter du 1er janvier 2022.
Le sixième paquet de 500 millions d'euros a permis d'étendre le champ d'application de l'assistance militaire aux matériels et consommables destinés à assurer la maintenance et la réparation des équipements donnés.
Chaque paquet de financement a été ouvert pour une tranche de temps déterminée. Les tranches 1 et 2 sont fermées et l'intégralité des paquets correspondants a été dépensée, soit 2 milliards d'euros.
La tranche 3, alimentée par les paquets 5 et 6, est ouverte depuis le 21 juillet. Les États membres ont pour l'instant demandé le remboursement de 233 millions d'euros sur les 1 milliard d'euros débloqués. Ce ralentissement pourrait traduire l'amenuisement des stocks disponibles. Le coût à venir de la maintenance devrait néanmoins maintenir la dynamique des dépenses financières.
Dans la situation la plus défavorable, c'est-à-dire si la guerre devait continuer sur le même rythme qu'aujourd'hui toute l'année 2023, un paquet de 500 millions d'euros serait encore nécessaire toutes les six semaines en 2023, pour un total de 900 millions d'euros pour la France.
Les chiffres de la participation française sont pour l'instant retenus par le ministère des armées, mais la France fait partie des dix pays les plus dépensiers en fourniture d'équipement militaire à l'Ukraine, et parmi les cinq à six pays les plus engagés financièrement du continent européen, Royaume-Uni compris.
La presse, notamment anglo-saxonne, a pu indiquer que l'effort de l'Union européenne représentait moins de 20 % de celui des États-Unis. Or, en incluant la Facilité européenne pour la paix et les livraisons dont le remboursement n'a pas été réclamé par certains États membres, l'Union européenne a consacré collectivement plus de 8 milliards d'euros à l'assistance militaire à l'Ukraine, soit 45 % de l'effort américain à périmètre égal. Elle a consacré 0,05 % de son PIB à cette assistance, contre 0,07 % de leur PIB pour les États-Unis. En proportion du PIB, les deux efforts sont donc comparables. Il faut ainsi contrer le narratif inexact selon lequel « l'anglosphère » aiderait l'Ukraine et l'Union européenne n'aiderait qu'elle-même.
En seize mois, 52 % du budget 2021-2027 de la Facilité européenne pour la paix a été dépensé. Si on y ajoute les dépenses que j'ai déclarées comme éligibles au remboursement, les trois quarts de ce budget ont été engagés. Enfin, avec l'ensemble des dépenses prévues pour 2023, ce budget aura été consommé à 82 %, alors qu'il restera quatre années à couvrir. La Facilité est donc déjà presque à court de budget. Elle n'a pas été conçue pour rembourser aux États membres des dons d'armement pour soutenir une guerre de haute intensité.
Des crispations politiques apparaissent déjà entre les contributeurs et les dépensiers, du fait de l'écart entre l'éligibilité au remboursement de certains États et la quote-part de leur participation au budget de la FEP, ou en raison du rythme actuel de consommation des crédits, bien supérieur aux perspectives initiales. La Pologne, qui a donné pour plus de 1,5 milliard d'euros de matériel (principalement des chars de fabrication soviétique) paye ainsi une part très faible, de sorte que ce sont les États payant une part plus importante (la France et l'Allemagne notamment) qui financeront ce don.
Le soutien apporté par les États membres et leurs partenaires a néanmoins eu un impact significatif sur les capacités militaires des forces armées ukrainiennes. Elles ne seraient pas en situation plus favorable aujourd'hui sans ce soutien. Il faut donc trouver les moyens de le poursuivre.
J'en arrive au lancement de la mission d'entraînement EUMAM UA.
Fin août, à Prague, lors d'un conseil informel des ministres de la défense, les 27 États membres ont convenu de mettre en place une mission de politique de sécurité et de défense commune (PSDC) pour assister et former les armées ukrainiennes. La décision d'établir une mission d'entraînement nommée European Union Military Assistance Mission (EUMAM) Ukraine a été adoptée un mois et demi plus tard, le lundi 17 octobre, au cours du conseil des affaires étrangères. Les planificateurs militaires de mes équipes ont alors multiplié les contacts avec nos partenaires et les forces armées ukrainiennes pour produire, sous forte contrainte de temps, des documents de planification solides et pertinents, dans un contexte de très grande friction entre l'Allemagne et la Pologne notamment. Cette mission devait pouvoir être lancée le 15 novembre, lors de la réunion suivante du conseil, ce qui a été le cas hier. L'Union européenne pourra donc commencer à former des troupes ukrainiennes dans les semaines à venir.
Cette mission répond à une demande des forces armées ukrainiennes. L'objectif de court terme pour les Ukrainiens est de mettre sur pied trois nouveaux corps d'armée d'ici mars 2023, pour un volume estimé de 75 000 hommes, afin de pouvoir prendre l'initiative des opérations au printemps prochain. Cet objectif très ambitieux correspond pratiquement au volume de la force opérationnelle terrestre de l'armée de terre française.
L'Union européenne s'est engagée à la formation dans un premier temps de 15 000 soldats. À cette fin, la mission EUMAM Ukraine fournira un entraînement individuel et collectif à la préparation au combat, en se fondant sur les besoins déclarés par l'Ukraine. Il visera notamment l'encadrement des échelons subalternes (de la section et l'escouade jusqu'aux compagnies, bataillons et commandements de brigades), incluant la préparation des compagnies, bataillons et brigades, l'entraînement à la manœuvre collective, à la tactique jusqu'au niveau de la brigade, ainsi que des conseils en planification, préparation et conduite d'exercices nombreux et de manœuvres à tir réel, des formations spécialisées dans le domaine du soutien médical, de la logistique, du combat du génie, des transmissions, de la protection nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique, et de la maintenance des équipements militaires. EUMAM participera aussi à la coordination plus avancée des activités des États membres liées à l'entraînement.
Sera ainsi assurée dans un premier temps la formation collective de 12 000 combattants, du bataillon à la division, soit l'équivalent de 8 brigades et de 2 800 spécialistes entraînés aux expertises citées. Cette mission se déroulera sur le territoire de l'Union européenne, et dans les infrastructures des États membres, tant que le conflit continuera. Aucun militaire européen ne sera donc déployé sur le territoire ukrainien dans le cadre de cette mission, hormis l'équivalent de notre attaché de défense à l'ambassade de l'Union européenne à Kiev. Afin de réduire les contraintes logistiques, les sites d'entraînement devront être localisés le plus près possible de l'Ukraine, et en nombre limité. La Pologne établira un « Combat Arms Training Center » (CAT-C), un état-major de niveau opératif, soit l'équivalent d'un Force Headquarter, ce nom ayant été modifié pour des raisons politiques. L'Allemagne mettra en place un « Special Training Center » (ST-C) pour le commandement des actions de formation se déroulant sur son territoire. Ces deux centres ne seront pas exclusifs d'autres offres des États membres qui, soit apporteront un renfort à leurs équipes d'entraînement, soit réaliseront des actions d'entraînement sur leurs propres territoires, comme la France, l'Espagne et l'Italie en ont manifesté l'intention. Cette dispersion des sites d'entraînement complexifiera la tâche, mais traduira aussi le cadre de flexibilité et de modularité voulu pour cette mission.
Par décision du conseil, je suis désigné commandant de la mission et la MPCC en constitue l'état-major de commandement de niveau opératif. Les centres d'activité que j'ai mentionnés seront donc sous mon contrôle opérationnel. À cet effet, sur décision prise le 8 novembre lors d'une conférence de génération de forces, la MPCC sera renforcée, passant d'une équipe de 51 membres actuellement (sur un effectif prévu de 60 personnes avec possibilité de renforts en cas de déclenchement d'opérations) à une équipe de plus de 80 personnes.
Pour éviter les offres d'entraînement redondantes, la MPCC synchronisera les efforts des États membres entre eux et avec ceux de nos partenaires. En particulier, nous échangerons des équipes de liaison avec le centre de coordination mis en place sous commandement américain à Wiesbaden : le Security Assistance Group for Ukraine (SAG-U), qui englobera, sur la base d'une coalition of the willing, l'ensemble des initiatives essentiellement anglo-saxonnes déjà lancées, comme l'opération britannique Interflex, ou celle mise en place par le Canada. J'aurai donc sur place une équipe de liaison, tandis qu'un officier de liaison américain sera présent dans mon état-major, pour fluidifier le dialogue.
Cette mission représente un véritable défi, tant par le volume des forces à entraîner que par son coût financier. Elle introduit un changement d'échelle quant au périmètre de la mission (une formation collective jusqu'au niveau brigade) et sur l'intensité et l'objet (la préparation à des missions de haute intensité) : nous entraînerons des soldats à tuer pour gagner la guerre.
Le coût de fonctionnement du projet EUMAM Ukraine est estimé à 106,7 millions d'euros. Par rapport aux coûts communs habituels, son périmètre a été élargi, par exemple au transport des soldats entraînés. Une mesure d'assistance particulière, dotée dans un premier temps de 16 millions d'euros, viendra en appui de EUMAM pour l'achat du matériel létal nécessaire comme les munitions d'entraînement. Une mesure de 45 millions d'euros couvrira les besoins de fourniture de matériel non létal, indépendamment des mesures d'assistance gérées par la Clearing House Cell.
En conclusion, nous pouvons constater l'apparition d'un changement de paradigme et de mentalité. Il en résulte la demande d'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN, et, de manière plus significative encore, la sortie du Danemark de l' opt-out, qui avait été décidé par crainte d'une concurrence entre l'OTAN et l'Union européenne. La guerre en Ukraine a au contraire démontré leur complémentarité, l'OTAN ayant la charge de la protection du territoire européen (ce qu'il a parfaitement accompli à travers un renforcement notamment des contingents, auquel la France participe avec un nouveau contingent en Roumanie), tandis que l'Union européenne est capable d'agir au-delà de ses frontières.
Jusqu'à présent, l'Union européenne s'en était tenue au soft power. Lors des premières négociations, les Russes avaient dit qu'ils voulaient bien négocier avec les Américains, car ils étaient « carnivores », tandis que les Européens étaient « herbivores ». L'Union européenne est aujourd'hui devenue « omnivore », avec un régime suffisamment équilibré.
Je commande également pour l'Union européenne d'autres missions, notamment au Mali et en République centrafricaine, qui souffrent aujourd'hui des effets collatéraux de la guerre en Ukraine, avec la présence de 1 000 mercenaires Wagner au Mali et 1 500 en République centrafricaine. M. Prigogine a récemment avoué être le fondateur de Wagner. Proche allié de M. Poutine, c'est un homme « sans foi ni loi », ce qui se retrouve dans les actions de Wagner, qui non seulement ne montrent pas leur efficacité sur le terrain, mais sont aussi associées à nombre d'exactions. Au Mali, les forces armées maliennes, accompagnées de « soldats blancs caucasiens ne parlant pas français », sont responsables d'environ 50 % des exactions reportées par les Nations-Unies. En Centrafrique, la proportion est plus élevée encore.
Je suis aujourd'hui très pessimiste sur l'avenir de la mission de l'Union européenne au Mali, les Maliens ayant sans inhibition choisi leurs alliés, qui ne sont pas les nôtres. Nous avons donc mis fin à notre entraînement opérationnel des forces armées maliennes, parce que ne voulons pas être responsables de l'entraînement d'unités qui pourraient ensuite se comporter mal au côté d'autres partenaires. Je réduis donc la mission European Union Training Mission in Mali (EUTM Mali) de 1 200 personnes potentiellement à 300 personnes, centrées sur Bamako, dans l'espoir de maintenir un dialogue ouvert et de poursuivre quelques actions dans le domaine de l'éducation et du conseil. Les conditions sont similaires en République centrafricaine.
Il faut savoir terminer une mission lorsqu'elle n'a plus de sens. En l'occurrence, même si certains États membres y sont attachés pour des raisons historiques, il faut constater que cette mission n'a plus les capacités d'exercer son mandat. Une discussion franche, et non entachée par des considérations politiques, est nécessaire à ce sujet.
Il serait inutile de « s'autoflageller ». Avant d'être l'échec de l'Union européenne, cet arrêt constitue l'échec des autorités maliennes. Les préconditions de succès de la mission n'avaient pas prévu deux coups d'État et l'arrivée de Wagner.
En revanche, un retour d'expérience sur la manière dont nous avons procédé s'impose. À cet égard, il faut en premier lieu souligner que nous n'avions pas la capacité jusqu'à présent de fournir du matériel militaire à nos partenaires, qui se sont donc tournés vers d'autres, qui avaient cette capacité. En deuxième lieu, il s'agissait de missions non exécutives, qui nous empêchaient donc d'accompagner en opération les soldats que nous entraînions. J'ai donc rédigé un nouveau concept de robustesse et d'efficacité des missions militaires, qui permet de mener des missions exécutives d'accompagnement au combat de nos partenaires lorsqu'ils nous le demandent.
Lors des votes des quatre principales résolutions des Nations Unies concernant la condamnation de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le taux d'abstention ou d'absence de nos partenaires africains doit nous interpeller. Le Mozambique, par exemple, qui fait l'objet d'une mission européenne, et constitue, per capita, le troisième pays d'investissement de l'Union européenne au développement, s'est abstenu à chaque vote, alors qu'il deviendra membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies au 1er janvier 2023. Le message envoyé est donc que notre modèle n'est plus le seul à être proposé à ces pays, et qui nous demandent de sortir de notre paternalisme passé pour entrer avec eux dans une relation de partenariat. C'est ainsi que nous envisageons les prochaines missions : au Niger, par exemple, la mission s'appellerait « EU Military Partnership Mission ».