Intervention de Olivier Dussopt

Séance en hémicycle du jeudi 12 janvier 2023 à 9h00
Inciter les entreprises à augmenter les salaires nets de 10 % — Présentation

Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion :

Nous nous retrouvons ce matin pour parler d'un sujet de la plus haute importance pour les Français, celui des salaires, de la rémunération du travail et donc de leur pouvoir d'achat. Ce débat est l'occasion pour nous de revenir aux dispositifs déjà appliqués pour répondre aux difficultés que peuvent rencontrer un grand nombre de nos concitoyens et à notre bilan en matière de soutien au pouvoir d'achat.

L'objet de la proposition de loi, très largement rejetée par la commission des affaires sociales, est d'exonérer de charges les entreprises augmentant d'au moins 10 % l'ensemble des salaires jusqu'à trois fois le Smic. Le Gouvernement est en désaccord avec ce texte et demande à la représentation nationale de le rejeter.

D'abord, il considère que le postulat selon lequel la revalorisation du Smic et les différentes primes mises en place depuis des mois voire des années ne sont pas suffisantes est largement discutable.

En premier lieu, notre système d'indexation du Smic est particulièrement protecteur, pour trois raisons au moins. L'indexation se fait sur l'indice des prix constaté pour les 20 % des Français les plus modestes, pour lesquels l'énergie constitue une des parts les plus importantes des dépenses, ce qui a pour conséquence une surindexation par rapport au niveau général des prix. Ensuite, le Smic est augmenté chaque année de la moitié du gain de pouvoir d'achat des employés et ouvriers et prend ainsi en compte le mouvement de tous les autres salaires, et pas seulement de ceux fixés au niveau du Smic. Enfin, la revalorisation du Smic intervient non seulement de manière automatique tous les 1er janvier, mais également dès que la hausse des prix depuis la dernière revalorisation atteint 2 %.

Contrairement à ce que sous-entendent les auteurs de la proposition de loi, ce mécanisme protège l'ensemble des salariés dont la rémunération se situe autour du Smic, par un effet d'entraînement dû au jeu des grilles salariales et à la diffusion progressive des revalorisations. Entre septembre 2021 et septembre 2022, période de hausse historique du Smic, le salaire de base a ainsi augmenté de 4,4 % pour les ouvriers, de 4,6 % pour les employés et de 2,7 % pour les cadres. Une augmentation plus forte qu'à l'habitude du Smic a un effet sur les niveaux de rémunération les plus proches du Smic beaucoup plus marqué que sur ceux qui en sont le plus éloignés.

Nous avons mis en place d'autres mesures pour soutenir le pouvoir d'achat. Les primes exceptionnelles de pouvoir d'achat ont été remplacées par une prime de partage de la valeur. Les entreprises qui le peuvent sont ainsi en mesure de protéger le pouvoir d'achat de leurs salariés, dans des conditions définies dans le cadre du dialogue social et de manière souple, sans renchérir inutilement le coût du travail.

En 2022, d'après les chiffres portés à notre connaissance, 250 000 entreprises ont d'ores et déjà versé des primes de partage de la valeur, pour un montant total de près de 2,5 milliards d'euros. Ce dispositif a donc, en partie au moins, répondu aux besoins des entreprises et de leurs salariés. J'ajoute qu'exonérer les primes jusqu'à 3 000 euros, c'est laisser la possibilité d'augmenter les salariés largement au-delà des 10 % prévus par votre proposition de loi.

Le dispositif que vous envisagez ne vise en réalité pas les seules classes moyennes mais va bien au-delà. Tout d'abord, vous voulez étendre l'exonération de charges patronales à trois fois le Smic, soit un peu plus de 4 000 euros net par mois, ce qui ne correspond pas au niveau de vie des classes moyennes. En 2020, l'Insee estimait que le salaire mensuel net moyen du neuvième décile, pour un équivalent temps plein dans le secteur privé, tous secteurs confondus, était de 4 030 euros. Le salaire net médian, qui permet d'identifier le cœur de la classe moyenne, se situait à 2 000 euros. Du côté des employés et des ouvriers, le neuvième décile s'établissait autour de 2 500 euros.

Vous prévoyez aussi qu'entre 1 et 1,6 Smic, les exonérations n'augmenteraient que linéairement, si bien que votre dispositif aurait plus d'effet sur les rémunérations comprises entre 1,6 et 3 Smic que sur celles comprises entre 1 et 1,6 Smic.

Une deuxième raison m'amène à considérer que cette proposition de loi ne répond pas aux objectifs affichés : en réalité, les entreprises qui auraient les moyens d'une telle augmentation sont celles qui ont le plus de marge. Dans le contexte actuel, il faut rappeler que ces entreprises ne sont pas celles qui emploient les salariés les moins bien rémunérés, au contraire. Vous citez notamment le rapport de Mme Christine Erhel sur la reconnaissance et la valorisation des travailleurs de la deuxième ligne, qui doivent être accompagnés : or l'essentiel des professions qui constituent ce que l'on a appelé cette deuxième ligne face au covid-19 relèvent des entreprises qui réalisent le moins de marge et qui sont le moins à même, mathématiquement, d'opérer une augmentation de 10 %, à laquelle vous subordonnez le dispositif d'exonération de cotisations. En définitive, votre proposition s'adresse aux employés les mieux rémunérés dans les entreprises qui gagnent le plus d'argent. Je ne crois pas que ce soit l'objectif affiché de ce texte et cela démontre qu'il tape à côté de sa cible.

Enfin, une troisième raison me conduit à réitérer l'avis défavorable du Gouvernement sur votre proposition de loi : nous considérons que la détermination du niveau des salaires relève du dialogue social. Je préside le comité de suivi de la négociation salariale de branches qui réunit, chaque semestre, l'ensemble des organisations syndicales et patronales pour dresser un bilan des négociations salariales dans les 171 principales branches d'activité. Le dernier comité, qui s'est tenu en novembre 2022, a montré que les branches sont en mesure de mener un dialogue social – cela a été le cas à l'occasion des revalorisations successives du Smic –, permettant de garantir non seulement qu'aucune rémunération conventionnelle ne soit inférieure au niveau du Smic, mais également que cette obligation légale s'accompagne d'une revalorisation générale des niveaux de rémunération conventionnelle branche par branche.

À titre d'exemple, du fait des nombreuses revalorisations intervenues dans un contexte inflationniste, 112 branches sur les 171 affichaient au mois de mai 2022 au moins un niveau de rémunération conventionnelle inférieur au Smic : ce nombre est tombé à 57 en décembre 2022. La revalorisation du Smic au 1er janvier a évidemment conduit certaines branches à connaître de nouveau cette situation mais, d'ores et déjà, au sein de celles-ci, le dialogue social est ouvert pour répondre aux obligations légales.

En définitive, comme la commission des affaires sociales l'a rappelé lors de l'examen de ce texte, il n'y a aucune raison de penser que la présente proposition de loi réponde aux objectifs affichés. C'est pourquoi, à l'instar de la commission, le Gouvernement vous invite à la rejeter.

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