Intervention de Arthur Delaporte

Séance en hémicycle du lundi 16 janvier 2023 à 16h00
Aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArthur Delaporte :

« Pendant des années, Madeleine n'a pas imaginé qu'elle était victime parce que tout était insidieux. Il lui offrait des bijoux et des vêtements pour qu'elle présente bien en société. Mais […] Madeleine était entièrement dépendante du bon vouloir financier de son époux. Les insultes, les « mots sales », comme elle les appelle, sont devenues quotidiennes. […] Il gagnait sept fois plus et le lui faisait payer. Pour une viande trop cuite ou un repassage inachevé, son époux pouvait se mettre hors de lui. […] Ce dont elle ne se doutait pas, c'est que la fin du couple ne marque pas la fin des violences. Bien au contraire. Toute la perversité du contrôle conjugal se révèle à partir du moment où la femme décide de partir. […] Elle ne pouvait prétendre aux allocations de Pôle Emploi, ni à l'aide juridictionnelle. Son ex-mari, adepte des montages financiers, lui avait laissé des dettes colossales. Le piège se refermait sur elle, comme autant de grenades prêtes à être dégoupillées depuis longtemps. » Ces mots, ce sont ceux de Laurène Daycard, qui raconte l'histoire de Magalie dans Nos absentes. À l'origine des féminicides.

Cent quarante-sept : c'est le nombre de féminicides pour l'année 2022. Cent quarante-sept vies fauchées par le partenaire, le conjoint, l'ex-ami, l'amant. Années après années, ces chiffres restent effroyablement stables : pas moins de 143 femmes avaient été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2017 ; elles étaient 153 en 2019 et 113 en 2021. Tant que le système de violences ne sera pas détruit, les femmes ne connaîtront aucun répit. Ne soyons pas aveugles : la responsabilité est collective. Existe-t-il un seul milieu épargné par ces violences ? Tous connaissent leur lot de violences, et celles faites aux femmes en font malheureusement partie. Pas moins de 225 000 femmes victimes de violences conjugales chaque année, ce sont autant de traumatismes, d'instants à reconstruire, de parcours de vie si bousculés que les traces en resteront indélébiles.

À la violence physique s'ajoute la violence économique. En effet, un quart des femmes victimes de violences conjugales sont également victimes de violences économiques. La proposition de loi ne résoudra pas à elle seule ce phénomène – j'y reviendrai –, mais elle a le mérite de s'attaquer à la dépendance économique, frein encore trop ignoré dans l'imaginaire collectif, afin d'extraire dans l'urgence les victimes – très majoritairement des femmes – de la spirale des violences conjugales. En effet, comment quitter le foyer où réside un conjoint violent lorsque les ressources dont on dispose ne suffisent pas pour se mettre à l'abri ? C'est à cette situation que le texte que nous examinons aujourd'hui entend répondre. Par peur de manquer, de ne pouvoir se nourrir, se loger ou répondre aux besoins de leurs enfants, beaucoup de femmes subissent en silence.

La proposition de loi de Valérie Létard – dont je salue le travail –, adoptée à l'unanimité au Sénat, est issue d'une expérimentation menée dans le département du Nord. Nous ne disposons pas encore de résultats permettant d'évaluer son efficacité. Si le dispositif qu'elle propose, qui permet à l'État d'apporter une protection économique temporaire aux femmes, est insuffisant – cela a déjà été souligné –, il offre tout de même une respiration dans un moment de survie. Je salue donc l'esprit de consensus qui a régné parmi les parlementaires républicains, notamment chez mes collègues Prisca Thevenot et Sandrine Rousseau, ainsi que Mme la rapporteure Béatrice Descamps, en lien constant avec Valérie Létard, pour faire avancer une cause que nous voulons tous, sur tous les bancs, rendre prioritaire. Le groupe Socialistes et apparentés salue également l'esprit d'ouverture qui se dégage des amendements du Gouvernement : si nous avons quelques interrogations à leur sujet, nous sommes sûrs que nous obtiendrons des réponses lors de nos débats.

Pour notre part, nous souhaitons étendre la possibilité de déclencher cette aide lorsqu'un ou plusieurs enfants sont victimes de violences intrafamiliales, comme c'est le cas de 80 000 d'entre eux chaque année – beaucoup, d'ailleurs, en raison de violences exercées par les hommes. En commission, et dans le prolongement des travaux menés par ma collègue Isabelle Santiago, nous avons d'ailleurs modifié le titre de la proposition de loi en ce sens. Par ailleurs, nous regrettons la suppression du caractère universel de l'aide – certains de nos amendements porteront sur ce point –, et veillerons à ce que cela n'atténue pas les effets du dispositif. Nous ne souhaitons pas non plus conditionner l'aide à la preuve de la régularité du séjour en France.

Cette proposition de loi n'est qu'une étape de plus vers une véritable politique de lutte contre les violences faites aux femmes, qui passera, à tout le moins, par la dotation d'un budget de 1 milliard d'euros afin de développer davantage l'hébergement d'urgence – dotation refusée par le Gouvernement.

Pour que la liberté renverse l'asservissement, ne laissons plus aucun moment, aucun hasard, aucune chance à la dépendance financière. Participons à l'éradication des violences et à la reconstruction des vies abîmées. C'est le sens de notre engagement politique : soyons à la hauteur.

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