Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du mardi 17 janvier 2023 à 15h00
Moratoire sur l'exploitation minière des fonds marins — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

Cette proposition de résolution revêt une importance particulière en ce qu'elle vise à protéger ce que nous ne voyons pas et, partant, ce à quoi nous sommes certainement les moins sensibilisés : les grands oubliés que sont les fonds marins. Car ce qui échappe à nos yeux n'échappe pas aux conséquences de nos actions. C'est ainsi que les espaces maritimes se retrouvent victimes de la pollution humaine, alors qu'ils sont indispensables à la durabilité de la vie. De ces derniers, dépend en effet la moitié de l'oxygène que nous respirons. Plus encore, ils constituent des puits naturels qui absorbent environ 30 % de nos émissions de dioxyde de carbone.

Les activités humaines s'y développent massivement, qu'il s'agisse du transport maritime – qui est en croissance continue –, du tourisme, de la surpêche, des forages marins, de l'exploitation pétrolière offshore, des éoliennes en mer, des usines de désalinisation, ou des câbles sous-marins. Toutes ces activités renforcent une accélération bleue. En effet, les besoins croissants en protéines alimentaires, en sable, en gravier, en pétrole, en gaz et en métaux rares conduisent à une exploitation croissante du milieu océanique et donc à une diminution continue de la biodiversité et à un accroissement de la pollution sonore, organique, chimique et plastique.

À mesure que les couches hautes de l'océan sont épuisées, la prédation sous toutes ses formes tend à exploiter les strates de plus en plus profondes. Et c'est dans le cadre de cette accélération bleue que se précise la menace d'une exploitation explosive des grands fonds. Ces derniers sont, pour l'heure, des milieux largement inexplorés et manifestement fragiles. Comme le rappelle cette proposition de résolution, notre connaissance des fonds marins est très limitée et nous ne savons rien des conséquences que pourrait engendrer leur exploitation. Or nous ne pouvons plus nous permettre d'agir à l'aveugle. Nous avons pollué dans une insouciance absolue pendant un siècle et nous subissons maintenant les conséquences de la dégradation de notre air, de nos sols, de la surface des océans et même de l'espace le plus proche.

La France, qui dispose du deuxième domaine maritime au monde, se doit de s'impliquer sur les sujets maritimes. Notre responsabilité est immense et notre exemplarité impérative. Certaines entreprises disposent déjà de machines capables d'extraire des minerais à des milliers de mètres de profondeur et, si les premières exploitations sont concluantes et qu'une perspective de rentabilité se dessine, leur nombre explosera – n'en doutons pas.

Le temps presse. En 2021, face à l'absence de réglementation et de procédures internationales, deux années ont été données à l'Autorité internationale des fonds marins pour définir un cadre d'action – délai bien sûr insuffisant pour évaluer les potentielles répercussions environnementales d'une exploitation minière. C'est face à ce constat que la présente proposition de résolution prend tout son sens : elle vise à s'octroyer un temps d'évaluation supplémentaire et à inciter le reste du monde à faire de même. Car si le temps presse, ce texte n'arrive pas trop tard. Nous disposons en effet encore d'une marge d'action préventive, ce qui, en matière environnementale, est un luxe. De nombreuses organisations internationales ainsi que plusieurs États se sont déjà prononcés en faveur d'un moratoire sur l'exploitation minière des fonds marins. À deux reprises, à Lisbonne et à Charm el-Cheikh, le Président de la République a également fait part de sa volonté d'inscrire la France dans cette démarche. Aussi est-il impératif, comme le demande la proposition de résolution, que la France veille à ce que l'Autorité internationale des fonds marins s'impose comme une réelle protection des milieux dont elle a la charge.

Ce texte nous invite aussi à conduire une réflexion globale. Alors que nous avons déjà considérablement épuisé le milieu terrestre et largement attaqué le milieu marin superficiel, voilà que nous nous attaquons aux grandes profondeurs. Mais quelle solution existera quand ce dernier aura, à son tour, été épuisé ?

Je pose cette question, en même temps que je m'interroge sur le développement durable : s'agit-il d'un concept réel ou d'un oxymore ? Nous étions 2,5 milliards d'individus en 1950, 6 milliards en 2000 : nous sommes désormais 8,045 milliards, sachant que, selon les prévisions, la population mondiale devrait encore croître de plusieurs milliards de personnes dans un milieu qui, lui, s'appauvrit chaque jour en terres arables, en eau et en énergies non renouvelables. C'est ce panorama, cette prise de conscience inquiétante mais réaliste qui doit désormais nous guider.

Pour revenir au sujet qui nous occupe, tout semble réuni pour l'adoption de cette proposition de résolution qui, d'une part, marquerait une étape décisive dans l'élaboration d'une protection des fonds marins français et, d'autre part, lancerait la poursuite d'une diplomatie volontariste. Vous l'aurez donc compris, c'est tout naturellement que le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires soutiendra ce texte.

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