Intervention de Colonel Romain Desjars de Keranrouë

Réunion du mercredi 30 novembre 2022 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Colonel Romain Desjars de Keranrouë, cellule stratégie politique de l'état-major de l'armée de l'Air et de l'espace :

Clausewitz disait que « La guerre est un caméléon ». Comme mon camarade de l'armée de terre, je ne suis pas certain qu'elle ait changé de nature. En revanche, elle a peut-être changé d'échelle, ce qui doit nous conduire à réinventer nos modes d'action.

L'absence d'engagements aériens a été plusieurs fois évoquée. L'armée de l'air ukrainienne a perdu 50 % de ses avions, pour l'essentiel au sol – comme c'est toujours le cas. On perd très peu d'avions pendant des engagements aériens : ils sont majoritairement détruits au sol, du fait d'attaques des bases par des missiles de croisière ou des drones par exemple.

Les Russes n'ont pas recherché la supériorité aérienne car cela ne correspond pas à leur doctrine. Pour eux, l'armée de l'air a une mission d'appui des forces terrestres. Les armées de l'air occidentales sont des armées à part entière, qui ne sont pas subordonnées à une autre. Chez eux, c'est un général de l'armée de terre qui a été nommé à la tête des forces aérospatiales russes en 2017.Il faut comprendre que les armées de l'air occidentales sortent de plus de cinquante années non pas de supériorité, mais de suprématie aérienne. Il n'y avait personne en face ! En Ukraine, deux armées de l'air s'affrontent, même si elles ne sont pas de la même taille ; des engagements aériens ont eu lieu et cela continue. Dans une telle situation, il faut s'attacher à créer ce que le chef d'état-major des armées appelle des fenêtres locales et temporaires, qui permettent, par une concentration des moyens – on retrouve les grands principes de Foch – de casser la volonté de l'adversaire et de s'engouffrer dans la brèche. Nous sommes désormais dans un monde où la supériorité aérienne devra être conquise et où tout ce qui ne sera pas protégé sera contesté.

Prise isolément, une défense sol-air, quelles que soient ses capacités, ne peut pas faire grand-chose. Elle doit être combinée avec l'aviation. Or l'aviation ukrainienne n'est malheureusement plus en mesure de contrer les bombardiers russes qui opèrent à très longue distance. Et ces moyens aériens doivent encore être combinés avec d'autres, dans les domaines cyber, électromagnétique et de l'information par exemple. Tout cela s'associe dans un système de commandement et de contrôle (C2) centralisé, afin d'obtenir un système de combat connecté, redondant et résilient.

En ce qui concerne les forces morales, il faudra s'inspirer de l'exemple donné par les aviateurs ukrainiens. Ils ont fait preuve d'agilité, en changeant régulièrement de terrain, ils ont appliqué le principe de subsidiarité, en faisant confiance à leurs subordonnés, et ils ont développé l'innovation, avec par exemple l'emploi du drone TB2 et l'intégration en trois semaines du missile antiradar AGM-88 américain sur des MIG-29.

La capacité à innover avait également joué un très grand rôle au cours de la première guerre mondiale ainsi que lors de la deuxième.

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