Intervention de Laurent Ridel

Réunion du jeudi 12 janvier 2023 à 9h35
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Laurent Ridel, directeur de l'administration pénitentiaire :

Le drame qui s'est produit nous amène à affirmer que le dispositif de surveillance de ces salles d'activité a conduit à l'échec. Un échec qui se traduit par la mort d'un homme est insupportable. Le dispositif n'était pas suffisamment efficient, même si par ailleurs aucun élément relevant un antagonisme ou une volonté de violence de Franck Elong Abé n'avait été remonté, ce qui avait conduit à une forme de banalisation de la surveillance. Cette carence doit être corrigée.

Sauf à mettre un ou plusieurs surveillants derrière chaque détenu, il est compliqué d'aboutir à l'obligation de résultats dont je parlais tout à l'heure. La maison d'Arles est loin de connaître le surencombrement qui existe dans les maisons d'arrêt. Nous essayons de faire que le taux de couverture soit le plus satisfaisant possible. La maison centrale d'Arles compte 148 surveillants, mais seuls une vingtaine d'entre eux sont au contact des détenus, dans des lieux relativement éclatés.

J'ai donné des instructions pour que le dispositif de vidéosurveillance soit plus efficace, mais il ne saurait garantir une sécurité absolue. Ce n'est pas le cas à l'extérieur, et ce n'est pas non plus le cas au sein des établissements pénitentiaires. Un surveillant en centre de détention dans un poste d'information et de contrôle (PIC) doit réaliser une levée de doute avec vérification d'identité toutes les dix secondes. Il doit également surveiller une cinquantaine de caméras, avec des images qui changent toutes les quatre à cinq secondes, et s'occuper des appels téléphoniques et des appels de détenus, ce qui est assez compliqué.

Les six recommandations s'adressant au chef d'établissement d'Arles ont été mises en œuvre. Elles concernent la rédaction d'une fiche de poste beaucoup plus précise, notamment en matière de fréquence de passage dans les salles d'activité ; la complémentarité effective entre la surveillance de ces salles et l'agent qui se trouve en PIC dans le poste protégé ; la mise en place d'un dispositif de formation aux équipements placées dans les postes protégés.

Le dispositif de lutte contre la radicalisation mis en place par la France, qui s'appuie sur l'expérience et sur des comparaisons internationales, est un dispositif équilibré. Se gardant de toute naïveté, il repose néanmoins sr l'espoir que les gens peuvent changer un jour. Il est fondé sur un triptyque : repérer la personne radicalisée, l'évaluer, la prendre en charge. Notre capacité à évaluer est largement suffisante pour les détenus terroristes et les détenus radicalisés, 250 personnes pouvant être évaluées chaque année. Le point faible concernait les femmes ; il a été corrigé.

Les deux risques pouvant être identifiés sont le passage à l'acte violent et le prosélytisme. Si l'on estime qu'ils sont gérables en détention classique, avec des mesures adaptées, nous pratiquons une forme de dissémination. Si le risque est avéré mais qu'il existe une possibilité d'évolution, le détenu est placé en quartier de prise en charge de la radicalisation. Nous disposons à ce titre de 225 places, ce qui est suffisant pour prendre en charge les publics actuellement concernés. Le troisième axe est la prise en charge uniquement sécuritaire, lorsque nous estimons que le risque est trop élevé, comme mes prédécesseurs l'ont pensé de Franck Elong Abé en 2019. Il s'agit là du quartier d'isolement.

Les prisons françaises ont accueilli au moins 1 000 terroristes islamistes, avec un pic de 540 terroristes en 2020. Nous en avons actuellement 415, dont 90 femmes. Nous suivons également 550 détenus de droit commun pour radicalisation.

Je suis très attaché à une démarche anglo-saxonne d'évaluation. Le pire aurait été de ne rien faire depuis 2015. Avant même que le rapport de l'inspection ne le recommande, j'avais demandé qu'une évaluation soit pratiquée par des universitaires, des chercheurs. Cette évaluation est en cours. Les premiers résultats seront publiés fin 2023. Depuis, la Première ministre a demandé une nouvelle évaluation, qui sera conduite par l'Inspection générale de la justice.

Concernant Franck Elong Abé, le défi concerne également sa sortie de détention. Actuellement, 220 terroristes sont suivis en milieu ouvert, dans le cadre de dispositifs très précis. Nous comptons également 290 probationnaires se trouvant dans la sphère de la radicalisation.

Nous avons parfaitement conscience du fait que la prison peut être un lieu de radicalisation. Toutefois, ce n'est pas le seul. À ma demande, nous avons réalisé l'année dernière une évaluation des 400 personnes qui étaient passées en QER à l'époque. Il apparaît que 80 % de ces personnes n'avaient jamais été en détention avant de commettre un acte terroriste. Il ne s'agit pas du tout de banaliser la prison, qui peut être un lieu de sur-radicalisation, car il est possible de s'y constituer un portefeuille de gens très connus et dangereux ; mais il existe beaucoup d'autres lieux de radicalisation : clubs sportifs, lieux de culte, associations, Internet.

Depuis quelque temps, nous percevons un lien plus prégnant entre une certaine forme de radicalisation et un déséquilibre psychique, ce qu'attestent, dans le cas de Franck Elong Abé, les expertises psychiatriques pratiquées dans le cadre judiciaire.

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