Intervention de Laurence Boone

Réunion du mercredi 11 janvier 2023 à 13h30
Commission des affaires européennes

Laurence Boone, Secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe :

Permettez-moi de vous souhaiter, à mon tour, une excellente année 2023. Nous aurons de nombreux défis à relever, et j'espère que nous serons collectivement à la hauteur. Je souhaite plus d'intégration européenne, une Europe plus forte, une Europe plus solidaire et une Europe plus résiliente.

Je pense, comme beaucoup d'entre vous, qu'il est important d'insister sur la solidarité. Vous l'avez dit, monsieur le président, elle s'est déployée tout au long de la guerre en Ukraine, et elle devra se poursuivre face à la situation énergétique, à l' Inflation Reduction Act et à toutes les tentatives de déstabilisation que l'on peut observer aux frontières de l'Union européenne.

La guerre en Ukraine était au sommet de l'ordre du jour du Conseil européen qui s'est tenu les 15 et 16 décembre 2022, avec la situation énergétique, la situation économique, les questions de sécurité et de défense, ainsi que le renforcement de notre politique industrielle, qui est une réaction à l'IRA, mais pas uniquement. Un débat stratégique s'est également tenu sur le voisinage sud et l'octroi du statut de candidat à l'adhésion à la Bosnie-Herzégovine, un autre sujet important.

Le Conseil européen a débloqué un soutien macrofinancier de 18 milliards d'euros en faveur de l'Ukraine pour 2023. Cette aide est destinée à couvrir les besoins structurels du pays et à le soutenir pendant la période de guerre, ce qui demeure une priorité pour l'Europe. Je salue l'engagement constant de votre commission, qui s'est notamment traduit par l'adoption de la proposition de résolution affirmant le soutien de l'Assemblée nationale à l'Ukraine et condamnant la guerre menée par la Fédération de Russie. Le vote par la représentation nationale de ce texte, à la quasi-unanimité, a affirmé de façon très forte la solidarité de la nation française avec le peuple ukrainien. Par ailleurs, vous avez été nombreux à le dire au cours du débat, l'Ukraine est une cible parce qu'elle croit en la démocratie libérale, respectueuse de l'individu, des minorités et des droits fondamentaux – elle partage toutes nos valeurs européennes.

L'adoption des conclusions du Conseil européen a permis de réaliser des premiers versements à l'Ukraine dès le mois de janvier. Face à la pression exercée par la Russie, il était également essentiel de rappeler l'unité de l'ensemble des pays de l'Union européenne et la pression que nous continuerons d'exercer en retour. Tel était l'objet de l'adoption du neuvième paquet de sanctions, lesquelles se durcissent à chaque fois.

Parmi les autres temps forts du dernier Conseil européen, on peut citer le principe du plafonnement des prix, le price cap, sur le transport de pétrole russe vers les pays tiers, qui est désormais à l'œuvre, les accords concernant l'énergie, sur lesquels je reviendrai, mais aussi l'accord unanime sur le renforcement du dialogue avec les États tiers qui tenteraient ou seraient tentés de contourner les sanctions.

Un accord est également intervenu au sujet de l'augmentation du plafond de la Facilité européenne pour la paix, de 2 milliards d'euros. Nous irons ainsi largement au-delà du plafond initial, qui était de 5 milliards, ce qui permettra de poursuivre notre soutien militaire à l'Ukraine et de préserver les ambitions plus globales de cet instrument, qui n'est pas uniquement dédié à l'Ukraine mais aussi aux interventions extérieures de l'Union européenne.

À cela s'ajoute un fort engagement à aider les Ukrainiens à passer l'hiver. Tel était l'objet de la conférence « Solidaires du peuple ukrainien », organisée le 13 décembre à Paris par les présidents Zelensky et Macron. Cette conférence a été un franc succès, puisque plus de 1 milliard d'euros de contributions ont été mobilisés pour apporter un soutien d'urgence, dont 125 millions venant de la France. Cela concerne des générateurs, qui permettront aux Ukrainiens de passer l'hiver, les infrastructures énergétiques étant régulièrement visées par l'armée russe, et des choses aussi simples que des ampoules électriques.

S'agissant de l'énergie, le Conseil européen a donné l'impulsion politique nécessaire pour que le Conseil Énergie du 19 décembre aboutisse à l'adoption d'un mécanisme autorisant, sous certaines conditions, le plafonnement des prix du gaz sur le marché. Ce mécanisme est exceptionnel et temporaire, mais il est central car il sape la spéculation sur le marché de l'énergie, qui fait monter les prix.

Deux autres textes ont été adoptés par le Conseil Énergie, qui accéléreront les procédures relatives au développement des énergies renouvelables au sein de l'Union européenne ainsi que la mise en place de la plateforme d'achats conjoints de gaz naturel. Grâce à la force de levier des 500 millions de consommateurs de l'Union européenne, nous pourrons faire baisser les prix.

Ces mesures s'inscrivent dans la continuité de toutes celles prises depuis le début de la guerre. Trois règlements ont ainsi été adoptés depuis le printemps pour renforcer à la fois l'indépendance et la souveraineté énergétiques de l'ensemble de l'Union européenne. Il s'agit de mettre fin à notre dépendance énergétique à l'égard de la Russie et plus largement à l'égard des énergies fossiles. Nous insistons à chaque fois sur l'importance de réduire la consommation – c'est aussi la meilleure façon de faire baisser les prix – et d'augmenter la production d'énergie décarbonée.

Le Conseil européen a joué un rôle décisif pour conclure les discussions en cours et pour clarifier le cap à tenir en vue de l'hiver prochain, car nous ne pouvons pas tabler sur le fait que la guerre sera terminée ; nous devons donc, dès à présent, anticiper au mieux les difficultés que nous pourrions rencontrer l'hiver prochain, à la fois en matière de prix et d'approvisionnement. Cela inclut notamment la réforme du marché de l'électricité, que vous avez évoquée, monsieur le président.

Vous avez également parlé de l'IRA et des relations transatlantiques. Des discussions ont commencé. Le Conseil européen s'est notamment accordé sur la nécessité d'une nouvelle réunion les 9 et 10 février sur le thème de l'IRA, ainsi que sur celui des migrations.

Au-delà des échanges entre l'Union européenne et les États-Unis, mais aussi des discussions qui ont eu lieu lors de la visite du Président de la République, le plus important est de renforcer la stratégie et la politique industrielles de l'Union européenne. Dans le contexte actuel de guerre, l'Union s'affirme comme beaucoup plus puissante. Elle doit le faire non seulement face à la Russie, d'un point de vue militaire, financier et humanitaire, mais également dans sa stratégie industrielle, pour devenir encore plus compétitive, plus attractive économiquement, dans l'intérêt de nos emplois, et plus solide face aux distorsions de concurrence qui menacent nos industries et notre capacité à assurer la transition énergétique. Les chefs d'État et de gouvernement ont demandé à la Commission de présenter, les 9 et 10 février, une stratégie complète pour répondre à ces défis de la façon la plus ambitieuse possible.

À ce stade – des ajustements auront lieu –, la France et l'Allemagne demandent à la Commission d'adapter le cadre relatif aux aides d'État afin d'autoriser un soutien ciblé à certains secteurs, notamment les secteurs clés pour la transition verte – le photovoltaïque, l'éolien, l'hydrogène et les pompes à chaleur –, et d'accélérer et de simplifier les procédures d'approbation des projets financés par l'Union et de ceux pour lesquels de larges aides d'État sont autorisées, tels que les PIIEC – projets importants d'intérêt européen commun.

Il nous faut trouver des réponses entre Européens. Il ne s'agit pas de se livrer à une guerre économique ou de fragmenter le marché unique : nous devons absolument sortir plus forts, tous ensemble, de cette crise, qui est notamment énergétique. Dans ce domaine, nous voulons assurer notre sécurité au meilleur prix et sur le plan européen. La solidarité est essentielle, on l'a vu cet hiver, à la fois pour nous, quand nous importions de l'électricité, ce qui n'est désormais plus le cas, mais aussi pour nos voisins, à qui nous avons exporté du gaz. Ceux qui réclament de faire de la France un îlot électrique font un premier pas en direction d'un Frexit. Prenons garde à ces brèches dans la solidarité européenne. À l'inverse, il était important d'adopter, comme vous l'avez fait hier, le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Je saisis cette occasion pour vous en remercier.

Au fil des crises successives et de la guerre en cours, de nouvelles réalités se présentent à nous dans un environnement virtuel hautement instable. Cela nous impose non seulement de prendre en compte les implications stratégiques d'une véritable confrontation qui dépasse le monde physique mais aussi les menaces qui pèsent sur nos infrastructures essentielles et nos institutions démocratiques, touchées par les fausses nouvelles et la désinformation. Cet enjeu est au cœur de plusieurs textes qui sont sur le point d'aboutir dans le cadre de la politique européenne de cyberdéfense. Leur adoption est envisagée sous forme de conclusions du Conseil Affaires étrangères, en mai-juin 2023. Grâce à ces outils, nous voulons que l'Union atteigne un niveau renforcé de cybersécurité et de résilience de ses infrastructures. C'est crucial à cette étape géopolitique. Par ailleurs, le conseil Justice et affaires intérieures qui s'est tenu les 8 et 9 décembre 2022 a adopté une recommandation visant à intensifier le soutien de l'Union européenne au renforcement de la résilience des infrastructures critiques et à s'assurer d'une bonne coordination européenne en matière de préparation et de réaction.

Les chefs d'État et de gouvernement se sont également penchés sur les relations avec notre voisinage méridional, essentielles pour la plupart des pays de l'Union européenne, en préparation du sommet dédié au voisinage sud qui est prévu pendant la présidence espagnole du Conseil, au deuxième semestre 2023. Vous savez à quel point le soutien à la prospérité et à la stabilité de cette région, comme de l'ensemble de notre voisinage, compte pour la France et pour l'ensemble de l'Union européenne. Nous proposerons un agenda positif incluant des projets relatifs aux défis partagés, notamment la sécurité alimentaire et énergétique, à l'image de ce qui a été fait pour les Balkans l'année dernière.

Cela m'amène, tout naturellement, aux Balkans occidentaux et à la Bosnie-Herzégovine. Le Conseil européen a endossé les conclusions du Conseil sur l'élargissement, adoptées le 13 décembre dernier, et marqué son accord à l'octroi à la Bosnie-Herzégovine du statut de pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne. Dans le contexte géopolitique actuel, marqué par l'offensive militaire de la Russie et ses ingérences déstabilisatrices très fortes dans toute la région, accorder ce statut revenait à donner de la chair au rapprochement, que nous considérons comme important, entre l'Union européenne et les Balkans. Octroyer à la Bosnie-Herzégovine le statut de pays candidat à l'adhésion est à la fois un témoignage positif et une incitation pour ce pays à produire des efforts de réforme pour se rapprocher de l'Europe, particulièrement en matière d'État de droit. La croisade pour l'État de droit dans les pays de notre voisinage est essentielle pour nous ; pour le peuple de Bosnie-Herzégovine, c'est la promesse d'un avenir commun de paix, d'unité et de prospérité.

L'ordre du jour du Conseil européen était exceptionnellement chargé. Il reflétait aussi notre volonté toujours très forte de faire face ensemble – j'insiste sur ce terme car, chaque fois, au-delà des sujets de long terme, plus structurants, qui font notre unité, il y a eu un consensus sur les conséquences de l'agression russe contre l'Ukraine.

J'en viens à la Hongrie et à la mise en œuvre, pour la première fois, du mécanisme de conditionnalité des fonds européens. La Commission et les États membres ont déployé une action concertée, qui se poursuivra, face aux atteintes à l'État de droit partout dans l'Union européenne. S'agissant de la Hongrie, une action particulière a été engagée par la Commission parce que les risques d'atteinte aux intérêts financiers de l'Union, et donc du contribuable européen, étaient particulièrement élevés. Ces risques ont été identifiés, documentés, analysés, et ils ont conduit la Commission à actionner pour la première fois le mécanisme de conditionnalité. Nous pouvons nous réjouir que ce mécanisme ait porté ses fruits, la Hongrie ayant donné des gages concrets : elle s'est engagée à mener des réformes pour lutter contre la corruption. Toutefois, la Commission et les États membres ne sont pas naïfs : si les promesses et les textes comptent, leur mise en œuvre aussi. C'est pourquoi l'application du mécanisme se poursuit. La Hongrie devra continuer de progresser dans la mise en œuvre de ses engagements. Il faut saluer, par ailleurs, le dialogue ferme et respectueux qui est mené par la Commission avec Budapest, sans jamais se départir du haut degré d'exigence que nous avons pour nos valeurs européennes.

Je tiens aussi à dire quelques mots de la Communauté politique européenne, une initiative de la France que nous avons déjà évoquée à plusieurs reprises au sein de votre commission. Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir organisé une table ronde sur ce sujet, en présence de l'Ambassadeur Pierre Vimont et de plusieurs experts. Il faut faire vivre ce projet, et les idées du Parlement sont extrêmement utiles pour le concrétiser. La CPE ne se substitue à aucune des structures du continent européen ; elle vise, au contraire, à les compléter. La prochaine réunion aura lieu en Moldavie, au mois de juin. C'est, là encore, un signe important vis-à-vis de la Russie.

La diplomatie parlementaire est essentielle, non seulement pour ce projet mais aussi plus largement pour la défense des positions françaises en faveur d'une Europe plus forte, plus intégrée, plus souveraine et plus démocratique. Je pense en particulier à la Cosac, la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, qui revêt une grande importance et où la France exerce une grande influence. Il faut continuer à l'utiliser pour faire avancer l'Europe et le débat démocratique. Je pense aussi, madame Klinkert, à l'Assemblée parlementaire franco-allemande : ses travaux sont cruciaux pour mieux appréhender les défis communs, particulièrement dans la perspective du prochain Conseil des ministres franco-allemands (CMFA), qui se tiendra le 22 janvier 2023. Je pense également à tous les groupes d'amitié parlementaires, dont je salue la constitution, au mois de décembre. Soyez assurés que je reste à votre disposition et que je continuerai d'associer les députés nationaux et européens à tous mes déplacements, comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire.

En conclusion, je rappelle que Charles Michel a décidé de convoquer un Sommet extraordinaire des chefs d'État et de gouvernement les 9 et 10 février 2023, pour traiter de deux sujets principaux : les questions migratoires et la politique industrielle européenne dans le contexte de la concurrence exercée par la Chine, mais aussi de l'adoption de l'IRA par les États-Unis. Face à ces enjeux et aux menaces à l'encontre de nos valeurs, il est indispensable que les chefs d'État et de gouvernement donnent rapidement des impulsions décisives. S'agissant de l'IRA, cette réunion sera préparée sur la base des propositions de la Commission mais également de toutes les bonnes idées qui pourraient être les vôtres.

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