Intervention de Marcellin Nadeau

Séance en hémicycle du mercredi 25 janvier 2023 à 15h00
Accord france-pays-bas — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarcellin Nadeau :

Le groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES votera en faveur de la ratification de l'accord de coopération militaire dans les Caraïbes et en Amérique du Sud, signé le 25 juin 2021 à Paris entre les ministres des armées de France et des Pays-Bas, et qui couvre l'ensemble des îles françaises de la Caraïbe – Saint-Martin, Saint-Barthélemy, mon territoire de la Martinique et la Guadeloupe – ainsi que les États autonomes dépendant du royaume des Pays-Bas – à savoir Sint Maarten, Saba, Bonaire, Saint-Eustache, Curaçao et Aruba.

Si nos deux pays sont frontaliers dans la Caraïbe, nous n'avons que peu d'échanges en dehors de l'accord relatif aux échanges d'informations protégées et classifiées du 28 juillet 1992 et de l'accord intergouvernemental relatif au séjour des forces néerlandaises en France – qui n'est pas réciproque – signé le 16 septembre 1988 et modifié les 13 et 25 septembre 2000. Ces accords sont d'ailleurs, vous en conviendrez, purement techniques et limités ; seul l'accord d'Eindhoven du 6 mai 2019 prévoit une coopération entre les territoires ultramarins de la zone Caraïbe. Il manquait un souffle, une ambition, une véritable analyse des enjeux communs.

Bien que les relations de nos deux États dans la Caraïbe soient anciennes et remontent à un accord de 1648, qui prévoyait un droit de poursuite des corsaires, les statuts institutionnels n'ont évolué que depuis une quinzaine d'années : c'est regrettable, et nous en avons d'ailleurs fait l'amère expérience lors du cyclone Irma, qui a ravagé Saint-Martin et révélé l'inanité de la coopération franco-hollandaise dans la zone Caraïbe.

Alors, qu'est-ce qui a fait évoluer le paradigme ? Le 15 juillet 2007, Saint-Martin, commune de Guadeloupe, est devenue une collectivité d'outre-mer à part entière, régie par l'article 74 de la Constitution, et reconnue comme région ultrapériphérique par Bruxelles. Le 10 octobre 2010, Sint Maarten, dépendant de La Haye, est devenu l'un des quatre États autonomes du royaume néerlandais : il dispose depuis d'un parlement distinct et s'est vu reconnaître le statut de pays et territoire d'outre-mer par l'Union européenne.

Cette double évolution institutionnelle a rendu nécessaire l'amélioration et l'organisation de la coopération dans cette zone au vu des enjeux qui y existent. Jusqu'ici, la coopération y était en effet, au mieux balbutiante, au pire inexistante – et je le répète, cela s'est vu à l'occasion d'une catastrophe naturelle aux conséquences dramatiques : le passage de l'ouragan Irma en septembre 2017. En l'absence d'accords préalables comme celui que nous nous apprêtons à adopter, les Français n'ont pas pu accoster ou atterrir en zone néerlandaise, ce qui a évidemment retardé les secours de plusieurs jours et occasionné de gros problèmes de sécurité.

Nous avons donc besoin d'améliorer la coopération et d'homogénéiser les normes et le droit dans la zone Caraïbe. J'en profite pour vous demander officiellement d'accélérer les négociations sur l'accord avec les Pays-Bas visant à définir précisément la frontière de l'île de Saint-Martin et la gestion du lagon de Simpson Bay, car cela est nécessaire.

Le Brexit a également rebattu les cartes : Sainte-Lucie, la Dominique, Trinidad ou la Barbade regardent en effet désormais de plus en plus vers l'Union européenne et se démarquent de la Couronne britannique. Il est donc nécessaire d'amplifier notre coopération dans la Caraïbe, tout en gardant à l'esprit les propos tenus la semaine dernière par le Président de la République au sujet de la nécessité pour nos armées de se préparer à une démultiplication de potentiels conflits liés au dérèglement climatique. Les territoires visés par l'accord y sont en effet très exposés.

Mais la question ne s'arrête pas là : avec près de 3 600 militaires français dans la Caraïbe et en Guyane, et près de 900 militaires hollandais, la coopération bilatérale s'impose pour mieux lutter contre la corruption et le narcotrafic qui passe par la Caraïbe, puisqu'elle offre aux États européens concernés par l'accord les moyens d'intervenir tout en clarifiant leurs zones d'intervention. L'opération Corymbe, qui lutte contre les trafics illicites de stupéfiants dans le golfe de Guinée depuis 1990, devrait ainsi pouvoir être transposée dans la Caraïbe.

Les chantiers sont donc nombreux, mais il semble nécessaire de mieux impliquer les structures représentatives locales aux décisions. La coopération régionale émanant des collectivités d'outre-mer, Guadeloupe, Martinique ou Guyane, doit être intensifiée et facilitée : sur ce sujet comme sur bien d'autres, les élus locaux veulent en effet que leur avis soit mieux pris en considération et souhaitent être davantage impliqués dans les négociations diplomatiques. Par exemple, sur l'île de Saint-Martin, c'est un même peuple qui vit de part et d'autre de la frontière. Depuis 2014, la collectivité de Saint-Martin défend donc un projet de structure institutionnelle, baptisée Congrès uni de Saint-Martin, qui regrouperait le gouvernement de Sint Maarten et la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin pour des échanges ponctuels. Pour l'instant, ni Paris, ni La Haye n'ont donné suite à ce projet de coopération structurelle, et nous le regrettons profondément. En Guyane aussi, il y a urgence à intégrer les élus et les citoyens à la réflexion sur le degré de militarisation de leur territoire.

Cet accord doit donc être la première pièce d'une véritable coopération entre Paris et La Haye, mais les élus locaux devront être davantage intégrés aux projets.

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