Intervention de Aurélien Taché

Séance en hémicycle du mercredi 1er février 2023 à 15h00
Discussion après engagement de la procédure accélérée d'un projet de loi — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélien Taché :

Il faut, pour commencer, rappeler la relation qui lie le Sénégal et la France. La colonisation a laissé des traces indélébiles, que nous devons prendre pleinement en considération si nous voulons offrir un avenir prospère et équitable à la coopération entre nos deux pays. Reconnaissons les fautes et parfois les crimes du passé et abordons-les de manière transparente et honnête pour les conjurer réellement et avancer enfin. Nous avons aujourd'hui l'occasion d'écrire une nouvelle page de l'histoire qui lie nos deux pays en construisant une alliance fondée sur le respect mutuel et la solidarité. C'est un défi important, mais je suis convaincu que nous arriverons à le relever.

Soixante ans après avoir obtenu son indépendance, une partie de la population sénégalaise exprime un sentiment antifrançais croissant. Ce phénomène est commun à de nombreux pays de l'Afrique de l'Ouest. Il est donc important d'aborder notre coopération avec le Sénégal à travers le bon prisme – les bonnes lunettes, si j'ose dire – en tenant compte de notre passé commun, en offrant de véritables perspectives de développement et en faisant preuve d'humilité et de respect.

Le texte sur lequel vous nous demandez aujourd'hui de voter concerne en réalité deux accords : le premier vise à améliorer l'efficacité des procédures judiciaires, notamment les enquêtes ; le second concerne les extraditions.

La première convention permettra de lutter plus efficacement contre le trafic et le terrorisme. Il existe de nombreux accords similaires qui permettent d'assurer de manière plus efficace la sécurité de nos concitoyens, ainsi que celle des Sénégalais. Le crime organisé se développe à l'échelle internationale ; c'est donc à l'échelle internationale que nous devons organiser notre réponse.

La seconde convention, en revanche, mérite d'être regardée de plus près. Qu'il s'agisse des exécutions de peines ou des poursuites pénales, la convention indique que si les infractions reprochées sont de nature militaire ou politique, l'extradition est obligatoirement refusée. Mais quel est le périmètre exact d'une infraction politique dans un pays où le pouvoir exerce un contrôle de plus en plus autoritaire ? Il est important de le comprendre : les infractions d'ordre politique soulèvent des questions complexes en matière de liberté d'expression et de droits, et peuvent donc faire l'objet de controverses et de débats importants.

Le président sénégalais Macky Sall semble peu enclin à quitter son siège à l'occasion des élections de 2024. La Constitution sénégalaise limite pourtant le nombre de mandats consécutifs à deux. La stabilité du pays, souvent présenté comme un modèle de démocratie dans la région, est donc mise à l'épreuve. La population sénégalaise semble de plus en plus sceptique quant à la capacité du président à résoudre les problèmes économiques et sociaux du pays et à faire reculer la pauvreté et les inégalités. L'opposition, qui s'est renforcée ces dernières années, accuse le président de se comporter en dictateur et de violer les libertés fondamentales. Certaines voix s'élèvent également pour réclamer une réforme de la Constitution afin de limiter le pourvoir de l'exécutif.

Le président Sall a répondu à ces critiques en affirmant que les élections de 2024 seraient justes et transparentes et qu'il en accepterait le résultat. De nombreux observateurs émettent toutefois de sérieux doutes sur la crédibilité de cet engagement. Les prochaines élections constitueront un test décisif pour la cohésion du pays et la solidité de sa démocratie. Les Sénégalais attendent des élections libres et équitables pour choisir leur nouveau leader en toute transparence.

Or une grande partie des responsables de l'opposition ont eu affaire à la justice au cours des dernières années. Lors de manifestations, le gouvernement sénégalais n'a pas hésité à utiliser les blindés contre la foule. Le ministre de l'intérieur traite les manifestants de terroristes et il a suspendu deux chaînes de télévision qui avaient diffusé des images des manifestations. Il a également coupé internet à plusieurs reprises. La dizaine de morts et les centaines d'arrestations dénombrées récemment témoignent de la violence de la répression. Durant la manifestation du 17 juin 2022 à Dakar, plusieurs dirigeants politiques, tels les députés Mame Diarra Fam et Déthié Fall et le maire de Guédiawaye, Ahmed Aïdara, ont été arrêtés et incarcérés. Ahmed Aïdara a été accusé de participer à un rassemblement illicite. Il attend une sentence, qui pourrait inclure un mois de prison avec sursis et une amende de 50 000 francs CFA.

En tant que parlementaire français et défenseur de la démocratie, je suis profondément préoccupé par ces événements. Si elle se doit de respecter pleinement la souveraineté sénégalaise, la France ne peut pas rester indifférente à ce qui se passe à Dakar. Nous sommes le premier partenaire commercial du Sénégal et l'AFD est l'un de ses principaux bailleurs, avec un engagement total de 1,4 milliard d'euros. Si cette relation économique prime sur les intérêts locaux et populaires, la confiance du peuple dans les institutions risque d'être entachée et la participation des citoyens à la vie politique de leur pays pourrait être affectée. Nous trahirions alors nos valeurs en même temps que le peuple sénégalais.

Notre rôle n'est évidemment pas d'interférer dans la politique intérieure du Sénégal – c'est ce qu'il ne faudrait surtout pas faire. Au-delà de leur caractère profondément immoral, toutes les tentatives en ce sens se sont soldées par des échecs. La France doit cependant rester garante des grands principes démocratiques qui construisent son positionnement international.

Dès lors, avons-nous l'assurance que cette seconde convention ne sera pas utilisée d'une manière ou d'une autre par le gouvernement du Sénégal pour conserver son pouvoir ? Malgré les garde-fous que le texte contient, en sommes-nous absolument certains ? À mon sens, la convention d'extradition qui nous est aujourd'hui proposée est donc inappropriée dans son esprit comme dans son calendrier : de potentielles dérives dans son utilisation pourraient menacer le principe de l'autodétermination des peuples. En outre, il existe bien d'autres domaines dans lesquels nous pouvons renforcer notre coopération et l'amitié entre nos peuples.

Pour toutes ces raisons et parce qu'il tient compte du bien-fondé de la première convention, le groupe Écologiste – NUPES s'abstiendra sur le projet de loi.

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