Intervention de Fatiha Keloua Hachi

Réunion du mercredi 1er février 2023 à 9h35
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFatiha Keloua Hachi, rapporteure :

J'ai commencé à préparer cette proposition de loi il y a un an. Depuis septembre, j'ai effectué des déplacements et consulté des étudiants, des chercheurs, des associations et des agents du réseau des œuvres universitaires. Je les en remercie : ils m'ont permis de prendre la mesure d'un phénomène que j'ai vu croître ces dernières années dans le cadre du métier d'enseignante que j'exerçais jusqu'aux élections législatives et que je reprendrai par la suite.

Ce texte est né du constat de la précarité alimentaire dont souffrent de nombreux étudiants. Selon les données recueillies par l'Observatoire national de la vie étudiante en 2021, 18 % des étudiants ne mangent pas à leur faim : dans une société comme la nôtre, attachée aux valeurs de la solidarité collective et aux mécanismes de protection sociale, près d'un étudiant sur cinq n'est pas en mesure de répondre à ses besoins alimentaires fondamentaux.

Ce fait social massif s'est révélé dans toute sa cruauté lors de la crise sanitaire. Les acteurs du monde associatif, comme le Secours populaire et les Restaurants du cœur, avaient déjà constaté la présence de nombreux jeunes et de nombreux étudiants lors de leurs distributions alimentaires. La pandémie de covid-19 a indéniablement marqué une étape dans la prise de conscience collective de ce phénomène. Au-delà de nos frontières, le monde a pris connaissance, avec effarement, de l'insécurité alimentaire dans laquelle une partie de la jeunesse de notre pays s'est vue plongée. De nouvelles solidarités ont alors été instaurées en faveur des étudiants, souvent à leur propre initiative. Des associations comme Cop1-Solidarités étudiantes sont apparues et ont pris une part considérable dans la distribution d'une aide alimentaire d'urgence. Celles de la FAGE, la Fédération des associations générales étudiantes, ont poursuivi leur mission de solidarité.

Devant la gravité de la situation sanitaire et sociale, le gouvernement précédent a abaissé le tarif des repas servis dans les sites de restauration du réseau des œuvres universitaires. Ce tarif est passé de 3,30 euros à 1 euro pour les étudiants boursiers en septembre 2020, puis le bénéfice de cette mesure a été élargi à l'ensemble des étudiants entre la fin janvier et août 2021. Le Gouvernement a ensuite restreint le dispositif en réservant ce tarif aux seuls étudiants boursiers ou identifiés comme précaires par les services sociaux des Crous, les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires. Aux yeux de la NUPES, cette limitation est injustifiée. C'est pourquoi je vous propose de rétablir la tarification en vigueur durant le second semestre de l'année universitaire 2020-2021 et d'en élargir l'application à tous les points de vente gérés et agréés par le réseau des œuvres universitaires.

Je voudrais revenir sur les motivations qui ont conduit le Gouvernement à restreindre le champ d'application du repas à 1 euro à la rentrée 2021. Cette tarification étant issue des conditions exceptionnelles de la crise sanitaire, elle aurait logiquement pris fin avec celle-ci. Mais la période actuelle, marquée par un taux d'inflation inédit depuis quarante ans, est-elle moins difficile du point de vue de la situation financière des étudiants ? Une augmentation annuelle de plus de 12 % du coût des produits alimentaires, jointe à une hausse de près de 15 % du prix de l'énergie, ne vous semble-t-elle pas d'une gravité comparable, pour les conditions de vie des étudiants, à celle des effets sociaux de la crise sanitaire ? Pour s'en convaincre, il suffit de se rendre dans les distributions alimentaires organisées par les associations que j'ai mentionnées : la possibilité offerte aux boursiers et à certains étudiants précaires de bénéficier de repas à 1 euro n'a pas réduit le nombre de participants à ces distributions. J'y ai rencontré à plusieurs reprises des étudiants non boursiers qui m'ont fait part de leurs difficultés à faire reconnaître leur situation pour bénéficier de repas à 1 euro.

Par ailleurs, l'augmentation sans précédent de la fréquentation des restaurants universitaires est significative. Le nombre de repas servis a augmenté de 17 % entre septembre 2021 et septembre 2022. J'y vois une illustration des difficultés croissantes que rencontrent les étudiants pour accéder à des repas à un tarif abordable en dehors du service public du réseau des œuvres universitaires.

Face au renchérissement du coût de la vie, la réponse du Gouvernement pour améliorer la situation des étudiants me semble très insuffisante. D'abord, la revalorisation de 4 % du montant des bourses sur critères sociaux reste inférieure au taux de l'inflation, lequel a atteint 5,9 % en 2022. Ensuite, chacun s'accorde à reconnaître l'inadaptation du système des bourses à l'objectif de permettre l'accès du plus grand nombre à l'enseignement supérieur dans des conditions financières compatibles avec une vie digne. C'est pour cette raison que les étudiants non boursiers en situation de précarité doivent pouvoir bénéficier de repas à 1 euro. Dans la grande majorité des cas, l'accès à ce tarif est déterminé par le statut de l'étudiant dans le cadre du système des bourses : seuls 40 000 étudiants non boursiers en ont bénéficié durant l'année universitaire 2021-2022.

Pourtant, selon l'Observatoire national de la vie étudiante, 14 % des étudiants ne percevant pas de bourses sur critères sociaux – soit plus de 300 000 jeunes – ont dû restreindre leurs dépenses alimentaires en 2021. En outre, la part d'étudiants non boursiers ayant fait face à des difficultés financières jugées importantes ou très importantes s'élevait à 22 %, contre 31 % pour les étudiants boursiers. L'écart entre ces deux catégories n'est pas suffisant pour justifier que le bénéfice des mesures complémentaires d'aide aux jeunes en difficulté, comme le repas à 1 euro, soit réservé aux boursiers.

La mesure que je propose comporte plusieurs avantages. L'instauration d'un tarif unique limité à 1 euro éliminerait les différences de traitement injustifiées entre les étudiants à raison de leur situation au regard du système des bourses. Il s'agirait d'une première étape dans la transition vers un système de soutien universel à l'émancipation des jeunes, décorrélé des ressources de leurs parents. Le groupe Socialistes et apparentés a formulé des propositions en ce sens. Durant la précédente législature, une proposition de loi visant à instaurer une aide individuelle à l'émancipation solidaire avait ainsi été examinée à l'initiative de notre collègue et président Boris Vallaud.

Dans l'immédiat, le présent texte a le mérite de constituer une mesure palliative d'urgence, qui a déjà été appliquée par le passé et qui apporterait une première réponse à la précarité alimentaire étudiante. La proposition de loi éliminerait, par définition, les effets de seuil et de non-recours de la part d'étudiants précaires qui n'ont pas connaissance des démarches à effectuer ou qui ne parviennent pas à les conduire à leur terme. Elle constitue également un appel à renforcer les moyens alloués au réseau des œuvres universitaires, en particulier pour développer le maillage territorial de l'offre de restauration. Dans mon département, la Seine-Saint-Denis, j'ai ainsi constaté des difficultés d'accès à la restauration universitaire, notamment à Bobigny. D'autres territoires souffrent d'un manque de points de vente des Crous, tout particulièrement les villes moyennes et les zones rurales.

La précarité étudiante est un phénomène systémique, qui appelle une réponse globale des pouvoirs publics. Une action résolue doit être entreprise, notamment en matière d'accès au logement et de bourses. S'agissant du dernier point, les parlementaires ne peuvent que déplorer de ne pas avoir été associés par le Gouvernement à la concertation qui se tient actuellement en vue de réformer le système des bourses.

Cette proposition de loi ne couvre qu'une partie des enjeux de la condition étudiante dans notre pays. Il est temps de prendre la mesure de ce qui se passe : voulons-nous voir les étudiants faire la queue devant les banques alimentaires ou préférons-nous adopter une mesure durable leur procurant la possibilité de se nourrir pour 1 euro ? Soyons à la hauteur de notre jeunesse, de nos étudiants, pour assurer notre avenir et le leur.

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