Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 25 janvier 2023 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques :

Je vous remercie de m'avoir invité pour que je puisse vous présenter les principales conclusions du Haut Conseil relatives au PLFRSS pour 2023.

Je débuterai par un rappel des missions du Haut Conseil, qui a été saisi en l'application de l'article 61 de la LOLF. En effet, le Haut Conseil est appelé à donner un triple avis sur le PLFRSS pour 2023 : sur les prévisions macroéconomiques, sur le réalisme des prévisions des recettes et des dépenses et, enfin, sur la cohérence de son article liminaire à la lumière des orientations pluriannuelles de solde structurel et de dépenses des administrations publiques.

Compte tenu du rôle du Haut Conseil, celui-ci a estimé que la saisine du Gouvernement était particulièrement étroite. En effet, elle ne porte que sur l'incidence de la réforme proposée sur les finances publiques pour la seule année 2023. Au delà, le Gouvernement ne nous a transmis que des informations très partielles, à la fois en termes d'horizon, de champ et d'explication du chiffrage des différents dispositifs. Le HCFP n'a donc pas pu être en mesure d'évaluer l'incidence à moyen terme de la réforme des retraites sur les finances publiques. Ce prisme annuel est très regrettable au vu de l'incidence de la réforme proposée, qui s'étend nécessairement sur le moyen et le long termes.

Cette remarque importante étant faite, j'en viens à nos deux principaux messages relatifs au PLFRSS.

Premièrement, le scénario macroéconomique du Gouvernement pour 2023 paraît toujours optimiste, même si les dernières prévisions montrent une résilience plus forte que prévu.

Deuxièmement, la réforme des retraites aura un impact très faible sur les finances publiques en 2023, le HCFP n'ayant pas pu en estimer les conséquences à moyen terme.

S'agissant des analyses macroéconomiques, le Gouvernement n'a pas modifié son scénario par rapport à celui du PLFSS pour 2023, lequel date de septembre 2022. Pour 2023, le Gouvernement continue de prévoir un rythme de croissance du produit intérieur brut (PIB) d'un point. Or, dans le cadre de son avis sur le PLFSS pour 2023, le HCFP avait estimé que cette prévision était un peu élevée du fait de plusieurs hypothèses que nous considérions comme fragiles. En outre, les informations conjoncturelles récentes laissent à penser que la croissance s'est essoufflée en fin d'année 2022, notamment en raison de l'impact de l'inflation et de la hausse des taux d'intérêt. Le Gouvernement anticipe donc pour 2023 une accélération nette de l'activité au cours de l'année, ce qui paraît à première vue un peu contre-intuitif.

Cette hypothèse ne peut toutefois pas être exclue compte tenu des récents signaux positifs montrant une certaine résilience de l'économie française, même si elle n'est pas la plus probable. Néanmoins, le scénario de croissance du Gouvernement paraît optimiste, car l'environnement international demeure mal orienté en 2023 : le durcissement des politiques monétaires devrait se poursuivre dans la zone euro et freiner la demande au cours des prochains trimestres. L'investissement pourrait notamment pâtir de la hausse plus forte que prévu des taux d'intérêt au sein de la zone euro.

De fait, la prévision de croissance du Gouvernement se situe au-dessus de celle des instituts de conjoncture français et internationaux, ainsi que du consensus des économistes qui, en janvier 2023, anticipent une croissance de l'économie française de seulement 0,2 point en 2023, la Banque de France se situant à 0,3 point. La croissance estimée à un point correspond donc à un chiffre élevé, qu'il faudra corriger le moment venu.

Cette croissance est justifiée selon le Gouvernement par la résilience de l'économie au troisième trimestre de 2022 et par l'acquis de croissance en 2023, mais elle sous-estime pour nous les facteurs de freinage de l'activité actuellement à l'œuvre, notamment le niveau élevé de l'inflation et le durcissement en cours des politiques monétaires.

Le Gouvernement prévoit également, pour 2023, une hausse de l'indice des prix à la consommation de 4,2 % en moyenne annuelle, après une progression de 5,2 % en 2022. Les prévisions d'inflation restent dépendantes des prix de l'énergie, qu'il est aujourd'hui très difficile d'anticiper. La fin de la remise sur le carburant au 31 décembre 2022, la revalorisation de 15 % en moyenne des tarifs réglementés du gaz au 1er janvier et de l'électricité au 1er février sont à court terme plutôt des facteurs de hausse, alors que les baisses récentes du marché du gaz et du pétrole auront à l'inverse un effet baissier.

Nous avons, dans ce cadre, estimé que le reflux de l'inflation anticipé par le Gouvernement semblait rapide. Cette moyenne est en dessous des prévisions faisant consensus auprès des économistes, qui se situent à 4,8 %, et suppose un net infléchissement par rapport aux tendances récentes. Or l'indexation du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), les hausses de salaire déjà négociées ainsi que la transmission en cours des hausses passées des prix de production et d'importation sur les prix des produits alimentaires manufacturés devraient continuer à soutenir l'inflation en 2023. Au regard de ces éléments, le Haut Conseil considère que la prévision d'inflation pour 2023 est quelque peu faible.

Le Gouvernement a également maintenu sa prévision d'une progression de la masse salariale des branches marchandes non agricoles de 5 points en 2023, mais cette prévision paraît faible, notamment au regard de la sous-estimation des perspectives d'inflation.

Pour résumer cette première partie : le Haut Conseil estime que la prévision de croissance est encore élevée, même si les bonnes surprises ne sont certes pas prévisibles, et que la prévision d'inflation est un peu basse, tout comme celle de la masse salariale.

J'entre à présent dans le détail des constats du Haut Conseil concernant les finances publiques sur la base de cette saisine que nous jugeons trop étroite. Je rappelle que le mandat du Haut Conseil est d'évaluer le réalisme des recettes et des dépenses du PLFRSS et de veiller à la cohérence de texte avec les orientations pluriannuelles de finances publiques. Sur ce dernier point, la loi organique ne permet pas au Haut Conseil de se prononcer, car le projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) présenté par le Gouvernement n'a pas été adopté à ce stade.

Cela me donne l'occasion d'insister sur un message que j'ai déjà porté et que le Haut Conseil reprend dans le cadre de son avis : la France ne peut se passer d'une LPFP. Il s'agit d'une obligation juridique, organique, européenne et surtout d'un outil de pilotage indispensable des finances publiques. L'érosion progressive de la position de la France au sein de la zone euro conjuguée aux investissements massifs auxquels notre pays fait face nécessite de redresser nos comptes publics. Pour y parvenir sans recourir à l'austérité, l'effort doit évidemment être piloté sur plusieurs années. C'est pourquoi nous avons besoin d'une programmation pluriannuelle.

Son absence pose de nombreux problèmes, tant pour le Haut Conseil que pour la Commission européenne, d'autant que nous sommes toujours sous le regard du Conseil constitutionnel. Ne sous-estimez pas les risques d'une telle absence : nous pourrions entrer dans un processus de finances publiques qui serait discontinu et incomplet – il s'agit d'un vrai sujet et j'appelle toutes les parties prenantes à ce que la France se dote d'une telle programmation et ce dès que possible.

S'agissant de l'analyse du réalisme des dépenses et des recettes présentées dans le PLFRSS, le Gouvernement n'a transmis que les incidences de la réforme des retraites pour l'année 2023 et quelques éléments généraux et peu détaillés jusqu'en 2026.

Les conséquences du projet de réforme des retraites sur les finances publiques en 2023 sont faibles, avec un coût estimé par le Gouvernement à 0,4 milliard d'euros, estimation que nous jugeons réaliste. Ce coût de la réforme en 2023 résulte en premier lieu des économies réalisées par le décalage de trois mois du départ en retraite d'environ 50 000 personnes en fin d'année 2023 et des recettes fiscales et des cotisations sociales supplémentaires liées à leur maintien dans l'emploi durant cette période.

En second lieu, il faut prendre en compte les dépenses supplémentaires entraînées par la réforme, la hausse du minimum contributif, les mesures sur la pénibilité et l'usure professionnelle et les mesures en faveur des transitions entre l'emploi et la retraite. Le coût estimé à 400 millions d'euros se comprend donc, car il se situe en amont des recettes permises générées par la réforme en fin d'année.

Plus largement, s'agissant du solde public, prévu à – 5 % du PIB en 2023, le Haut Conseil avait estimé en septembre qu'il existait des risques que le déficit soit plus dégradé que prévu. À ce jour le risque demeure, mais il est contrebalancé par la baisse récente des prix de gros du gaz et de l'électricité, qui pourrait alléger le coût des dispositifs de soutien aux ménages et aux entreprises. Une bonne surprise n'est donc pas exclue.

En ce qui concerne les incidences à plus long terme sur les finances publiques, le Haut Conseil n'a pas reçu suffisamment d'informations pour pouvoir évaluer l'incidence de la réforme des retraites, ce qui est regrettable. Tout au plus avons-nous reçu l'annexe au PLFRSS portant sur la période allant de 2023 à 2026. Nous réalisons toutefois un diagnostic qui pourrait vous intéresser : la réforme des retraites ne devrait pas améliorer grandement la trajectoire de dette que le Gouvernement avait évoquée dans le projet de LPFP présenté en septembre. Par rapport à cette présentation, il n'y a pas eu d'ambition supplémentaire dans l'effort de redressement des finances publiques, alors que nous avions estimé à l'époque que la LPFP était peu ambitieuse.

Les données fournies au Haut Conseil permettent de constater que les déficits des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale (ROBSS) et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) sur la période de 2023 à 2026 sont désormais un peu plus élevés dans ce PLFRSS que dans la LFSS initiale pour 2023. Autrement dit, les dépenses des retraites progressent plus rapidement au sein du projet de loi tout juste déposé que ce qui était prévu en septembre dernier. Une telle évaluation est clairement le résultat de l'intégration dans la réforme des retraites de mesures qui n'avaient pas été envisagées, ce qui entraîne une légère dégradation des comptes publics.

Enfin, je souhaiterais terminer sur l'importance d'une réforme des retraites. Je ne dis pas « la » réforme des retraites, car il ne me revient pas de déterminer son contenu et ses contours. Toutefois, en l'état, le système n'est pas soutenable et pas finançable ; une réforme est donc nécessaire. Nous savons tous que nos finances publiques ont connu une érosion progressive et qu'elles n'ont pas les marges de manœuvre pour faire face aux investissements dont le pays a besoin.

Ainsi, la France est entrée dans la zone euro avec un ratio de dette qui se situait dans la moyenne européenne et qui était exactement équivalent à celui de l'Allemagne. Nous étions alors à 58 points de dette. Vingt ans plus tard, la dette de la Belgique, qui était très élevée, a augmenté d'un point, celle de l'Allemagne a augmenté de 10 points, celle de l'Italie, qui était aussi déjà très dégradée, de 41 points. Mais celle de la France a augmenté de 55 points, soit 45 points de plus que notre partenaire allemand ! C'est un fait. Or la dette n'est plus gratuite car nous sommes sortis de l'ère des taux d'intérêt négatifs, que certains jugeaient bénie : le taux d'intérêt à dix ans a retrouvé son niveau d'il y a dix ans. Pour l'État, la charge de la dette représentait 30 milliards d'euros en 2020, 35 milliards en 2021 et elle est projetée à 44 milliards d'euros par le Gouvernement en 2023. Je vous rappelle que le budget de la mission Défense, avant même le dépôt du futur projet de loi de programmation militaire, se situe à 41 milliards d'euros, hors contribution au compte d'affectation spéciale Pensions, et à 50 milliards d'euros avec cette contribution. Nous arrivons donc dans cette zone dangereuse où c'est le remboursement de la dette qui devient le deuxième budget de l'État. Or il n'existe pas de dépense plus stérile. Tout euro que nous y consacrons à taux d'intérêt positifs est un euro perdu pour les dépenses que, les uns ou les autres, vous pouvez souhaiter pour notre pays : sécurité sociale, éducation, lutte contre le réchauffement climatique, forces armées, etc.

En outre, la France fait face à des besoins d'investissements majeurs. C'est dès aujourd'hui qu'elle doit rénover son système de santé, son système scolaire, son armée, produire sur son territoire, investir dans la recherche et développement pour se maintenir dans la compétition mondiale et, enfin, investir dans ses infrastructures et réduire les émissions de dioxyde de carbone (CO2). Un mur d'investissement et une montagne de dette posent un vrai problème et obèrent toute marge de manœuvre.

Réformer les retraites fait partie de l'effort collectif nécessaire pour parvenir à financer ces investissements, mais cela ne suffit pas. La France a la capacité d'examiner les qualités de la dépense dans tous les secteurs publics. Ce n'est pas toujours facile, mais tous nos partenaires le font. Ainsi, une revue annuelle de dépenses, comme l'a annoncée le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, est nécessaire – ce que la Cour des comptes appelle depuis plusieurs années –, mais cette revue de dépenses doit avoir une raison d'être, une gouvernance, un calendrier et des objectifs clairs.

Mesdames et Messieurs les députés, le temps nous appelle au sérieux et à l'ambition. Je ne voudrais pas qu'un accident nous oblige à rectifier tout à coup notre trajectoire, en coupant drastiquement dans les dépenses pour relever brutalement les impôts. Le Royaume-Uni n'est pas un pays de la zone euro, mais elle n'est pas un petit pays : son cas doit nous faire réfléchir.

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