Intervention de Philippe Brun

Réunion du mercredi 1er février 2023 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Brun, rapporteur :

Je me réjouis que chacun partage l'idée d'un retour en arrière, ou tout au moins d'une modification de la mauvaise trajectoire prise il y a désormais vingt ans, qui a mené la France dans cette ornière. Je fais mienne l'expression de « 1940 de l'énergie » du président Marleix car nous sommes parvenus à un point de non-retour et il faut désormais inventer d'autres modèles.

Tous les groupes ont posé la même question : pourquoi cette proposition alors que l'OPA est en cours ? La différence est que l'OPA fait entrer EDF dans le domaine privé de l'État alors qu'une loi de nationalisation la fait entrer dans le domaine public. De plus, l'OPA prive le législateur de tout pouvoir. Si, demain, le conseil d'administration d'EDF, qui sera à 100 % dominé par l'État – donc par le ministre – décide de vendre Enedis, cela ne donnera lieu à aucun débat parlementaire.

C'est la raison pour laquelle je vous proposerai d'intituler ce texte non plus loi de nationalisation, mais loi de protection d'EDF car elle conférera bien aux parlementaires un nouveau droit dans le contrôle politique et public de la politique énergétique du pays. Voilà ce que nous visons.

M. Lecamp nous a dit que le projet Hercule était abandonné, mais alors, pourquoi ne pas voter cette proposition de loi ? J'ai pour ma part constaté que le Gouvernement envisageait de céder une partie des activités d'EDF. En mars 2022, pendant la campagne présidentielle, le Président de la République n'avait-il pas d'ailleurs affirmé, parmi d'autres promesses, vouloir réorganiser EDF ? Eh bien, cette proposition de loi vise à mettre fin à l'ambiguïté.

M. le rapporteur général considère que l'expression « groupe juridique unifié » n'a pas de valeur juridique. Or je me suis contenté de recopier ce qui figure dans la loi sur la SNCF. Certains d'entre vous s'en souviennent et connaissent très bien cette appellation. Nous appliquons à EDF ce qui s'est appliqué à la SNCF, lors de réforme ferroviaire conduite par Mme Élisabeth Borne… Qui plus est, devenir un groupe public unifié n'empêche pas EDF de procéder à des rotations d'actifs. On ne gèle ni sa situation d'EDF ni celle de ses filiales. Si, demain, EDF souhaite vendre EDF Maroc, elle peut tout à fait le faire. Simplement, l'énumération des activités d'EDF dans l'article 2 de la proposition de loi l'empêche de cesser une activité, par exemple dans les énergies renouvelables, dans les services énergétiques ou dans les réseaux – car c'est bien ce qui se prépare dans les ministères.

Cette loi n'empêche pas l'entreprise de vivre : il faut, bien évidemment, des rotations d'actifs dans la vie d'une entreprise. Un collègue a parlé des sociétés de projets dans lesquelles EDF investit en matière d'énergies renouvelables et dont elle peut ressortir. Nous ne disons pas qu'elle ne pourra jamais en ressortir, mais qu'elle ne pourra cesser son activité dans les énergies renouvelables. En vérité, il s'agit bien plus d'une loi anti-démantèlement d'EDF que d'une loi de nationalisation.

L'article 3 dans la rédaction que je vous soumets permet de coordonner le calendrier de l'OPA, réglementé, et le calendrier parlementaire. Au moment où la proposition de loi a été rédigée, nous avions des doutes sur le prix qui avait été proposé. Nous avons, dans un premier temps, choisi de vous proposer un prix de 14 euros ; ce n'est désormais plus notre position.

Entre le 19 juillet, date de dépôt de l'offre de l'État devant l'AMF, et le 4 octobre, de nombreux événements sont intervenus et ont eu un impact sur la valeur de l'action. D'abord, une demande indemnitaire préalable a été adressée à l'État par EDF sur la question de l'ARENH, qui se monte à 8,34 milliards d'euros et élève la valeur de l'action. Ensuite, à l'initiative de nos collègues du groupe Les Républicains, nous avons porté cet été le prix de l'ARENH de 42 à 49,50 euros, ce qui apporte, chaque année jusqu'en 2025, quelque 2,8 milliards de plus à EDF.

Or lorsque l'on nationalise on doit, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, une juste et préalable indemnité, fondée sur la valeur intrinsèque de l'entreprise. L'évaluation du prix n'est alors pas la même que dans une OPA où il est fixé en fonction de la valeur de marché.

Je nourris quelques doutes quant à la réalisation de cette OPA car nombreux sont les recours, dont l'épuisement n'est pas certain. Je vous rappelle les arguments de ceux qui ont déposé des recours, parmi lesquels il y a certes des fonds spéculatifs – Black Rock est au capital d'EDF, c'est une réalité –, mais aussi de très nombreux salariés de l'entreprise, qui ont payé l'action 35 euros dans l'espoir de faire des économies pour payer les études de leurs enfants et préparer leur retraite, et qui se sentent spoliés par cette opération.

Non-prise en compte de la demande indemnitaire de 8,34 milliards d'euros ; non-prise en compte du prix de l'ARENH ; conflit d'intérêts de M. Jean-Bernard Lévy, que nous ne sommes pas aptes à juger, mais qui est aujourd'hui devant la justice ; constitutionnalité de l'OPA, qui fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'État : tous ces éléments fragilisent l'opération.

L'article 3 de notre PPL permet de concilier OPA et procédure parlementaire. L'OPA, si elle se déroule bien, permettra que l'État possède EDF à 100 %, tandis que l'article 2 empêchera son démantèlement. Et, si l'OPA n'arrive pas à son terme en raison des recours juridiques, nous disposerons de l'arme de la loi de nationalisation pour laquelle, comme lors des précédentes nationalisations, une commission indépendante fixera le prix d'achat.

Telles sont mes chers collègues, les réponses que je souhaitais vous apporter, mon ambition étant de vous rassembler le plus largement possible autour de cette proposition de loi, qui est défensive et nullement offensive. Sébastien Jumel l'a rappelé, elle ne règle pas tous les problèmes d'EDF, mais elle permet d'éviter que le projet Hercule 2.0, s'il advient, soit le dernier clou planté sur le cercueil de notre énergéticien national.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion