Intervention de Patrick Titiun

Réunion du mardi 31 janvier 2023 à 17h20
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Patrick Titiun :

Le Président de la République a bien voulu proposer ma nomination comme personnalité extérieure au CSM, qui est l'organe chargé de l'assister dans sa mission de garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Outre les avis qu'il rend au Président de la République et au garde des sceaux, le CSM a une double fonction. Il est d'abord l'organe qui nomme les magistrats du siège les plus importants – les membres de la Cour de cassation, les premiers présidents de cour d'appel et les présidents des tribunaux judiciaires. Il assure également une activité disciplinaire tout aussi essentielle.

Je m'efforcerai de vous présenter mon parcours et de vous dire dans quelle mesure il pourra être utile au CSM.

Comme vous l'avez rappelé, madame la rapporteure, j'ai été pendant cinq ans juge au tribunal de grande instance (TGI) de Metz, « chargé du service du tribunal d'instance de Metz » pour reprendre la terminologie alors en vigueur. Mais j'ai quitté cette juridiction, et du reste la juridiction judiciaire, pour exercer au ministère des affaires étrangères. Je défendais alors la France devant ce qui était à l'époque les organes de la Convention européenne des droits de l'homme, à savoir la Commission européenne des droits de l'homme, qui n'existe plus aujourd'hui, et la CEDH. Mon travail consistait à examiner des dossiers marqués par des dysfonctionnements du service public de la justice, tels que des longueurs de procédure excessives ou des atteintes à la présomption d'innocence. Nous essayions à l'époque de défendre la France, mais aussi de conclure des règlements amiables. L'autre volet de mon activité était de négocier un traité international, le protocole n° 11 à la Convention européenne des droits de l'homme, qui est entré en vigueur le 1er novembre 1998 et a abouti à la création de la CEDH, une juridiction que vous connaissez tous et qui siège à Strasbourg.

En 1994, j'ai été détaché au Conseil de l'Europe et ai passé un concours pour intégrer cette organisation, qui connaissait à l'époque un véritable bouleversement : alors qu'elle ne rassemblait à l'origine qu'une vingtaine d'États de l'Ouest de l'Europe, elle accueillait désormais en son sein les pays d'Europe centrale et orientale (PECO) qui opéraient leur transition vers la démocratie. J'ai donc effectué, pendant quatre ans, un travail de formation des avocats et des magistrats aux valeurs du Conseil de l'Europe que sont la prééminence du droit, la démocratie, les droits de l'homme et plus particulièrement la Convention européenne des droits de l'homme. J'ai participé à la création d'institutions qui étaient inconnues derrière le rideau de fer, telles que les écoles de la magistrature, les médiateurs et les conseils supérieurs de la magistrature – j'ai eu à l'époque de nombreux contacts avec les membres du CSM français, que j'ai fait participer à des missions d'expertise pour introduire ces institutions dans ces pays. Ce fut une période très riche de ma vie professionnelle et personnelle : j'étais en contact avec un certain nombre de juges qui avaient exercé leur métier derrière le rideau de fer – dans la Roumanie de Ceausescu, par exemple – et qui m'ont expliqué ce que cela pouvait signifier que de ne pas être un juge indépendant. Ils m'ont décrit ce qui pouvait leur arriver, concrètement, lorsqu'ils rendaient une décision qui ne plaisait pas au pouvoir politique en place : du jour au lendemain, ils étaient mutés à l'autre bout du pays, sans aucune forme de procès.

À partir de 1998, je suis devenu conseiller juridique. Mon rôle était en lien avec l'activité du CSM, puisqu'il me revenait de conseiller le secrétaire général du Conseil de l'Europe sur les procédures disciplinaires à appliquer à l'encontre des agents lorsque des règles déontologiques n'étaient pas respectées. Lorsque les agents introduisaient des recours devant le tribunal administratif du Conseil de l'Europe, j'étais chargé de défendre la position du secrétaire général. Pendant cette période, j'ai également été secrétaire de la conférence des ministres européens de la justice, ce qui m'a valu d'organiser au niveau européen le bicentenaire du code civil, avec Mme Simone Veil comme rapporteure générale.

En 2006, je suis arrivé à la CEDH en tant que chef de cabinet du président de la Cour, fonction que j'exerce depuis maintenant dix-sept ans. Jean-Paul Costa, qui était le premier président français de la CEDH depuis René Cassin, m'avait appelé à ses côtés, et les six présidents qui lui ont succédé m'ont fait l'honneur de me maintenir à cette fonction.

Je ne remplis pas un rôle juridictionnel. Il me revient de mettre en œuvre la « diplomatie judiciaire », selon l'expression de Jean-Paul Costa, qui soulignait la nécessité de nouer des liens avec les cours supérieures des États membres – il pensait en effet que la Cour ne devait pas fonctionner en pyramide, mais à partir de réseaux afin que les juridictions supérieures se connaissent mieux et travaillent ensemble. Depuis dix-sept ans, nous nous sommes efforcés de remplir cette mission, qui a abouti à la création, en 2015, du réseau des cours supérieures de la CEDH, avec le soutien du Conseil d'État français et de la Cour de cassation française. Ce réseau, sans doute unique au monde, rassemble aujourd'hui plus de cent juridictions appartenant aux États membres du Conseil de l'Europe.

La CEDH est également en contact avec les avocats, ce qui est fondamental car ce sont eux qui font vivre la Convention européenne des droits de l'homme dans les tribunaux, et avec les organisations non gouvernementales, très actives dans le domaine des droits de l'homme.

La Cour entretient aussi des relations avec les parlements. Lorsque le président de la CEDH se déplace dans un État membre, il rencontre des parlementaires – à ce titre, il n'est pas anodin de rappeler que la première visite officielle de l'actuelle présidente à Paris, quelques jours après sa prise de fonction, a été réservée à l'Assemblée nationale et au Sénat pour marquer sa déférence à l'égard de la représentation nationale. Les parlements jouent un rôle majeur pour la CEDH puisque, par l'intermédiaire d'une délégation parlementaire, ils élisent ses juges ; de même, ils adaptent les lois et, parfois, les modifient suite à un arrêt de la Cour.

Si j'insiste autant sur la diplomatie judiciaire, c'est parce que je crois que le CSM doit être une institution ouverte aux différents acteurs de la vie démocratique, en particulier au Parlement et à la commission des lois. Ces relations très importantes gagneraient à être régulières – elles pourraient intervenir à l'occasion de la publication du rapport annuel d'activité du CSM.

Le CSM traite de questions d'éthique et de responsabilité, dans l'exercice de ses fonctions disciplinaires, mais il est également chargé de la rédaction du recueil des obligations déontologiques des magistrats – un domaine dans lequel j'ai aussi une certaine expérience, puisque la CEDH s'est également dotée d'une résolution relative à l'éthique judiciaire de ses juges, à la rédaction de laquelle j'ai participé. Il est intéressant de constater que le recueil des obligations déontologiques du CSM, élaboré en 2010, a été actualisé en 2019, tandis que notre résolution élaborée à Strasbourg en 2008 a été mise à jour en 2021, pour tenir compte notamment des évolutions sociétales, qui sont d'une grande importance en matière de déontologie.

Le CSM endosse également un rôle européen, dans la mesure où il fait partie du réseau européen des conseils de justice. Mon expérience européenne pourrait donc être utile à l'institution.

Étant chargé depuis seize ans de la communication de la CEDH, je possède quelques compétences dans le domaine de la communication judiciaire institutionnelle, un sujet qui m'intéresse énormément.

Enfin, les ressources humaines constituent pour le CSM un aspect fondamental, auquel je pourrais concourir puisque je viens d'une organisation internationale innovante dans ce domaine. Je pense notamment à l'évaluation à 360 degrés, qui est une méthode intéressante en ce qu'elle permet d'évaluer les plus hauts magistrats, qui ne le sont habituellement jamais. Ayant moi-même été évaluateur et évalué, je considère que cette mesure proposée dans le rapport du comité des États généraux de la justice permet à la personne évaluée de progresser. Cet outil devra néanmoins être adapté pour tenir compte des spécificités de la magistrature. J'ai, par ailleurs, été membre de jurys de concours et de promotions à de très nombreuses reprises. Enfin, je fais quotidiennement l'expérience, au sein de la CEDH, de l'équipe autour du juge, une piste de réflexion qui figure aussi dans le rapport du comité des États généraux de la justice ; je pourrais donc apporter utilement le regard de cette institution.

J'ai été associé à l'ENM, dont le rôle est essentiel en matière de déontologie, en tant qu'intervenant ou directeur de session – je suis actuellement directeur de celle consacrée à la Convention européenne des droits de l'homme.

Pour conclure, j'aimerais souligner une évolution dans la jurisprudence de la Cour depuis une dizaine d'années. Nous voyons apparaître des affaires portant précisément sur l'indépendance de la justice, et nous nous apercevons que, lorsqu'on souhaite y porter atteinte, c'est souvent aux conseils de justice, aux conseils nationaux de la magistrature et aux autres conseils de cette nature que l'on s'attaque en raison de leur rôle essentiel dans l'État de droit.

Si vous validez cette proposition de nomination, ce sera pour moi l'aboutissement d'une carrière au service de la justice interne, puis internationale.

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