Intervention de Pierre-Louis Bras

Réunion du jeudi 19 janvier 2023 à 13h30
Commission des affaires sociales

Pierre-Louis Bras, président du COR :

Mon propos est de vous éclairer sur le système de retraite à partir des travaux du COR, pas de faire des propositions ni de choisir des orientations. Je vous ai dit quelles étaient les origines du déficit, j'ai essayé de vous expliquer la part des dépenses et des ressources : je n'en tire aucune conclusion sur ce qu'il faut faire.

La présentation du Gouvernement est-elle trompeuse ? Je ne dirai jamais que le Gouvernement est trompeur. Pour des raisons de clarté, nous préférons parler en pourcentage du PIB. Il y a des hypothèses d'inflation, qui peuvent changer avec le temps. Par ailleurs, payer 100 n'a pas la même portée si vous gagnez 1 000 ou si vous gagnez 5 000. Or, le PIB va augmenter. C'est pour cela que nous préférons parler en pourcentage du PIB, ce qui se pratique aussi dans la plupart des textes ainsi qu'en commission des finances.

Je vous ai présenté la convention EPR car c'est la référence choisie par le Gouvernement. Dans les rapports du COR, nous utilisions la convention EEC à titre pédagogique. Parmi les trois éléments qui expliquent la diminution des ressources, la convention EEC consiste à neutraliser le premier élément, qui porte sur les fonctionnaires de l'État. Cette convention a pour nous une vocation pédagogique, permettant de montrer qu'une partie de l'évolution du solde tient à l'évolution particulière d'un régime dont les ressources sont alignées sur les dépenses. Cette convention suscite des débats, même au sein du COR. Je préfère aller au bout de la pédagogie en faisant cette présentation, ce qui me permet aussi de prendre en compte les trois éléments dans l'analyse. Vous avez les résultats dans le rapport et sur le site du COR. Vous pouvez vous y référer.

Lorsque l'on repousse l'âge de la retraite, on fait des économies sur les retraites, mais cela provoque des dépenses ailleurs. Nos derniers calculs montraient que si l'on économise 1, il y a 0,33 qui partent en dépense ailleurs. Pour beaucoup, il s'agissait de dépenses d'invalidité. La différence entre la réforme d'aujourd'hui et celle de 2010 est que l'âge d'ouverture des droits pour les invalides et les inaptes ne sera pas repoussé. Le 0,33 que nous avions calculé ne sera plus valide. Nous aurons moins d'économies sur les retraités, puisque les invalides et les inaptes ne seront pas concernés, mais en contrepartie, nous aurons moins de dépenses, pour les mêmes raisons. La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) peuvent vous fournir ces données, qui figureront certainement dans l'étude d'impact.

En termes financiers, une réforme des retraites n'impacte pas seulement le système des retraites. Quand vous repoussez l'âge de départ à la retraite, vous espérez que les gens travailleront plus longtemps et qu'il y aura plus de cotisations retraite. Je pense que ce surplus de cotisations a été intégré. Les personnes qui travaillent ne paient pas seulement des cotisations retraite, mais aussi des cotisations maladie, des impôts sur le revenu, de la TVA. Il faut clairement réaliser un bilan élargi.

Entre deux projections, beaucoup de choses changent, et les prévisions du Gouvernement évoluent. Pendant l'épidémie de covid, le COR a rédigé des rapports à un moment où le Gouvernement était très prudent et pensait qu'en 2020, le PIB diminuerait de 10 %. Or, il n'a baissé que de 8 %. En 2021, le Gouvernement anticipait une reprise de 5 % du PIB, alors que celui-ci a progressé de 8 %. Des mesures ont été prises sur les retraites ; il y a eu des sous-indexations par rapport aux prix. Nous ne pouvions pas le prendre en compte avant que cela ait été décidé. D'autre part, tous les cinq ans, l'Insee revoit ses prévisions démographiques, ce qui est normal. Pour le COR, la référence est le scénario central de l'Insee. Il est évident que les prévisions doivent bouger et il serait inquiétant que ce ne soit pas le cas. Dans une annexe du rapport du COR, nous expliquons les écarts depuis 2016. Tout peut bouger : les prévisions du Gouvernement, les hypothèses du COR, celles de l'Insee sur la démographie.

Un report de l'âge de départ à la retraite déplace le problème de l'emploi des seniors mais ne l'aggrave pas : l'analyse de ce qui s'est passé depuis 2010 le démontre. L'âge légal de départ à la retraite s'est progressivement décalé de 60 à 62 ans, et la durée de cotisation s'est allongée. L'âge de sortie de l'activité et l'âge de sortie de l'emploi se sont décalés de manière quasiment parallèle. Repousser l'âge tire donc à la fois la sortie de l'emploi et la sortie de l'activité. Ceci est un résultat fondamental. Toutefois, ce n'est pas parce que cela s'est produit dans le passé que cela va se reproduire : passer de 60 à 62 ans n'est pas identique à passer de 62 à 64 ans. Certains travaux de Michaël Zemmour sont en accord avec cette tendance fondamentale, mais font état de différenciations dans cette évolution moyenne selon les catégories, les évolutions étant plus défavorables aux ouvriers et aux employés qu'aux cadres. Le message à retenir est que le report de l'âge de la retraite aboutit au maintien dans l'emploi des seniors.

La question qui se pose est celle de l'effet de la réforme sur les personnes qui ne sont pas des seniors. Les économistes font consensus : à long terme, quand l'économie est à l'équilibre, le travail des seniors n'est pas l'ennemi de l'emploi des jeunes ; le travail n'est pas un gâteau que l'on se partage. Ce n'est pas parce que les seniors travaillent que les jeunes ne travaillent pas, au contraire. C'est dans les pays où les seniors travaillent le plus que les jeunes travaillent le plus également.

La question s'est posée au début de l'année 2022, lors d'une séance du COR. Lorsqu'une réforme des retraites est mise en œuvre, l'on amène des seniors à rester dans le marché de l'emploi. C'est un choc positif en matière d'offre sur le marché du travail. En cas de choc positif dans un marché, les prix baissent – en l'occurrence, ici, il s'agit des salaires. Dans un premier temps, l'on augmente le chômage, puis cela pèse sur les salaires, avant un retour à l'équilibre et à la situation dans laquelle l'emploi des seniors n'est pas l'ennemi du travail des jeunes.

Jusqu'à cette séance de début 2022, les deux modèles que nous utilisions – le modèle Mésange du Trésor et le modèle OFCE – aboutissaient à peu près au même résultat. Cela me paraissait être une donnée acquise de la science, et faisant l'objet d'un consensus. En janvier 2022, ce consensus a été brisé, et il s'agit maintenant d'une question controversée. Le Trésor a indiqué que pour projeter une réforme des retraites, il n'utilisait plus le modèle Mésange, car ce modèle n'était plus adapté. Depuis, le Trésor et l'OFCE ne délivrent plus le même message.

Entre la méthode Mésange et la nouvelle approche du Trésor, baptisée « approche comptable », l'écart est significatif, surtout à court terme. Avec l'approche keynésienne de Mésange ou avec l'approche actuelle de l'OFCE, nous avons au bout de cinq ans un surcroît de PIB de zéro et une amélioration globale des finances publiques de 0,1 point de PIB. Avec l'approche comptable, nous avons au bout de cinq ans un surcroît de 0,9 point de PIB et une amélioration des finances publiques de 0,6 point de PIB. Je ne vais pas trancher cette controverse. Nous avons assisté à ce débat, nous en avons rendu compte dans le rapport du COR en septembre 2022.

Le dossier de presse relatif à la réforme des retraites ne comporte pas d'éléments sur les conséquences macroéconomiques de cette réforme. La référence du Gouvernement est « l'approche comptable ».

Cela me permet de répondre à d'autres questions sur la direction générale du Trésor : je n'en pense pas grand-chose, puisqu'il existe une controverse et que je m'en remets sur ces questions à plus sachant que moi ainsi qu'à vos travaux.

Le scénario le plus défavorable est le scénario d'une croissance de la productivité du travail à 0,7 %. Il correspond effectivement à l'évolution de la productivité que nous avons connue sur les dix dernières années.

Pour notre part, nous nous projetons à cinquante ans. Si je suis pessimiste, constatant que la situation n'a pas été favorable au cours des dix dernières années et craignant qu'elle le reste durant cinquante ans, ce n'est pas le cas de mes homologues américains. Ces derniers constituent un Board of Trustees qui réunit des économistes, et non des partenaires sociaux. Aux États-Unis, il existe également un système de retraite et de sécurité sociale, et des projections sont donc effectuées. Dans ce cadre, il apparaît que le scénario central de nos amis américains retient une hypothèse de croissance de la productivité de 1,6 %, ce qui correspond à notre scénario le plus favorable. Les Américains sont certainement d'incorrigibles optimistes, des naïfs qui croient au progrès technologique, à l'innovation… Pour notre part, nous sommes beaucoup plus pessimistes.

Le COR propose quatre hypothèses et n'en privilégie aucune. Le Gouvernement avait choisi la référence de 1,3 % il y a cinq ans et il a choisi une référence de 1 % pour cette réforme. Il s'agit de l'un des éléments centraux du débat mais il vous revient de déterminer à quel niveau vous vous placez. Personnellement, je ne sais pas ce que seront les innovations. Je vous présente donc quatre hypothèses sans en privilégier aucune. En revanche, lorsque l'on conduit une réforme, il convient de choisir une référence. En 2021, nous avons organisé un colloque du COR sur ce sujet et vous pouvez prendre connaissance des positions des uns et des autres. Je vous invite également à lire ce que font nos voisins américain et européens. En effet, l'Union européenne établit également des projections des dépenses liées au vieillissement – vieillesse, famille, maladie, etc. Son scénario de référence à long terme est plutôt celui d'une croissance de la productivité du travail de 1,4 % ou 1,5 %.

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