Intervention de Jean-François Ricard

Réunion du mercredi 1er février 2023 à 14h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Jean-François Ricard, procureur de la République antiterroriste :

Les questions sont très nombreuses et vous soulevez trois points différents. Sur la période au cours de laquelle M. Elong Abé était entre les mains des autorités américaines à Bagram, nous ne détenons aucune information. Par ailleurs, une distinction nous semble indispensable à faire entre la dangerosité terroriste et la dangerosité pénitentiaire. Les voyous et les mafieux peuvent être d'une dangerosité extrême à l'extérieur et être d'une courtoisie, d'une politesse et d'un calme absolus en milieu carcéral. De la même manière, de hauts responsables terroristes – j'en ai connus plus d'un – sont parfaitement insérés en détention, comme les délinquants de droit commun. En revanche, M. Elong Abé, par ses problèmes psychiatriques et sa trajectoire, peut présenter d'autres difficultés de gestion.

Par ailleurs, entre sa date d'incarcération, la date des faits et sa date possible de sortie de détention, beaucoup d'événements se sont produits. L'évolution n'est pas linéaire, tout ne se passe pas en un mois. Lorsque M. Elong Abé est incarcéré, le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) n'est pas encore créé puisqu'il l'est en mai 2019. Seul un embryon de service de renseignement pénitentiaire existe alors – le MS-3. À cette époque, les capacités de renseignement en milieu pénitentiaire, de croisement et de gestion de ce renseignement sont moindres. Il s'agit de périodes de grande ignorance, en tout cas de moins bonne connaissance de ce qui se passe en détention. M. Elong Abé est un combattant mais sa dangerosité pénitentiaire relève surtout de sa personnalité. C'est très différent de sa dangerosité terroriste que j'aurais du mal à qualifier – je me garderai bien de le faire.

Vous avez également évoqué qu'il allait devenir auxiliaire alors qu'il était considéré comme quelqu'un de particulièrement dangereux. Mais cela intervient beaucoup plus tardivement, dans une période de pré-sortie. La gestion d'un détenu dans les deux ans précédant la date probable de sa sortie s'assouplit toujours, qu'il s'agisse d'un détenu de droit commun ou d'un TIS. Initialement, M. Elong Abé aurait dû sortir en novembre 2022. Il devient auxiliaire en septembre 2020, à une période où, comme le rapport de la mission d'inspection le souligne, le nombre d'incidents à Arles est beaucoup plus faible – trois de mémoire.

Vous m'avez questionné sur l'affectation en QER. Nous avons effectivement répondu par mail au greffe d'Alençon-Condé-sur-Sarthe le 23 juillet 2019 dans le cadre de décisions d'orientation et de transfert, en langage pénitentiaire des transferts par mesure d'ordre et de sûreté. Pour un premier détenu islamiste, nous avons rendu un avis défavorable pour une affectation en QER. En 2019, contrairement à ce que le rapport de l'IGJ mentionne, les QER n'existent pas depuis cinq ans mais depuis deux ans. Pour le premier détenu, nous avons estimé qu'une affectation en QER était totalement inenvisageable eu égard à la dangerosité de l'intéressé et à l'absence de toute plus-value compte tenu des dates de sortie envisagées. Pour M. Elong Abé, nous avons émis un avis très réservé pour un transfert en QER de la région parisienne – c'est ce qui nous était demandé, et qui impliquait donc un transfert dans un autre établissement – compte tenu de son profil pénal et pénitentiaire, ce dernier multipliant les incidents alors qu'il venait déjà d'être transféré. S'agissant d'un transfert, nous devons répondre.

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