Intervention de Jean-François Ricard

Réunion du mercredi 1er février 2023 à 14h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Jean-François Ricard, procureur de la République antiterroriste :

Je suis bien d'accord mais pouvons-nous penser un instant qu'il existait un doute concernant M. Elong Abé, compte tenu de son parcours de combattant en Afghanistan et de ce qu'il avait commis à l'encontre d'un médecin, quant au risque de passage à l'action violente ? M. Elong Abé avait déjà commis de multiples actions violentes. À l'été 2019, celles-ci étaient telles qu'il mettait le feu à sa cellule quasiment tous les trois jours.

Nous sommes donc sur la question d'une affectation en QER afin de réaliser une évaluation. Il s'agit pour nous du premier point. Cette évaluation était à l'époque totalement inutile car il était avéré que sa dangerosité était déjà assise dans les faits, par son passé et par son comportement en détention renouvelé. Par ailleurs, la décision d'orientation au sein d'un établissement distinct de son établissement d'origine, dans le cadre notamment d'un transfert par mesure d'ordre et de sûreté, impose cet avis préalable du magistrat. Nous devions donc bien nous prononcer et nous l'avons fait de cette manière car nous avons jugé que la situation était alors inappropriée. En effet, un QER ne conduit pas à un examen individuel, surtout en 2019, époque où les QER étaient tout récents. Une orientation en QER décidée en juillet 2019 aurait été extrêmement risquée pour toute la session. Cela ne signifie pas que nous nous serions systématiquement opposés par la suite à toute affectation de l'intéressé en QER. Un QER n'est pas un quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR). Il vise à évaluer si une personne détenue présente une radicalisation nécessitant une prise en charge adaptée. Il exige une observation du comportement du détenu et de ses interactions avec les autres. À l'époque, en présence d'une personne aussi dangereuse, la session de QER aurait été perdue pour l'ensemble des autres participants. Pour rappel, on dénombre environ 400 détenus djihadistes en permanence. Il est hors de question de prendre des risques inutiles en l'espèce. J'ajoute, comme le rapport d'inspection le mentionne, que la cheffe du service des métiers de la DAP et le directeur de l'administration pénitentiaire, tout comme le PNAT et les JAP ont estimé inopportune une telle affectation. Autrement dit, tous ceux ayant une vision globale – j'insiste sur ce point – des terroristes djihadistes partageaient le même constat, c'est-à-dire le caractère alors inapproprié cette affectation.

Je voudrais ajouter deux autres points. Estimer que l'affectation en QER puisse avoir comme finalité d'éviter un passage à l'acte violent est une erreur. Elle vise à évaluer la dangerosité d'un détenu. En 2019, M. Elong Abé avait déjà fait preuve de sa dangerosité. Je voudrais revenir sur la portée très relative de l'apport des QER, qui constituent d'abord et avant tout un instrument de gestion pénitentiaire. Par ailleurs, l'orientation de l'intéressé est importante en particulier au moment de la sortie de détention. Nous aurions alors été favorables à une orientation en centre national d'évaluation (CNE) ou en QER, mais pas en 2019. Surtout, il n'est possible d'aller en QER qu'en période d'accalmie. Il n'est pas envisageable d'envoyer en QER une personne incapable de se contrôler. Notre position a été totalement confirmée sur le fond par la dépêche de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du 18 janvier 2023, reprise ensuite par la DAP, qui conforte exactement les motifs de l'avis très réservé du PNAT pour l'affectation de M. Elong Abé en QER. Cette dépêche indique que l'orientation en QER des personnes détenues pour des faits de terrorisme est désormais systématique – parce qu'on a maintenant les moyens de le faire, ce qui n'était pas le cas en 2019 –, à l'exception des profils présentant une pathologie psychiatrique avérée et non stabilisée, rendant impossible leur évaluation, et de ceux pour lesquels une levée d'isolement ferait écho à un risque imminent de passage à l'acte violent au cours de la session d'évaluation. Autrement dit, dans cette dépêche, la DACG dit exactement que dans un cas comme celui de M. Elong Abé, une orientation en QER n'est pas possible.

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