Intervention de Gabriel Attal

Réunion du jeudi 7 juillet 2022 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics :

C'est un plaisir et un honneur d'être devant vous, pour la première fois en qualité de ministre délégué chargé des comptes publics. Je vous félicite pour votre élection et votre choix de siéger dans cette commission, où nous serons amenés à travailler ensemble régulièrement.

Nous sommes donc réunis pour l'examen du projet de loi de règlement, passage obligé de la procédure budgétaire, qui est l'occasion de porter un regard sur l'année écoulée et un moment important de mise en perspective.

Sur le plan sanitaire, 2021 a été une année en montagnes russes, au plan mondial, ce qui a eu des conséquences en chaîne sur la production, l'approvisionnement et les prix. Dans un environnement marqué à la fois par cette instabilité et la reprise postcovid, l'exécution budgétaire de 2021 illustre les trois principes qui, hier comme aujourd'hui, guident notre action : protéger, relancer et maîtriser.

Sur le plan international, 2021 a été une année de rebond, avec une croissance de 6,1 % après la récession mondiale de la crise du covid. Cette reprise a été facilitée par les politiques budgétaires décidées par les gouvernements mais aussi par le maintien de politiques monétaires accommodantes. L'aire des taux quasi nuls est d'ailleurs en train de se refermer, nous aurons l'occasion d'en parler.

Dans la zone euro, l'activité économique a fortement rebondi avec une croissance de 5,4 %, quoique les situations aient été contrastées, les performances des différents États étant variables selon les restrictions décidées ou l'ampleur des soutiens budgétaires. Avec un taux de 6,8 %, la reprise de l'économie française se situe 1,4 point au-dessus de la moyenne, ce dont nous pouvons collectivement nous féliciter.

Plusieurs dérèglements sont néanmoins apparus au fil des mois, certains liés aux résurgences épidémiques – comme la vague omicron de l'automne – et d'autres à la reprise elle-même, en raison d'un phénomène de surchauffe économique partout constaté. Nous avons donc redécouvert le fléau de l'inflation, que nous combattons vigoureusement pour protéger les Français.

La forte reprise a mis l'économie mondiale à rude épreuve afin de satisfaire l'explosion de la demande, à quoi se sont donc ajoutés les épisodes de résurgence du covid, ce qui a entraîné plusieurs goulots d'étranglement sur les chaînes de production et d'approvisionnement : usines mises à l'arrêt, blocage de grands ports, dont celui de Shanghai, en raison de la politique locale du « zéro covid »… Cet engorgement de la logistique mondiale a entraîné des retards, des pénuries, des hausses de prix de la plupart des matières premières dans un contexte déjà marqué par un fort renchérissement du prix de l'énergie.

Les tensions inflationnistes ne datent donc pas de l'invasion de l'Ukraine mais de l'automne 2021. Face à cette nouvelle donne, le Gouvernement a réagi sans tarder avec le blocage des prix du gaz et de l'électricité, l'indemnité d'inflation de 100 euros, versée à 38 millions de personnes, le chèque énergie exceptionnel. Ces mesures, dont certaines ont été prises dès septembre ou octobre 2021, nous ont permis de contenir la hausse des prix, et donc ses conséquences sur le portefeuille des Français. L'inflation, certes, est trop élevée mais elle est inférieure de 3 points à la moyenne de la zone euro.

Certaines mesures ayant des conséquences directes sur les finances publiques de 2021, le second projet de loi de finances rectificative présenté en novembre dernier prévoyait notamment l'ouverture de 3,8 milliards d'euros de crédits de paiement pour financer l'indemnité d'inflation de 100 euros, et de 600 millions pour le chèque énergie exceptionnel versé à 5,8 millions de ménages modestes en décembre dernier.

Trois principes ont donc guidé notre action en 2021 : protéger, relancer et maîtriser.

Protéger, tout d'abord. Nous avons poursuivi l'effort pour contrer les effets de la crise du covid, en adaptant constamment nos dispositifs aux contextes sanitaire et économique. Nous l'avons fait à travers deux PLFR, adoptés en juillet et en novembre 2021, qui ont ouvert près de 11,5 milliards d'euros de crédits supplémentaires. Nous n'avons ainsi laissé personne sur le bord du chemin, ni les entreprises, ni les ménages, en portant une attention particulière aux plus vulnérables.

Les mesures de protection sanitaire assorties de restrictions d'activité décidées pour limiter la circulation du virus auraient eu des effets dramatiques si nous ne les avions pas contrebalancées par de puissants mécanismes de soutien à notre économie et à nos concitoyens les plus exposés. Je pense notamment au fonds de solidarité et à l'activité partielle, que nous avons su mettre à la disposition des acteurs économiques au bon moment, dès 2020, puis adapter, avant de réduire progressivement la voilure.

Je pense aussi aux mesures qui ont permis de protéger le pouvoir d'achat. D'après l'INSEE, le pouvoir d'achat des ménages par unité de consommation a continué de progresser de 1,9 % en 2021. Même si ce chiffre statistique ne décrit pas ce qu'est la vie quotidienne des Français, un tel résultat s'explique par les choix politiques qui ont été faits, avec des dispositifs massifs comme l'indemnité d'inflation et la prolongation du repas à 1 euro pour les étudiants boursiers instaurée dès la rentrée 2020.

L'année dernière, 34,4 milliards d'euros de crédits ont été mobilisés sur le budget de l'État pour la mission Plan d'urgence face à la crise sanitaire. Composée de cinq programmes, elle a permis de financer l'activité partielle, le fonds de solidarité pour les entreprises, le renforcement des participations de l'État au capital d'entreprises publiques fragilisées par la crise, notamment Air France-KLM en avril 2021, la compensation à la sécurité sociale des allègements de prélèvements pour les entreprises les plus touchées par la crise sanitaire, ainsi que l'achat de matériels sanitaires pour faire face à la pandémie.

S'agissant de l'activité partielle, le retour progressif au dispositif de droit commun s'est traduit par une baisse significative du nombre d'entreprises bénéficiaires, ce qui est plutôt une bonne nouvelle puisque cela signifie qu'elles n'en avaient plus besoin. En 2021, 500 000 entreprises ont eu recours à ce dispositif contre un peu plus d'un million lors du premier confinement. Pour les secteurs frappés par les fermetures, nous avons maintenu le dispositif de prise en charge maximum de l'activité partielle jusqu'au dernier jour de l'année, soit le versement d'une compensation représentant 70 % des salaires. Globalement, 3,5 millions de salariés ont été ainsi protégés l'année dernière contre 9,5 millions au plus fort de la crise sanitaire, en 2020.

Le fonds de solidarité traduit l'effort sans précédent qui a été mené en 2021 afin de répondre aux besoins des entreprises, en proposant des compensations ciblées pour les plus grandes entreprises, celles dont les coûts fixes sont particulièrement importants ou celles qui sont soumises à une forte saisonnalité. Près de 27 milliards d'euros ont été exécutés en 2021 sur le programme, ce qui a permis de financer le premier volet, « classique », du Fonds de solidarité – 23,9 milliards d'euros – ainsi que les aides « coûts fixes » – 1,7 milliard d'euros – à quoi s'ajoutent des dispositifs dédiés à des secteurs très particuliers : aides spécifiques pour les remontées mécaniques, aides pour les stocks, notamment dans le secteur du vêtement, aides en faveur des régies et aide à la reprise d'entreprises.

Au 31 décembre dernier, les prêts garantis par l'État (PGE) recouvraient un engagement de 93 milliards d'euros, ce qui représente une légère baisse par rapport à fin 2020. Cette diminution est liée d'une part aux remboursements intervenus et, d'autre part, à la diminution du montant de la provision pour risque d'appel en garantie compte tenu de la nette amélioration de la situation des entreprises bénéficiaires, ce qui est là encore plutôt une bonne nouvelle.

Après protéger, relancer. L'année 2021 a été placée sous le signe de la relance, comme en atteste l'exécution budgétaire que nous vous soumettons. Dans la période que nous avons vécue, l'enjeu n'était pas uniquement de parer à l'urgence mais aussi de préparer l'avenir. État protecteur, donc, mais aussi État stratège, avec les 100 milliards d'euros du plan de relance, qui renforcent les moyens dont dispose la puissance publique pour relever trois défis essentiels : l'accélération de la transition écologique, l'amélioration de la compétitivité des entreprises et le renforcement de la cohésion sociale et territoriale.

Je tiens à souligner la célérité avec laquelle le plan a été mis en application. Nous avions fixé des objectifs très ambitieux en matière d'engagement des crédits, de décaissement et d'exécution. Or, à la fin de 2021, nous avons atteint un niveau d'engagement et de décaissement supérieur à ces objectifs que certains tenaient pour irréalisables, avec respectivement 72 et 42 milliards d'euros.

Les résultats du plan sont tout aussi bons. En matière de transition énergétique, 765 000 ménages ont formulé une demande en 2021 au titre du dispositif MaPrimeRénov' pour améliorer l'efficacité énergétique de leur logement. Et entre l'été 2020 et fin 2021, 610 000 ménages, encouragés par notre prime à la conversion, ont opté pour des véhicules électriques ou hybrides.

En matière de compétitivité, environ un tiers des entreprises industrielles françaises ont été soutenues pour relocaliser, développer ou moderniser des activités en France, notamment à travers le dispositif Industrie du futur : fin 2021, près de 7 900 entreprises en avaient bénéficié, dont 90 % de PME et de très petites entreprises et 10 % d'entreprises de taille intermédiaire. Le fonds de modernisation automobile et aéronautique a été déployé, de même que, dans les secteurs stratégiques, le soutien à la relocalisation industrielle ou le dispositif Territoires d'industrie, bien connu des parlementaires, avec plus de 1 300 projets lauréats fin 2021.

En matière de cohésion enfin, 4 millions de jeunes ont directement bénéficié du plan « 1 jeune, 1 solution ». L'aide exceptionnelle aux employeurs d'apprentis a notamment favorisé un flux d'entrées en apprentissage à un niveau inédit, largement apprécié sur le terrain, avec plus de 732 000 jeunes concernés fin 2021 contre moins de 300 000 en 2017.

De nombreux autres dispositifs ont connu le succès, comme l'aide à l'embauche des jeunes, le plan d'investissement dans les compétences, les parcours contractualisés d'accompagnement adapté vers l'emploi et l'autonomie.

Sans aucun doute, ces politiques ont puissamment contribué à la reprise vigoureuse de l'activité que nous avons constatée l'année dernière, qui a permis à l'économie française de retrouver son niveau d'avant la crise avec six mois d'avance par rapport aux objectifs fixés. Les esprits chagrins verront là un simple effet de rattrapage, que d'ailleurs personne ne nie, après la contraction de 2020, mais admettons ensemble que son ampleur s'explique largement par les mesures de protection que nous avons promues. Une comparaison internationale, y compris européenne, montre que peu de pays ont retrouvé leur niveau de PIB d'avant crise dans les mêmes délais.

Maîtriser, enfin. Des comptes bien tenus sont en effet la condition sine qua non pour tenir des objectifs qui se situent bien au-delà des raisonnements financiers et qui garantissent notre indépendance, notre souveraineté et notre capacité à agir.

Le déficit public, qui était de 8,9 % en 2020, s'est établi en 2021 à 6,4 %. Cette amélioration résulte largement du rebond de l'activité économique, que l'INSEE a révisé fin mai à 6,8 % au lieu de 7 %. Il s'agit du taux de croissance le plus élevé depuis 1969 et de l'un des plus soutenus de la zone euro. Le « quoi qu'il en coûte », qui s'est imposé aussi longtemps que la situation économique l'exigeait, a joué un rôle décisif. Parce qu'ils savaient que l'État se tenait à leur côté, les ménages ont consommé et les entreprises ont sauvegardé l'emploi et investi. Cette croissance a été forte parce que les acteurs économiques ont compris que la puissance publique jouait pleinement son rôle d'amortisseur.

La très bonne dynamique du marché du travail, avec la création de près de 700 000 emplois nets dans le secteur privé en 2021, tient bien sûr à la croissance mais aussi aux réformes structurelles que nous avons conduites en matière d'assurance chômage, de formation professionnelle ou de renforcement de la compétitivité. Au quatrième trimestre 2021, le taux de chômage a ainsi atteint 7,4 %, son niveau le plus bas depuis 2008.

L'année 2021 a donc été la première étape sur le chemin qui doit nous conduire à ramener le déficit public sous la barre des 3 % en 2027. Une dynamique vertueuse a été engagée avec le reflux du déficit et des recettes fiscales plus élevées que prévu. Nous entendons poursuivre cette dynamique de maîtrise des comptes durant ce quinquennat, tout en maintenant les protections indispensables pour les Français les plus touchés par la hausse des prix.

Malgré donc cette réduction significative du déficit public, le solde public reste dégradé, en raison des mesures de soutien et d'investissement. Le solde budgétaire s'établit à – 170,7 milliards d'euros en 2021, en légère amélioration – de 2,5 milliards d'euros – par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2021. Cela résulte notamment d'une hausse des recettes de 37,9 milliards d'euros par rapport à la LFI, qui s'explique principalement par la reprise de l'activité économique, en particulier en fin de premier semestre.

Je vous le dis solennellement : le quinquennat qui commence ne peut être celui de l'irresponsabilité budgétaire. Au contraire, il tiendra le cap de la non-augmentation des impôts et de la protection des Français les plus vulnérables face à l'inflation tout en s'appliquant à maîtriser nos comptes publics, ce qui est le gage de notre indépendance et de notre souveraineté.

Comme le Président de la République l'a annoncé, notre objectif est de ramener le déficit sous les 3 % en 2027. La dette des administrations publiques a quant à elle été ramenée à 112,5 % du PIB en 2021, après avoir atteint son plus haut niveau historique en 2020, avec 114,6 %. Notre objectif est de la stabiliser en 2026 et de la réduire ensuite graduellement.

Ces 3 % ne sont pas un totem, pas plus qu'il n'est question de nous soumettre à je ne sais quel diktat. Nous considérons qu'une grande nation doit honorer ses engagements, en l'occurrence à l'égard de nos partenaires européens, car il y va de notre crédibilité. Nous sommes également en train de changer d'époque : ce qui était soutenable lorsque les taux d'intérêt étaient faibles ne l'est plus lorsqu'ils remontent. Or toutes les banques centrales remontent leurs taux directeurs, ce qui a des effets immédiats sur le coût des endettements. En juin dernier, le rendement des obligations assimilables du Trésor à dix ans a franchi les 2,5 %. Nous avons la responsabilité de tenir compte de ce mouvement inexorable – qui est aussi une réponse à l'inflation – et d'adapter nos choix pour préserver notre capacité à financer nos priorités.

Cette remontée des taux aura de lourdes conséquences sur le plan budgétaire : nous discuterons cet après-midi de l'ouverture des crédits consacrés à la charge de la dette, qui augmentera très fortement en 2022. Selon les estimations de l'Agence France Trésor, dans une hypothèse de hausse de 1 % des taux d'intérêt, le surcoût budgétaire serait de 6,1 milliards d'euros en 2023 et de 18,4 milliards d'euros en 2027.

Laisser filer les comptes, c'est se priver de moyens pour agir en temps de crise. C'est parce que nous avons retrouvé des marges de manœuvre financières grâce à notre sérieux budgétaire entre 2017 et 2020 que nous avons pu financer le « quoi qu'il en coûte ». Par ailleurs, il n'y a pas d'indépendance sans comptes bien tenus : une nation surendettée ne peut être libre. Pour autant, allons-nous augmenter les impôts des Français ? Non, comme nous l'avons dit et rappelé. Nous les avons baissés de 50 milliards d'euros lors du précédent quinquennat et nous poursuivrons en ce sens. Allons-nous démanteler les mécanismes de protection, alors que l'inflation fait rage ? Non : nous les maintiendrons et dans certains cas nous les renforcerons, pour ceux qui en ont le plus besoin. Allons-nous sacrifier nos priorités sur l'autel d'une prétendue austérité ? Non encore : la rigueur n'existe pas, sauf dans l'esprit de ceux qui veulent jouer avec les peurs des plus fragiles. Nous continuerons à financer les grandes priorités du quinquennat : l'école, la santé et la sécurité.

Bref, notre stratégie est claire : tenir les comptes pour continuer de protéger les Français, pour financer les dépenses indispensables que nous devrons engager pour la transition énergétique et écologique. En tant que ministre délégué chargé des comptes publics, je veillerai scrupuleusement, et je sais que vous aussi, à respecter l'équilibre entre deux impératifs qui sont moins contradictoires qu'il ne semble : maîtriser les comptes, c'est aussi protéger les contribuables puisque c'est ainsi que l'on peut tenir les engagements de baisse des impôts ; protéger ceux qui en ont besoin, ce n'est pas seulement être juste, c'est aussi être efficace car l'on évite ainsi des dépenses bien plus lourdes par la suite. L'inaction, de surcroît, serait un drame social et humain. Dans la vie d'une nation comme dans la vie tout court, il y a des dépenses qui rapportent et des économies qui coûtent.

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