Intervention de Cécile Delazzari

Réunion du mercredi 8 février 2023 à 17h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Cécile Delazzari, vice-présidente de l'Association nationale des juges de l'application des peines :

Les JAP de droit commun, qui sont au nombre de 434, ont un quotidien assez différent de celui des 3 JAPAT. Nous n'avons quasiment aucun contact avec le PNAT, car notre activité, en règle générale, ne le nécessite pas. En revanche, nous entretenons parfois des relations avec les JAPAT. L'article 706-22-1 du code de procédure pénale lie la compétence du JAPAT à celle de la juridiction de jugement et d'instruction. En conséquence, le JAPAT intervient en lieu et place du JAP initialement compétent, soit à raison du lieu de détention, soit à raison du domicile de la personne lorsque celle-ci a été jugée par une juridiction antiterroriste, autrement dit lorsqu'on a suivi toute la chaîne de jugement, et éventuellement d'instruction, antiterroriste.

La compétence peut néanmoins être concurrente : certaines infractions à caractère terroriste considérées comme moins graves – comme l'apologie du terrorisme ou la provocation directe au terrorisme – peuvent relever à la fois de la compétence du JAPAT et du JAP, qui alors ont des échanges, généralement par courriels, pour déterminer lequel d'entre eux est appelé à statuer. Lorsque les JAPAT connaissent déjà le profil des individus concernés, ils ont tendance à garder la main car ils estiment pouvoir apporter une plus-value lors de l'examen du dossier. Dans d'autres cas plus marginaux en termes de menace terroriste, ils préfèrent ne pas « s'encombrer » de dossiers supplémentaires très chronophages et qui peuvent utilement être examinés par des JAP.

En revanche, les JAP n'ont pas réellement d'échanges avec le PNAT. Des discussions ont lieu en début d'enquête entre le parquet de droit commun et le PNAT sur la qualification à retenir – donc sur la compétence de ce dernier –, mais elles interviennent à un stade qui ne concerne pas les JAP. C'est la raison pour laquelle je ne peux pas répondre complètement à votre question.

Le questionnaire abordait ensuite le fameux sujet de l'affectation en QER. Le problème est beaucoup plus large et, selon moi, ne se réduit pas nécessairement à un problème relationnel. Même si c'est difficile quatre ans après les faits, il faut essayer de se remettre dans le contexte où les avis sur cette affectation ont été émis.

De ce que je comprends du rapport de l'IGJ – et, encore une fois, je n'ai pas eu accès au reste du dossier –, dans cette affaire le JAPAT et le procureur ont formulé un seul avis lorsqu'ils ont été sollicités sur l'affectation en QER, en juillet 2019. Je fais un lien entre cette question et celle que vous venez de me poser, dont je comprends qu'elle porte sur les raisons pour lesquelles l'avis a été formulé par le PNAT et non par le parquet du lieu de détention. À l'époque, en effet, les textes n'étaient pas si clairs – et ils ne le sont d'ailleurs toujours pas tellement.

Si l'on reprend la chronologie des textes publiés sur la procédure de placement en QER, le premier d'entre eux est constitué par la note de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) du 23 février 2017. Cette note prévoit dans quels cas les détenus peuvent être affectés en QER, puis éventuellement en quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR). Un an plus tard, le 27 février 2018, le plan national de prévention de la radicalisation est présenté par le Gouvernement. Son objet, beaucoup plus large, ne se limite pas au domaine pénitentiaire. Ce dernier est concerné par trois mesures – nos 55 à 57 –, relatives notamment aux QER et aux QPR. La note joue en quelque sorte le rôle d'une circulaire et le plan national de prévention a un caractère indicatif. Au moment où le PNAT et le JAPAT émettent un avis, au mois de juillet 2019, il n'y a pas d'autre texte que la note de la DAP. Il faudra attendre le décret du 31 décembre 2019, qui créé les articles R. 57-7-84-13 et suivants du code de procédure pénale – entrés en vigueur le 2 janvier 2020 –, pour disposer d'un texte codifié sur la procédure d'affectation en QPR et sur les avis qui doivent être formulés à cette occasion. Ces articles seront ensuite transférés à droit à peu près constant au sein des articles R. 224-13 et suivants du code pénitentiaire, en mai 2022. Ils fixent les règles toujours en vigueur en matière d'affectation en QER et en QPR.

En pratique, il faut être particulièrement clair sur le fait qu'aucun JAP ou parquetier ne prend l'initiative d'émettre un avis sur une affectation dans un quartier ou établissement particulier. C'est une décision pénitentiaire et non pas judiciaire, qui relève seulement de l'administration pénitentiaire et échappe complètement aux magistrats. L'administration pénitentiaire décide en fonction de paramètres tels que les flux entre établissements, le rapprochement familial ou la gestion des détenus difficiles. Lorsque l'avis du JAPAT et du PNAT a été sollicité – encore une fois je m'appuie uniquement sur le rapport de l'IGJ –, il était question du départ de Franck Elong Abé du centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe parce qu'on était face à un détenu qu'on avait du mal à gérer, avec une vingtaine d'incidents lors des trois dernières années. De manière habituelle, l'administration pénitentiaire transfère les détenus trop compliqués, de manière à apaiser les tensions et à ne pas épuiser ses personnels. Cela vaut aussi pour les détenus de droit commun. À l'époque, on a sollicité l'avis du JAPAT et du parquet, sans quoi ils n'auraient même pas été au courant qu'il était envisagé un transfèrement de ce détenu vers un autre établissement.

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