Intervention de Laurent Marcangeli

Séance en hémicycle du jeudi 2 mars 2023 à 15h00
Instaurer une majorité numérique et lutter contre la haine en ligne — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Marcangeli, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Je suis très heureux de vous présenter cette proposition de loi adoptée à l'unanimité, le 15 février dernier, lors de son examen devant la commission des affaires culturelles. Je remercie sa présidente, Isabelle Rauch, et ses membres pour la qualité de nos échanges, qui ont permis de l'améliorer et de l'enrichir dans un esprit de consensus. Cela démontre, s'il en était besoin, que sur certaines questions essentielles comme la protection des mineurs, notre assemblée est capable de travailler de façon efficace et transpartisane. Je m'en félicite et j'espère que cet esprit constructif prévaudra également aujourd'hui.

Dès mon élection en juin 2022, j'ai considéré qu'il était primordial de me pencher sur les relations entre les jeunes et les réseaux sociaux, sujet devenu incontournable et même préoccupant, ces dernières années. L'enjeu est d'importance et ma proposition de loi vise à s'en saisir avec humilité, certes, mais non sans ambition. J'ai donc choisi que ce texte, sur lequel je travaille avec mon équipe depuis plusieurs mois, soit inscrit à l'ordre du jour de la première journée d'initiative parlementaire du groupe Horizons et apparentés que j'ai l'honneur de présider.

Par cette initiative législative, il me semblait nécessaire de lancer un débat sur ces questions et d'inviter chaque parent – moi compris – à s'interroger sur les usages numériques de son ou ses enfants. Je suis bien conscient qu'un véhicule législatif aussi modeste ne permet pas d'embrasser l'ensemble des problématiques soulevées par les réseaux sociaux. Néanmoins, j'espère bien, avec votre concours, apporter une pierre non négligeable à la construction d'un écosystème global pour la protection de l'enfance en ligne.

Avec ce texte ciblant les réseaux sociaux, rendu plus opérationnel par les apports des auditions et consultations que j'ai menées ainsi que par ceux de nos discussions en commission, je pense que l'objectif peut être atteint. Nous ressentons tous l'urgence qu'il y a à légiférer en ce domaine.

Le premier smartphone est possédé en moyenne avant 10 ans en France. Il ne s'agit ici ni de le déplorer, ni de tenir un discours moralisateur, ni de condamner des usages de plus en plus répandus parmi les jeunes. Ce serait là une position dépassée et, pire encore, inefficace. Nous devons cependant prendre conscience de la précocité croissante de cette puberté numérique et de la puissance des outils mis à disposition de nos jeunes, au lieu de nous contenter d'en observer les potentiels dommages. Nous devons agir pour poser les garde-fous indispensables à leur protection.

Nos sociétés sont désormais confrontées à un double défi de santé publique et de protection de l'enfance. Le constat posé par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) en 2021 est sans appel : nous assistons à une massification et une autonomisation des pratiques numériques chez les jeunes publics. Ainsi, 82 % des enfants de 10 à 14 ans se rendent régulièrement sur internet sans leurs parents et plus de 50 % d'entre eux sont présents sur les réseaux sociaux, sur lesquels ils s'inscrivent en moyenne vers 8 ans et demi.

Pourtant, les parents sous-estiment de façon structurelle les activités numériques de leurs enfants. L'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (Open) et l'Union nationale des associations familiales (Unaf), deux associations dont j'ai rencontré les représentants, soulignent que les jeunes sont massivement présents sur les réseaux sociaux, et de plus en plus tôt.

Les réseaux sociaux, s'ils peuvent être un espace qui offre de nouvelles possibilités aux jeunes utilisateurs, sont aussi le lieu de convergence de risques multiples. Qui peut raisonnablement affirmer qu'il est normal que de jeunes enfants naviguent librement, avec leur propre compte, sur un réseau social ? Qu'ils soient invités, par défi, à se brûler un doigt ou à s'entailler la joue pour y laisser une cicatrice permanente ? Qu'ils soient assaillis par des contenus à la fiabilité douteuse, des fake news ou des propos complotistes viraux, alors que leur esprit critique n'est pas encore pleinement forgé ? Qu'ils soient exposés plusieurs heures par jour à des standards de beauté inatteignables, à moins de recourir à la chirurgie esthétique ?

Mes chers collègues, vous l'aurez compris, ces risques sont d'abord psycho-sociaux, car les réseaux sociaux donnent accès à des contenus problématiques, voire dangereux : il en va ainsi des contenus pornographiques qui ne sont pas seulement diffusés sur des sites spécialisés. Il ne faut pas négliger l'impact psychologique de contenus apparemment plus anodins mais qui creusent leur sillon et affectent l'estime de soi des adolescents et des adolescentes. Nous assistons à une explosion des demandes d'opérations de chirurgie esthétique visant à se rapprocher des images façonnées par les filtres des réseaux sociaux. Il faut bien sûr aussi mentionner les cas d'adolescents conduits au suicide par des algorithmes les enfermant dans des spirales de contenus délétères, comme la jeune Molly Russell, dont la mort a fait grand bruit au Royaume-Uni.

La nature addictive des réseaux sociaux, inscrite dans leur modèle économique même, doit nous pousser, nous, adultes, à mieux protéger les mineurs, particulièrement les moins de 15 ans encore plus vulnérables, des potentiels effets néfastes évoqués ici et qui ne sauraient résumer, évidemment, l'expérience vécue sur ces espaces. Il s'agit pour chacun – parents, entreprises, jeunes – de prendre ses responsabilités et, pour cela, il importe de poser clairement les limites, de les rappeler, et de sanctionner plus fermement leur dépassement : c'est le sens de cette proposition de loi.

L'article 1er vise à inscrire dans la loi pour la confiance dans l'économie numérique, dite LCEN, la définition des réseaux sociaux récemment adoptée par l'Union européenne au sein du règlement relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique (DMA). Bien que celui-ci soit d'application directe, il nous semble important de reprendre cette définition dans le droit national afin de renforcer la sécurité juridique et de garantir son utilisation ultérieure dans d'autres champs. Suffisamment large pour tenir compte de la grande diversité des réseaux sociaux, elle nous paraît devoir être très fidèlement suivie afin de coller au plus près à la législation européenne.

Un nouvel article, l'article 1er bis, introduit en commission à l'initiative de la présidente de la délégation aux droits des femmes, Mme Véronique Riotton, permettra de faciliter le signalement de certains délits commis en ligne et contribuera ainsi à créer un environnement numérique plus sûr pour les mineurs, mais pas seulement.

L'article 2 renforce les obligations incombant aux réseaux sociaux en matière de vérification des conditions d'âge et d'autorisation parentale pour les mineurs de 15 ans. Ils devront appliquer des solutions techniques de vérification conformes aux exigences du référentiel élaboré par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), après consultation de la Cnil, qui garantira que les moyens mis en œuvre respectent les meilleures règles de l'art en la matière.

Cette obligation est assortie d'un mécanisme de contrôle exercé par l'Arcom et d'une sanction importante afin de renforcer son effectivité. Cet article constitue le cœur de ma proposition : il vise à mettre un terme aux inscriptions de mineurs de 15 ans effectuées sur les réseaux sociaux sans qu'une autorisation expresse n'ait été donnée par un détenteur de l'autorité parentale et sérieusement contrôlée par les réseaux.

L'article 3 entend donner de meilleures armes aux enquêteurs, et donc à la justice, pour lutter contre l'impunité de ceux qui tiennent des discours de haine en ligne. Pour la première fois, des délais de réponse aux réquisitions judiciaires seront définis dans la loi. En outre, en cas de non-réponse, est prévue une sanction, en conformité avec les récentes évolutions du droit de l'Union. Cela nous conduira même à en anticiper la mise en œuvre.

L'article 4 demande un rapport au Gouvernement sur les conséquences de l'utilisation des réseaux sociaux sur la santé physique et mentale des jeunes car la littérature scientifique sur les dangers des réseaux sociaux est insuffisante. Si un rapport produit par le Gouvernement ne saurait se substituer à un travail universitaire, j'estime qu'il s'agit là d'un appel solennel à ce qu'un état des lieux des connaissances disponibles soit dressé avec tout le sérieux nécessaire.

Quant au dernier article, il demande au Gouvernement d'étudier, dans un rapport, la pertinence d'une fusion des deux services d'assistance déployés pour lutter respectivement contre le harcèlement scolaire et contre le cyberharcèlement dans la perspective d'un renforcement de la cohérence et de la continuité de leur action.

Il s'agit pour moi non pas d'envisager les réseaux sociaux sous le seul angle répressif mais d'entamer une réflexion globale sur les effets que leur fréquentation a sur notre jeunesse et de préserver celle-ci des risques les plus patents en posant, et en faisant appliquer, de justes garde-fous.

Mes chers collègues, cette proposition de loi est susceptible de constituer une réelle avancée vers une protection améliorée des jeunes dans leurs usages des réseaux sociaux. Elle permettra de mettre chacun face à ses obligations et à ses responsabilités. Je suis convaincu que cet enjeu peut nous rassembler de façon très large et je vous remercie d'ores et déjà pour les nombreuses propositions d'amélioration du texte apportées dans vos amendements.

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