Intervention de Carole Grandjean

Réunion du mardi 28 février 2023 à 17h35
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Carole Grandjean, ministre déléguée :

Monsieur Le Vigoureux, je vous sais extrêmement engagé, de longue date, en faveur du mentorat. L'opération « Tandem Pro » est un véritable succès. Nous sommes convaincus que le mentorat est l'un des moyens d'accompagner les jeunes et de les aider à préparer leur parcours de formation en milieu professionnel. Des étapes préparatoires sont en effet nécessaires à leur réussite : le mentorat, qui se déploie partout en France, dont un tiers dans les lycées professionnels, les aide dans leur projet de recherche de stage puis dans la prospection, la préparation de l'entretien et enfin la réussite de leur période de formation en lycée professionnel, en leur permettant d'apprendre les codes et en leur donnant confiance en eux.

Pour accompagner ces jeunes dont le milieu social ne leur permet pas de disposer des réseaux et des codes nécessaires, nous allons renforcer le partenariat avec les collectifs de mentorat, ce qui sera bénéfique en matière d'orientation comme de formation. Nous travaillons à une expérimentation sur certains territoires, le problème étant ensuite de changer d'échelle et d'accompagner l'ensemble des jeunes des lycées professionnels, car leur indice de position sociale est très nettement inférieur à celui du lycée général. Tous doivent pouvoir accéder au dispositif « 1 jeune, 1 mentor ».

Monsieur Odoul, le temps de stage constitue un levier de réussite et un tremplin pour acquérir un certain nombre de codes, de savoir-faire et de savoir-être. Il permet également la rencontre avec les professionnels de l'environnement économique auquel le jeune aspire. Or la recherche de stage est parfois compliquée, à de multiples égards. La réforme du lycée professionnel vise donc à permettre à tous les jeunes, quel que soit leur environnement familial, d'en trouver. Il est essentiel de les aider à rechercher un stage, qui soit de surcroît de qualité. La gratification des stages permettra de valoriser ces périodes, tandis que l'exigence qualitative à l'égard des entreprises et des tuteurs sera renforcée.

La préparation des périodes de formation en milieu professionnel est également très importante. L'ensemble des acteurs sont favorables à un rapprochement entre l'école et l'entreprise, et il convient de les accompagner dans cette démarche. Beaucoup d'entre eux – le collectif « 1 jeune, 1 mentor », la communauté « Les entreprises s'engagent », les organisations patronales, les régions, les élus locaux – ont d'ailleurs fait part de leur volonté d'être associés plus étroitement. Nous sommes tous conscients qu'il est de notre responsabilité collective de mieux accueillir les jeunes dans les entreprises et de les accompagner dans leur projet professionnel. Il ne s'agit pas d'opposer la qualité des enseignements fondamentaux à l'apprentissage dans le cadre des périodes de formation en milieu professionnel : l'un et l'autre s'enrichissent mutuellement.

Monsieur Olive, je souhaite, comme vous, que le lycée professionnel devienne un passeport pour l'emploi et l'émancipation, qu'il soit la voie du succès et de l'épanouissement et qu'il soit reconnu comme tel par la société. Il faut faire, pour le lycée professionnel, ce que nous avons réussi pour l'apprentissage : investir dans cette voie et changer son image. Cela doit passer par une meilleure information des collégiens sur les métiers et les parcours de formation auxquels donne accès la voie professionnelle, par un renforcement des savoirs fondamentaux et par une approche plus individualisée, qui doit permettre à chacun d'aller à son rythme et d'atteindre un niveau de qualification et un emploi à l'issue de son parcours de formation.

Monsieur Corbière, il est certain que les élèves en lycée professionnel présentent des fragilités. Même si la situation est très variable d'un établissement à un autre, leur indice de position sociale est beaucoup plus faible qu'en lycée général. Il faut accompagner ces jeunes en adoptant une approche globale : au-delà du parcours scolaire et de l'insertion dans l'entreprise, il faut renforcer leur capacité d'apprentissage et leur estime de soi et les aider à s'ouvrir culturellement à d'autres savoirs.

Monsieur Minot, s'il y a plus de décrocheurs dans la voie professionnelle que dans la voie générale, ce n'est pas parce que le lycée professionnel produit du décrochage, mais parce qu'on y envoie des élèves déjà en difficulté. Le lycée professionnel est une voie de réussite et doit être reconnu comme tel par la société. Nous devons améliorer l'orientation des élèves et la carte des formations : si les entreprises estiment que l'offre de formation proposée par les lycées professionnels est stratégique pour elles, si elles reconnaissent qu'il s'agit d'une formation de qualité, qui permet l'insertion professionnelle et la réussite dans la poursuite d'études, nous aurons assuré la sécurisation des parcours et la reconnaissance sociétale de la voie professionnelle.

Madame Rilhac, vous m'avez interrogée sur le lien entre le décrochage scolaire et l'orientation des élèves. Il est vrai que deux tiers des décrocheurs se trouvent dans les lycées professionnels. Le décrochage est l'aboutissement d'un parcours qu'on a souvent dessiné pour eux. Il frappe près de 10 % des jeunes. Sur 80 000 jeunes décrochés sans diplôme, 67 % sont issus du lycée professionnel, 13 % décrochent à la fin du collège et 20 % à l'issue du lycée général et technologique.

Pour lutter contre le décrochage en lycée professionnel, il faut d'abord améliorer l'orientation, qui doit être choisie, ce qui suppose que les jeunes découvrent les métiers. Leur diversité est telle qu'il faut organiser cette découverte, dès la cinquième et au cours des années suivantes, par familles de métiers. La plupart des jeunes connaissent moins de dix métiers, ceux auxquels les confronte leur environnement familial. Nous allons travailler avec un réseau de partenaires pour lutter contre le décrochage scolaire. Il faut une prise en charge globale de l'élève – sociale, psychologique et scolaire – et une meilleure information, des jeunes et de leurs familles, sur le taux d'insertion et le taux de poursuite d'études des différentes formations. Cette information leur manque aujourd'hui et nous leur devons cette transparence.

Madame Pollet, il importe que tous les jeunes aient un égal accès à la réussite personnelle et professionnelle. Ceux qui décrochent au lycée professionnel étaient souvent en difficulté dès le collège, voire avant. C'est pourquoi nous avons décidé, sous le précédent quinquennat, de dédoubler les classes de CP et de CE1, mais aussi de grande section de maternelle, dans les zones d'éducation prioritaire. C'est également la raison pour laquelle Pap Ndiaye va bientôt présenter une réforme du collège. Pour aller plus loin, il faut adopter une approche globale et prendre en compte toutes les raisons du décrochage de l'élève, qu'elles soient d'ordre scolaire ou social, ou qu'elles concernent son orientation ou son projet.

Monsieur Sorre, le groupe de travail qui s'est penché sur la question du décrochage scolaire a effectivement proposé, entre autres choses, de systématiser le droit à l'erreur. Il conviendrait par exemple de garantir aux jeunes qu'ils pourront retourner en classe, après une période d'essai, si l'apprentissage ne donne pas de résultat. Il faudrait également prévoir des passerelles, afin que les jeunes n'aient pas le sentiment d'être enfermés dans une voie, et ouvrir davantage le lycée professionnel vers des campus des métiers et des qualifications. Notre idée, c'est que le lycée professionnel doit ouvrir à tout, aussi bien à l'insertion professionnelle qu'à la poursuite d'études. Il faut mettre fin à l'idée selon laquelle, parce qu'on est en lycée professionnel, on ne pourra pas poursuivre des études dans l'enseignement supérieur. Il importe de lutter contre les inégalités sociales à la racine, si l'on veut éviter le décrochage et la déconsidération du lycée professionnel.

Monsieur Legavre, vous craignez une forme de concurrence entre le lycée professionnel et l'apprentissage. En réalité, ces deux voies nous paraissent complémentaires. Le « tout-apprentissage » n'est pas une option, mais l'abandon de l'apprentissage n'en est pas une non plus. Il faut conduire vers l'apprentissage les jeunes qui le souhaitent, parce qu'ils y voient un moyen de découvrir un métier et de faire une première expérience professionnelle répondant à leurs besoins. Mais il faut aussi protéger ceux qui ont besoin de plus de temps pour définir leur projet. Ces deux voies ne sont pas en concurrence. La durée du stage n'est d'ailleurs pas du tout la même : quatre-vingt-huit semaines, en moyenne, pour l'apprentissage et trente pour le lycée professionnel – si l'on tient compte de l'augmentation de 50 %. Les modalités des stages diffèrent également : en lycée professionnel, ils se font chez des employeurs différents, ce qui n'est pas le cas pour l'apprentissage. Ces deux voies sont complémentaires et il peut y avoir des passerelles entre elles. Nous sommes parvenus à changer l'image de l'apprentissage. Faisons la même chose pour le lycée professionnel : faisons en sorte que les familles, le tissu économique et la société tout entière le voient comme un chemin vers la réussite.

Madame Genevard, vous avez raison de dire que les difficultés scolaires apparaissent souvent dès l'école élémentaire et qu'il ne faut pas attendre le lycée professionnel pour s'y attaquer. J'ai déjà évoqué la politique de dédoublement des classes engagée sous le précédent quinquennat dans les zones d'éducation prioritaire, où les élèves sont souvent issus de milieux sociaux plus modestes, et la réforme à venir du collège. Il faut également favoriser la découverte des métiers dès la cinquième. Une expérimentation a été lancée en ce sens dans plus de 600 collèges : elle donne lieu à nombre d'initiatives intéressantes. Dès la rentrée prochaine, nous souhaitons l'étendre à l'ensemble des collèges de France, dans les classes de cinquième, quatrième et troisième. Cela doit permettre aux jeunes de mieux choisir leur orientation et de donner du sens à leur parcours.

Les élèves disent que l'expérience en entreprise leur apporte beaucoup, qu'elle donne du sens à leur projet. Elle permet à nombre d'entre eux de sortir d'un environnement scolaire qui ne répond pas toujours à leurs aspirations du moment. Nombre des participants aux groupes de travail nous ont toutefois mis en garde : si nous voulons que cette expérience réussisse, il faut qu'elle soit préparée. Il est vrai, enfin, qu'il n'est pas toujours facile de trouver un stage et qu'il faut aider les élèves – dont certains souffrent en outre de discriminations. Je travaille à mobiliser les réseaux existants, pour qu'ils s'engagent auprès de ces jeunes. Il importe aussi de mettre la carte des formations en adéquation avec les enjeux économiques et de faire en sorte que l'offre de formation corresponde à la demande des entreprises et au tissu économique local.

Madame Calvez, vous avez évoqué la co-intervention et le chef-d'œuvre, deux approches pédagogiques introduites par la réforme de l'enseignement professionnel lancée en 2019 par Jean-Michel Blanquer – auxquelles j'ajoute la famille de métiers. Un comité national a été mis en place en 2019 pour suivre trimestriellement la transformation de la voie professionnelle. La co-intervention, qui fait intervenir simultanément, au sein de petits groupes, un enseignant de matière générale et un enseignant de matière professionnelle, a permis à des jeunes en décrochage avec les enseignements généraux de se raccrocher à une matière qui répondait davantage à leurs aspirations. La réalisation du chef-d'œuvre, quant à elle, permet aux élèves de mener à bien un projet sur le temps long, de manière collective, selon des modalités pédagogiques différenciées, souvent en lien avec des partenaires extérieurs au lycée. Nous avons eu, sur ces innovations pédagogiques, des retours tout à fait encourageants. Désormais, les élèves peuvent construire leur propre parcours, presque sur mesure. Ils peuvent faire le choix de l'apprentissage : on compte plus de 60 000 élèves en apprentissage en lycée professionnel, ce qui représente une forte hausse. On peut dire que cette réforme a ouvert de nouveaux champs du possible au lycée professionnel, même s'il reste évidemment des choses à améliorer. Le groupe de travail dirigé par Marc Foucault, qui a été créé en janvier 2023, a vocation à parachever cette réforme pédagogique, en y ajoutant une dimension plus structurelle.

Monsieur Raux, votre nostalgie du baccalauréat professionnel en quatre ans n'est pas vraiment une préoccupation des enseignants, parents d'élèves et élèves. En revanche, la question de la maturité des élèves est souvent revenue, comme la nécessité, pour certains d'entre eux, de bénéficier d'un temps de formation plus long : c'est pourquoi nous avons proposé d'introduire un temps complémentaire, après le CAP ou le baccalauréat professionnel. Cela fait déjà l'objet d'expérimentations dans certains territoires, sous la forme soit d'un temps très alternant pour aller vers l'emploi, soit d'un enseignement renforcé pour préparer la poursuite d'études – temps pendant lequel, pour répondre à une autre question, les élèves conservent leur statut scolaire. Une étude a montré que ce temps supplémentaire après le baccalauréat augmente de vingt points le taux d'accès à l'emploi. Il est un facteur de réussite et c'est pourquoi nous étendrons cette expérimentation dès la rentrée prochaine.

Monsieur Marion, nous sommes dans le giron de l'Éducation nationale : la réforme se fera donc dans le cadre national des diplômes, même s'il importe de tenir compte des spécificités des différents établissements – présence plus ou moins importante d'élèves allophones, difficultés relatives à la carte des formations, etc. Les leviers utilisés dépendront des spécificités des établissements et des projets déployés par l'équipe pédagogique, des difficultés des élèves, mais aussi des réalités économiques du territoire. Mais cela ne remet pas en cause le caractère national des diplômes. Je sais que vous avez à cœur, comme moi, de ne pas appliquer la réforme de manière uniforme et de faire confiance aux équipes pédagogiques, qui connaissent leurs élèves, mais aussi leur territoire et ses acteurs économiques.

Madame Meunier, le temps complémentaire est, selon le projet de l'élève, soit du temps d'accompagnement vers un projet professionnel, soit du temps d'accompagnement en vue de la poursuite d'études. Dans le premier cas, il est un temps d'alternance, qui doit favoriser l'acculturation au monde de l'entreprise, la rencontre avec des acteurs économiques et une forme de reconnaissance. Dans le second, il vise un renforcement des savoirs fondamentaux et des méthodes de travail de l'élève. L'enjeu est immense, car le taux de réussite en BTS est actuellement de 50 %. Des expérimentations sont en cours dans tout le territoire : je pourrai vous indiquer plus précisément les lieux où elles se déroulent.

Madame Piron, il est vrai que les élèves allophones sont plus nombreux dans les lycées professionnels que dans les établissements de la voie générale. Il faut les accompagner, de même qu'il faut prendre en compte la situation particulière des élèves handicapés, qui représentent 5 % des élèves dans les lycées professionnels, contre 1 % dans la voie générale. Les enseignants de la voie professionnelle ont déjà l'habitude d'adapter leur pédagogie à ces différents publics. Il faut aller plus loin, en formant davantage les professeurs et en favorisant le travail par petits groupes.

Monsieur Di Filippo, j'ai indiqué que nous allions, dès le collège, favoriser la découverte des familles de métiers. De cette manière, les jeunes pourront faire un choix éclairé, qui est l'un des meilleurs moyens de lutter contre le décrochage. Il convient aussi de travailler sur leurs fragilités scolaires, de donner du sens à leur parcours, en renforçant le lien entre l'école et l'entreprise, et de les aider à aller vers les études supérieures. Parcoursup est un moment important, qui nécessite qu'on les guide dans leurs choix. Il faut une complète transparence sur le taux de réussite de chaque formation : nous y travaillons déjà avec la procédure Affelnet (affectation des élèves par le net) mais ce doit aussi être le cas avec Parcoursup. Il importe d'adopter une approche individualisée pour la réussite de chacun. Il y a déjà des places réservées en BTS pour les élèves issus de la voie professionnelle, mais cela ne suffit pas : c'est une chose de poursuivre des études, c'en est une autre de les réussir.

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